FAIT DU SOIR Immersion dans le quotidien des maraudes de la Croix-Rouge à Alès
En centre-ville, la Croix-Rouge déploie ses équipes pour les maraudes. Des opérations où les bénévoles et les salariés vont directement à la rencontre des personnes en grande précarité pour leur apporter aide et soutien. Nous avons eu l’opportunité ce mercredi de les accompagner dans cette démarche révélatrice des défis auxquels font face de plus en plus de personnes en difficulté. Reportage.
À l’aube, la ville est encore endormie. Mais au chemin du Dourtoulan, l’activité est déjà intense. Un camion en provenance de Nîmes vient de décharger une quinzaine de colis de denrées alimentaires, apportées par une bénévole. Les produits, variés et contenant du porc ou non, doivent maintenant être triés et préparés pour la journée. Bénévoles et salariés de la Croix-Rouge, déjà en action, travaillent avec soin pour accomplir leur mission : apporter aide et réconfort à celles et ceux qui en ont besoin dans les rues.
Une organisation, entre rigueur et flexibilité
Les maraudes débutent dans les grandes artères du centre-ville d'Alès. Un parcours alors méticuleusement tracé pour atteindre les lieux les plus fréquentés, comme les parkings et les zones sous les ponts. Et à force d'expérience, ils savent, les yeux fermés, qui se trouve où, et quand. Mais cette planification rigoureuse doit souvent céder place à la flexibilité. Les itinéraires sont ajustés en fonction des besoins et des urgences rencontrées sur place. Une dizaine de bénévoles et de salariés, comme Noémie Weber et Hacène Laidi, employé depuis cinq ans, parcourent la ville.
« J'aime aller en maraude, c’est créer du lien », confie Rose-Marie Frignet, bénévole depuis quatre ans au Samu social et ancienne éducatrice spécialisée. « On apporte non seulement de la nourriture et des vêtements, mais aussi du réconfort. C’est essentiel de maintenir ce lien avec les personnes en difficulté. » Aujourd'hui à la retraite, son expérience d’éducatrice spécialisée renforce sa détermination à continuer d’aider ceux qui en ont besoin. « Il ne faut jamais rompre le lien, jamais », insiste Rose-Marie.
Des gestes qui ouvrent des portes
Chaque maraude est une occasion de fournir des vivres et des vêtements. Mais aussi d’établir un contact humain précieux. « Il est plus facile d’aller à la rencontre des gens en arrivant avec quelque chose », explique Noémie Weber. Offrir de la nourriture et des vêtements permet non seulement de répondre aux besoins immédiats, mais aussi de créer un « lien de confiance », qui peut ouvrir la voie à un soutien plus large : écoute, orientation vers des services sociaux, et parfois même hébergement. Ce contact humain se manifeste de manière imagée lorsqu’Hacène Laidi, lors de la maraude de ce mercredi après-midi, échange une bise chaleureuse avec un bénéficiaire avenue Charles-de-Gaulle. « C'est trop important pour nous qu'ils soient là », témoigne l’un d’eux.
Hacène ne se contente pas de distribuer des biens ; il veille aussi à ce que les personnes aient accès à un hébergement temporaire, même en menaçant gentiment de se fâcher s’ils n’acceptent pas l’aide proposée. Pour une organisation optimale, les journées de maraude suivent une routine bien établie. Le matin commence par une visite aux personnes hébergées à l’hôtel, suivie d’une « petite maraude » dans le centre-ville d'Alès pour repérer les besoins quotidiens. Les maraudes se poursuivent deux fois par jour : le matin et l’après-midi, permettant de couvrir les besoins en nourriture et en vêtements tout au long de la journée. À partir d’octobre, les maraudes en soirée viendront compléter ce dispositif les mardi, jeudi et vendredi, de 18h15 à 20h30, pour les besoins accrus de fin de journée.
