Publié il y a 1 jour - Mise à jour le 15.04.2025 - Sabrina Ranvier - 8 min  - vu 765 fois

DOSSIER Entretien avec Éric Teyssier, professeur d’histoire à Nîmes université

Éric Teyssier, maître de conférence à l'université de Nîmes, est coresponsable du master Histoire vivante. Ce spécialiste d'histoire ancienne pratique l'archéologie expérimentale et l'archéologie sous-marine. Il fait partie de ceux qui ont initié en 2010 les reconstitutions historiques dans les arènes. Il en a rédigé le scénario jusqu'à l'édition 2022.

- © Sabrina Ranvier

Éric Teyssier évoque la complémentarité entre les villes d'Arles et de Nîmes. 

« Arles et Nîmes sont complémentaires »

Objectif Gard le magazine : Vous avez participé aux fouilles dans le Rhône qui ont permis de découvrir le buste de César. Vous enseignez à l’université de Nîmes. Vous avez écrit Arles, la Romaine et Nîmes, la Romaine. Est-ce que ces deux villes étaient très proches dans l’antiquité ?

Éric Teyssier : Oui. Elles sont comparables au niveau du patrimoine. Mais la grande force d’Arles, c’est le Rhône. Les navires pouvaient remonter de la mer. Les marchandises pouvaient aller par voie fluviale jusqu’au Rhin. Nîmes était sur un axe terrestre, la via domitia. Mais à l’époque, il y avait beaucoup moins d’échanges par voie terrestre. L’avantage de Nîmes c’était son sanctuaire de la source. C’était un peu le « Lourdes de l’antiquité ».

Ces deux villes se sont-elles développées à la même époque ?

Arles a été fondée par des Grecs de Marseille. Nîmes a une origine gauloise. Les Volques Arécomiques qui vivaient à Nîmes se sont ralliés assez tôt aux Romains. Arles et Nîmes deviennent romaines entre César et Auguste. Puis, elles vont ensuite se développer à l’époque d’Auguste. Nîmes était une colonie de droit latin : seules les élites avaient la citoyenneté romaine. Ce statut lui donnait un peu plus d’autonomie qu’Arles qui était une colonie de droit romain.

Laquelle a les monuments les plus anciens ?

Leur développement urbain est assez contemporain comme s’il y avait une concurrence entre les deux. Les deux ont un aqueduc de 50 km de long construit entre 40 et 50 av JC. L’amphithéâtre d’Arles date de 90 après JC et celui de Nîmes de 100 après JC. Nîmes a la grande chance d’avoir gardé sa Maison Carrée. Mais il y avait aussi un temple pour le culte impérial à Arles. Il était un peu plus grand qu’à Nîmes.

Les monuments romains d’Arles sont classés depuis 1981 à l’Unesco. La Maison Carrée nîmoise ne l’a été qu’en 2023. Arles a été plus efficace ?

Le Pont du Gard, Arles et Orange ont été classés au début des années 1980. C’était plus facile à l’époque. Mais la mairie de Nîmes n’était pas intéressée à ce moment-là. C’est dommage car l’amphithéâtre de Nîmes est mieux conservé. Il a tout son couronnement, le sol du premier étage, alors qu’à Arles, par endroits, on voit à travers. Mais Arles a les thermes romains les mieux conservés en Gaule, près du Rhône qui a livré beaucoup de trésors : un chaland, la statue de Neptune, le buste de César…

Arles gagne le match côté patrimoine ?

Non, niveau patrimoine, les deux cités se valent. Elles sont comparables tout en étant différentes. Par contre, Arles a eu l’initiative beaucoup plus tôt de construire un musée dédié à l’archéologie. Avec l’ouverture du musée de la Romanité, on a rattrapé un peu le retard. Ces deux musées sont relativement équivalents. Arles a une collection de sarcophages qui est la deuxième après celle de Rome en importance et en qualité. Le musée de Nîmes, qui est plus récent, a un caractère plus didactique, plus pédagogique. Il met notamment très bien en valeur l’épigraphie*. Nîmes possède la plus grande collection de ces inscriptions en Gaule. Finalement on arrive à une égalité. Les deux villes sont très complémentaires.

Le chaland romain sorti des fouilles du Rhône est un des trésors du musée départemental Arles antique. • ©Christian Rombi

Arles va ouvrir une partie des souterrains de son amphithéâtre au public d'ici la fin du printemps. Qu’en pensez-vous ?

À Arles, les monuments sont en régie municipale. Il n’y avait pas vraiment de valorisation. Ouvrir les souterrains est intéressant. Ce sont de longues galeries en pierres de taille qui permettaient d’emmener les gladiateurs et les décors. J’ai côtoyé Patrick de Carolis, le maire d’Arles, lorsqu’il s’occupait de l’émission Des racines et des ailes. Il en avait notamment consacré une sur les fouilles du Rhône. Il est très attaché au patrimoine.

