FAIT DU SOIR La ministre en visite au cimetière oublié des enfants Harkis
Raoul avait vingt jours à peine en ce mois de décembre 1962 froid comme rarement ici, entre Bagnols et Avignon. Raoul est mort de froid là où il était né, dans le camp de Harkis de Saint-Maurice-l’Ardoise. Il aura fallu soixante ans pour le retrouver, à un jet de pierre du camp, sur un terrain vague appartenant à l’armée, derrière une usine de l’Ardoise.
En tout, 27 sépultures ont été découvertes et la présence de deux corps a été confirmée le 20 mars dernier sur ce terrain. Des sépultures d’enfants datant essentiellement des débuts du camp de Harkis, à la fin de la guerre d’Algérie qui a vu ces combattants supplétifs de l’armée française contraints à l’exil, puis à l’internement dans des camps de sinistre mémoire. Celui de Saint-Maurice-l’Ardoise faisait 15 hectares, sur lesquels des milliers de Harkis vivront de 1962 à 1976 dans des conditions au mieux spartiates, le plus souvent indignes, comme les anciens du camp les ont décrites si souvent depuis. Un camp bordé de barbelés, où les familles s’entassaient dans des baraquements.
C’est ici donc que la secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire Patricia Mirallès est venue ce vendredi. D’abord sur le camp en lui-même, dont il ne reste rien ou presque, que des souvenirs, puis sur les lieux où les sépultures ont été retrouvées après un long combat mené par les familles de Harkis. À l’issue de ce combat, Aïda Seifoune a enfin pu retrouver la dernière demeure de son fils Raoul. « Maintenant que je sais où il est, je suis contente, dit la veille dame, très émue. Il est mort, et je ne savais pas où il avait été emmené. »
« On était comme des chiens »
Et Aïda, venue ce vendredi sur place avec son mari Ahmed, sa fille Nadia et sa petite-fille, de se rappeler de ce funeste jour où un militaire a placé le corps de son nourrisson dans un linceul et l’a emmené, sans lui dire où. Le souvenir, toujours vivace, de « la neige, le froid » de ce jour. « On n’était pas bien, pas bien habillés, on n’avait rien pour le bébé, il était malade, on était comme des chiens », se rappelle-t-elle. « Maintenant on veut savoir le pourquoi du comment ces enfants ont été enterrés », embraye sa fille Nadia. Et pourquoi il a fallu aussi longtemps pour retrouver ce cimetière officieux, alors que son existence est attestée par un procès verbal d’un ancien directeur du camp datant de… 1979, exhumé il y a quelques années.
« Je n’ai pas la réponse », dira la secrétaire d’État, qui affirme avoir fait le nécessaire dès qu’elle a appris l’existence du cimetière. Le nécessaire, à savoir diligenter des recherches par l’INRAP, qui a mené une enquête d’abord pour trouver le terrain en question, puis localiser précisément les sépultures. Les enfants ont été enterrés à « cinquante, soixante centimètres de profondeur », précise Patrice Georges-Zimmermann, qui a mené les recherches pour l’INRAP. Il a fallu déboiser ce terrain du lieu-dit de Rossignac où ont été localisées vingt-sept « fosses oblongues avec pour certaines un aménagement de petites dalles », décrit Patrice Georges-Zimmermann, disposées sur un axe Est-Ouest. La sépulture de Raoul a été la première découverte sur place.
« Il faut regarder l’histoire en face, si douloureuse soit-elle », lance Patricia Mirallès, reprenant les propos du Président de la République, avant d’affirmer que « les Harkis ont été abandonnés par l’État à l’époque. » Un état de fait que « nous devons réparer et reconnaître », poursuit-elle, affirmant que « la loi n’est pas figée. » La Commission Bockel, qui travaille sur le sujet, doit prochainement rendre un rapport à la Première ministre.
Vers « un vrai cimetière »
Du côté des Harkis, on demande ardemment un lieu de mémoire à Saint-Maurice-l’Ardoise. Sur le cimetière, « les familles qui voudront récupérer les sépultures le pourront, et nous ferons un mémorial, avec un vrai cimetière, l’État paiera », affirme la secrétaire d’État, qui parle aussi de « parcours de mémoire », l’Agglomération portant un projet de mémorial sur le camp. Concernant les sépultures, les familles auront la possibilité de se soumettre à des tests ADN, pour avoir la certitude de l’identité des défunts retrouvés. Par ailleurs, « nous travaillons pour savoir où sont les corps disparus », affirme-t-elle, alors que plusieurs défunts, au moins quatre, ont disparu.
Cette découverte marque une étape importante dans l’histoire des Harkis, « encore un sujet tabou », regrette Yamina Chalabi, de l’association ARACAN, qui milite de longue date pour la cause Harkie. Association qui insiste pour que le travail de mémoire soit fait sur des lieux dédiés et dans les établissements scolaires. Un volet important pour la secrétaire d’État, afin que « la jeunesse puisse s’enraciner dans cette histoire », dit-elle. Et Patricia Mirallès d’affirmer que « nous avons décidé enfin de faire ce chemin jusqu’au bout ». Soixante-et-un ans après la fin de la guerre d’Algérie.
Si le chemin n’est pas fini, l’attente d’Aïda Seifoune l’est, « apaisée » par la fin de ces soixante ans de mystère. Son souhait est que la sépulture de Raoul reste là où elle est depuis décembre 1962, à une condition : « que son nom apparaisse. »