Une demande de plus en plus élevée
L’équipe de maraude, composée de bénévoles et de professionnels de l’aide sociale, travaille d’arrache-pied pour offrir ce soutien. À l'image de Charlotte Bourgine, coordinatrice pour l'insertion logement au Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO), qui assure la supervision des maraudes et la gestion des demandes liées au Samu social. « Nous recevons entre 100 et 130 appels par jour », explique-t-elle. La demande a fortement augmenté ces dernières années, avec des appels concernant non seulement des demandes d’hébergement, mais aussi des signalements et des demandes de prestations. En période de canicule, l’équipe ajuste les maraudes pour fournir de l’eau et garantir la sécurité des personnes en précarité. Selon Renaud Morin, directeur adjoint de la DDETS (Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités), qui était présent aujourd'hui aux côtés du sous-préfet Émile Soumbo, la Croix-Rouge distribue entre 1 000 et 1 300 bouteilles d’eau par mois à Alès. À titre de comparaison avec Nîmes, Renaud Morin a également mentionné que, en juillet 2024, Alès comptait 67 maraudes, contre 79 à Nîmes, malgré un arrondissement beaucoup plus grand. L'importance de maintenir un soutien constant tout au long de l’année. Les bénévoles veillent également à ce que chaque appel soit soigneusement évalué et que les demandes soient correctement liées aux ressources disponibles.
« Le public des personnes âgées se tourne de plus en plus vers les urgences, tout comme les jeunes. La crise sanitaire a changé les choses, marquant une vraie différence avant et après le Covid. »
Charlotte Bourgine, coordinatrice pour l'insertion logement au Service intégré d'accueil et d'orientation (SIAO)
Des bénéficiaires aux parcours variés
Les bénéficiaires des maraudes ont des profils très diversifiés, allant des jeunes adultes aux personnes âgées, avec une présence croissante des seniors depuis la crise sanitaire. Les histoires personnelles, souvent difficiles, et la grande vulnérabilité des personnes rencontrées témoignent de la complexité des situations. Hacène Laidi rappelle que de nombreuses personnes à la rue souffrent de « fortes addictions », ce qui ajoute une couche de difficulté non négligeable à leur quotidien. À Alès, environ 10 % des bénéficiaires sont en situation irrégulière, tandis que les demandeurs d’asile reçoivent une aide adaptée. Les maraudes jouent un rôle important donc en maintenant ce lien social pour celles et ceux qui sont isolés et n’ont pas accès aux services sociaux. En distribuant nourriture et vêtements, les bénévoles ouvrent la voie à un soutien plus global, comme des démarches administratives et sociales pour améliorer les conditions de vie. En exemple, celui de monsieur Plantier, que Hacène Laidi a rencontré en 2019. À l'époque, cet homme vivait dans une caravane. Aujourd'hui âgé de 66 ans, il a depuis, grâce aux maraudes et aux différents services, intégré un appartement, accepté une protection, et gère désormais son argent de manière autonome. « Nous l’avons accompagné tout au long de son parcours, en lui trouvant des meubles et en établissant un climat de confiance avec les partenaires. Nous avons réalisé un accompagnement similaire pour 5 ou 6 personnes dans des situations comparables », explique, non sans fierté - et il y a de quoi - Hacène Laidi.
Nous avons rencontré ce mercredi après-midi un bénéficiaire dont l’histoire reflète bien les défis rencontrés par les personnes en situation précaire. Âgé de 23 ans, pacsé, père d’un enfant et en attente d’un nouveau bébé, il vit à Alès avec sa femme, qui ne travaille pas. Il exprime son désir de trouver un emploi stable et de construire un avenir, malgré de nombreux obstacles : « Je voudrais devenir brancardier, obtenir mon permis et travailler comme ambulancier. J’aimerais savoir comment suivre cette formation », explique-t-il après avoir travaillé quelques mois et se retrouvant, sans permis, ni travail, voué à lui-même après le rejet de sa mère il y a quelques années. Actuellement hébergé à l’hôtel L'Escale à Alès, il lutte contre une accumulation de dettes et fait face à des difficultés majeures. Mais dans ces moments difficiles, il reconnaît bien volontiers le soutien précieux du Samu social : « Je les vois souvent, surtout à Alès. Et ça fait du bien. » Faire le bien, c'est en tout cas la véritable mission de ces héros du quotidien, au grand cœur, qui œuvrent dans l’ombre, sans jamais attendre de reconnaissance.