Si la Maison Carrée nîmoise propose des équipements pédagogiques tactiles, rien de tel à Arles. Sébastien Abonneua, élu en charge du Tourisme à Arles, admet que la ville a un peu de retard sur la médiation, : « Ce serait génial d'avoir une modélisation 3 D du théâtre antique. » • © Sabrina Ranvier

Monuments : effet Unesco à Nîmes

Nîmes voit sa fréquentation grimper depuis septembre 2023, date à laquelle la Maison Carrée a été inscrite au patrimoine mondial. Les sept monuments romains d'Arles sont quant à eux classés depuis 44 ans.

Dans les rues de l’Écusson nîmois, en ce mercredi d’avril, des lycéens se bousculent, en Espagnol. Un couple italien, plus âgé, remonte le boulevard Daudet qui mène à la Maison Carrée. Là-bas, un groupe de collégiens fait des photos, en écoutant mollement leur enseignante. Seules 34 personnes peuvent pénétrer à la fois dans le monument romain. Malgré ces contraintes, la Maison Carrée a accueilli 172 633 personnes en 2024. « C’est la première année où on a plus de 10 % de hausse », souligne Mary Bourgade, élue nîmoise en charge du Patrimoine. Celle qui vient aussi de redevenir adjointe au Tourisme est capable de décrire dans les moindres détails « sa » Maison Carrée, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco en septembre 2023. Depuis les chiffres du tourisme nîmois grimpent. 175 000 personnes sont entrées à l’office du tourisme en 2024, une fréquentation qualifiée d’« extraordinaire » par l’élue. Les arènes, avec 383 917 personnes accueillies en 2024, affichent une hausse de 7,37 %. Même la tour Magne, dont l’accès par un chemin pentu se mérite, obtient 2,55 % de plus.

Arles classée à l’Unesco en 1981

À Arles, en ce jeudi après-midi d’avril, les vagues déferlent les unes après les autres devant l’amphithéâtre et le théâtre, deux monuments classés Unesco. Cheveux gris, allure enjouée, une guide dévoile, à de sages retraités, l’histoire des arènes, dans la langue de Shakespeare. Un air de jazz joué à la trompette l’interrompt. Elle va, tout sourire, voir le musicien. « Vous avez changé d’endroit ? » Puis elle explique à son groupe de touristes que d’habitude, elle le croise à Avignon. Visiblement, il mise en ce moment sur Arles. Il n’a pas tort. Un troupeau de lycéens espagnols dévale la rue. Ils s’amusent, une vingtaine de mètres plus loin, en croisant une guitariste qui chante dans leur langue. Puis, ils slaloment sur le parvis des arènes entre des lycéens blonds qui chahutent en allemand. Plus haut, un guide slave présente le théâtre en faisant mouliner ses bras. En 2024, l'office de tourisme a accueilli 145 000 visiteurs de plus de 20 nationalités différentes.

Chiffres

65 hectares de la ville d’Arles sont protégés par l’Unesco. Sept monuments figurent sur la liste du patrimoine mondial depuis 1981. À l’époque, la romanité n’est pas la priorité des élus nîmois. Jean-Paul Fournier lance les démarches Unesco au début des années 2000. Entre-temps, les exigences de l’instance internationale ont grimpé. « Il fallait 3 ou 4 feuilles dans les années 1980, explique Mary Bourgade. Alors que maintenant il faut… » Elle désigne deux grosses boîtes grises remplies de documents. Une première candidature plus élargie qui englobait aussi les arènes et la porte de France a été rejetée en 2018. La Ville qui a fait partie en 1987 des premières communes classées « ville d’art et d’histoire » choisit ensuite, avec succès, de se recentrer sur la Maison Carrée.

En 2024, Arles a vendu 350 000 billets pour ses monuments romains. L'amphithéâtre a accueilli 230 000 personnes. « L’Unesco est un vecteur fort d’attractivité », observe Sébastien Abonneau. Sur le site Internet de l'office de tourisme, le premier motif de recherche porte sur les monuments Unesco. Comme nouveauté pour la saison 2025, Arles va proposer une visite inédite : découvrir une partie des soutterains romains des arènes. « On voulait redynamiser la visite de l’amphithéâtre qui n’avait pas énormément bougé depuis pas mal de temps », précise Sébastien Abonneau. Si la Maison Carrée nîmoise propose des équipements pédagogiques tactiles, rien de tel à Arles. « On a un peu de retard, admet Sébastien Abonneau. Ce serait génial d'avoir une modélisation 3 D du théâtre antique. »

Prendre ou pas un gestionnaire privé

Les deux villes n'ont pas le même budget. Arles tourne autour de 50 000 habitants alors que Nîmes avoisine les 150 000. La municipalité d’Arles gère son patrimoine en régie directe, tandis que Nîmes a délégué ce service public à une société privée, Culturespaces, dès 2006. Édéis, lui a succédé en 2021, et a été renouvelé le 1er novembre 2024 pour huit ans. Côté arlésien, les tarifs sont plus tendres. Si Nîmes offre la gratuité aux moins de 7 ans, Arles en fait bénéficier jusqu’à 18 ans. Pour 11 euros plein tarif, à Nîmes, on a le droit de visiter les arènes alors qu’à Arles, on a, pour le même prix, l’amphithéâtre et le théâtre. Et en plus, on a des réductions pendant 15 jours sur le site archéologique de Glanum à Saint-Rémy-de-Provence, le château de Tarascon… Les tarifs ne doivent pas bouger. « On tient à ce que nos monuments soient visibles par le plus grand nombre, insiste Sébastien Abonneau. Ce n’est pas seulement le patrimoine des Arlésiens, c’est un patrimoine mondial. » La ville ne compte pas non plus déléguer leur gestion à un privé : « C’est une source de revenus pour la mairie. Le plan de sauvegarde de l’Unesco nous impose des restrictions par rapport à l’utilisation de l’amphithéâtre. » Impossible de mettre une piste en goudron pour faire venir un festival de concerts comme à Nîmes par exemple. Engoncée dans un entrelacs de ruelles, les arènes arlésiennes sont d’ailleurs difficilement accessibles pour un semi-remorque. Escales du Cargo, festival des Suds, soirées des Rencontres de la photographie… Les artistes se produisent au théâtre antique où la jauge est de 2 500 places. Pour les concerts, celle des arènes nîmoises est de 11 000 personnes. L’été dernier, le festival de Nîmes avait réuni 190 000 spectateurs.

Moins connus que le théâtre ou l'amphithéâtre, les thermes de Constantin à Arles sont eux aussi classés au patrimoine mondial de l'Unesco. • © Sabrina Ranvier

Développer une promotion commune des sites Unesco

Arles et Nîmes proposent chacune un Pass regroupant leurs monuments romains et leurs musées. Le city pass nîmois englobe en plus un accès à deux monuments hors-les-murs : l’abbatiale de Saint-Gilles et le musée du Pont du Gard. Mais il est valable maximum sept jours. En fonction de la durée choisie, il revient entre 29 et 39 euros. Le Pass « Avantage » arlésien qui englobe six monuments classés Unesco et quatre musées, est facturé pour les adultes entre 16 et 19 euros. Il est valable six mois. Par contre, ni Arles, ni Nîmes n’incluent dans leurs « pass » respectifs des visites ou des réductions pour un monument de la voisine. « Ce n’est pas la même région. Administrativement c’est compliqué, ce qui est dommage », regrette Mary Bourgade. Cela va-t-il évoluer ? « On a un groupement informel qui réunit sept sites classés Unesco : Arles, Avignon, Orange, le Pont du Gard, Nîmes, la grotte Chauvet, la cité le Corbusier à Marseille », indique Sébastien Abonneau. Ces sites tous situés grosso modo à deux heures de route pourraient être visités sur un séjour « Unesco » de deux ou trois jours. À court terme, l’idée est de faire de la promotion commune. D’après l’élu, « un site Internet est en cours de création ». Sébastien Abonneau indique qu’ils pourraient à terme éventuellement proposer des pass communs, « mais des questions techniques sont encore à résoudre notamment sur une commercialisation commune, mais la volonté est là. »

Sorties scolaires, l’argument du prix

Nîmes ou Arles ? Où les enseignants préfèrent-ils emmener leurs élèves ? Émilie Amouroux, professeur de lettres classiques en Ardèche, a visité l’an dernier chacune des deux cités qui se « complètent ». « À Arles, on peut profiter de monuments historiques plus ou moins bien conservés mais nombreux et variés », décrit-elle. À Nîmes, elle apprécie les arènes et « leur belle mise en valeur actualisée » mais aimerait que la Maison Carrée soit « mieux exploitée ». Guylaine, enseignante en lettres classiques dans le Vaucluse, met en avant le côté pratique de Nîmes où « tout est à côté ». À Arles, elle considère qu’entre les arènes, le théâtre, les cryptoportiques et les autres sites, on a « de quoi faire ». Dans cette ville qui accueille aussi la tour Luma, on peut « même glisser » sur un autre type de visite. Elle le reconnaît, ce qui tranchera c’est le prix. « La variété des sites à Arles peut surtout permettre de remplir un bus, ce qui est parfois compliqué avec les seuls élèves latinistes, argumente-t-elle. Cela rentabilise donc le prix du bus qui est le gros du budget. » Les prix proposés sur place peuvent aussi jouer.

Sabrina Ranvier

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