FAIT DU JOUR Aides, stages, bons plans : l'Europe pour les nuls
Déconnectée, technocratique, impératrice de la paperasse. Les critiques tambourinent l'Union européenne (UE). Est-elle vraiment utile ? Oui, tranche Jean-Louis Portal. Cet agriculteur fait pousser vignes, légumes et céréales à Meynes. Même s’il ne s’économise pas, il a fini l’année en déficit de 10 %. Cela aurait pu être pire : « Sans les aides européennes de la politique agricole commune (PAC), j’aurais fait 20 %. » Déscolarisée, Jihane est partie un mois en stage Erasmus + en Grèce. Cette jeune fille, aidée par la mission locale, en revient avec la ferme intention de reprendre ses études. L’association Temps libre voulait ouvrir une friperie en Gardonnenque. Qui accepte d’aider une activité peu lucrative ? L’UE a financé 64 % du projet. Elle a aussi subventionné 57 % des équipements de la boutique de la halte paysanne de Saint-Dionisy. Le 9 juin, les électeurs français sont invités à élire leurs 81 députés européens. Quel est le rôle de ce parlement ? Qu’apporte l’UE dans la vie quotidienne des Gardois ? Où va son argent ?
« L’Europe n’est pas un extraterrestre »
Michael Stange, directeur de la maison de l’Europe de Nîmes, a grandi en République démocratique allemande (RDA). Villes ou campagnes, grands projets ou vie quotidienne, pour lui, l’Europe est partout.
« Les personnes ne font pas le lien entre Bruxelles et les territoires mais l’Europe est omniprésente dans notre quotidien. On ne peut pas dire que c’est un extraterrestre ! », lance poliment mais fermement Michael Stange. Le directeur de la maison de l’Europe de Nîmes, labellisée Europe directe, pointe son doigt sur des lignes de crédits. Le volet muséographie du musée de la Romanité ? 1 M€ du fonds européen FEDER. La Smac Paloma ? 889 238 €. Le bruit d’un trambus, passant juste devant la maison de l’Europe, l’interrompt. L’engin a troqué son gris-orange habituel pour un fringant bleu électrique. Couvert d’étoiles, il appelle à voter pour les élections européennes le 9 juin. Michael Stange sourit : « Même les quais d’arrêt du trambus ont reçu 336 000 € c’est presque la moitié du budget. » Et cela devrait continuer. La région Occitanie est dotée de 1,4 milliard d’€ en fonds structurels européens pour la période 2021-2027.
Plus de frais délirants de téléphone
Michael Stange enchaîne : et cette carte d’assurance maladie qui permet de ne payer aucun frais si on se casse la jambe en Espagne ou en Allemagne ? C'est négocié par l’Europe. Le fait de ne plus débourser des sommes affolantes en communications téléphoniques quand on part à Rome ou Dublin ? Encore l'Union Européenne. La suppression des frais bancaires quand on retire au distributeur à l’étranger ? Toujours l’Union européenne. « 80 % des lois votées par le parlement français sont des directives européennes », ponctue-t-il.
Une enfance de l’autre côté du mur de Berlin
Un fin accent perle sa voix. Il est né il y a 45 ans de l’autre côté du mur de Berlin, en RDA, dans le bloc soviétique. À l’école, alors que ses voisins de RFA étaient membres de la Communauté économique européenne, lui apprenait le Russe. Après la chute du mur et la réunification de l’Allemagne en 1990, les landers de l’Est rejoignent, eux aussi, la Communauté économique européenne. En 2001, Michael Stange vient dans le cadre d’un échange Erasmus à Paris. Il ne repartira pas. « J’ai perdu mon cœur en France », sourit ce diplômé de l’institut d’études politiques de Grenoble. Avant de prendre la direction de la maison de l’Europe nîmoise en 2012, il a tenu durant six ans la maison de Robert Schuman près de Metz. Cet ancien ministre des affaires étrangères français est un des pères de l’Europe. Le 9 mai 1950, cinq ans après la capitulation de l’Allemagne, il propose de mutualiser les ressources nécessaires à l’armement, le charbon et l’acier, sous une Haute autorité commune. Son rêve : mettre fin à « l’opposition séculaire entre la France et l’Allemagne ». Six pays rejoignent la communauté européenne du charbon et de l’acier : France, Allemagne, Belgique, Italie, Luxembourg et Pays-bas.
Maintenir la paix
En 1957, le traité de Rome crée la communauté économique européenne. Peu à peu, les liens se renforcent. En 1993, l’Union européenne est créée. Biens, personnes, services et capitaux y circulent librement. En 2002, elle met en circulation sa monnaie unique, l’Euro. Entre le 6 et le 9 juin prochains, chacun de ses 27 états membres va voter pour élire 720 députés européens. Les citoyens se déplaceront-ils ? Le scrutin de 2019, après 25 ans de baisse, avait vu un bond de participation de 8,06 %. Quoiqu’il arrive, Michael Stange, qui a aujourd’hui la double nationalité franco-allemande, savoure la plus belle victoire européenne : « On a déplacé la bataille d’un champ à l’hémicycle. » L'Europe, elle, a gagné la paix.
À quoi sert le parlement européen ?
Composé de 720 députés, il siège à Strasbourg. Le nombre de députés étant proportionnel à la population des pays, la France en a 81. Élus pour 5 ans, ils se regroupent par affinités politiques. Leur première mission est d’élire le ou la présidente de la commission européenne. Cette commission est un peu le « gouvernement » de l’Europe. Elle est formée par 27 membres, les « commissaires européens ». Il y en a un par pays européen. C’est cette commission qui propose les textes législatifs. Le parlement européen est en quelque sorte l’équivalent de « l’assemblée nationale » française. Il vote les lois. Mais il le fait avec le « sénat » européen nommé « conseil de l’Europe ». Contrairement au sénat français, ses membres ne sont pas élus par les grands électeurs. Il est formé par les ministres des différents gouvernements européens. Le parlement peut amender et discuter les textes de loi. Il s’assure que la législation est bien mise en œuvre. Son approbation est nécessaire pour intégrer un nouvel État. C’est lui qui a le dernier mot sur l’adoption du budget et il contrôle son utilisation. S’il estime que la commission a mal géré un exercice budgétaire, il peut la contraindre à démissionner.
L’Europe à toute vitesse
« Le contournement TGV Nîmes-Montpellier a été financé à 20 % par l’Europe », précise Jean-Luc Gibelin, vice-président de la Région en charge des transports. Grâce à ce tronçon, le TGV peut assurer la liaison Bruxelles-Montpellier à grande vitesse. Il roule aussi très vite entre la frontière et Barcelone. Mais il y a un trou entre Montpellier et Perpignan. La ligne à grande vitesse Montpellier- Béziers est actée. Elle devrait être réalisée en 2032. « L’Europe interviendra dans la perspective de ce prolongement », précise l’élu. La partie Béziers-Perpignan est annoncée pour 2038. Pour qu’il y ait moins de camions sur les autoroutes du Gard, il prône le développement du fret au niveau transeuropéen : « Entre 15 000 et 16 000 camions passent à la frontière franco-espagnole chaque jour. Nous avons demandé que l’État soit plus actif et que l’on aille chercher des financements européens. »
Témoignage « Comment on dit ‘Welcome’ en Français ? »
Informatique, artisanat… huit jeunes gardois accompagnés par les missions locales viennent de passer un mois tous frais payés dans des entreprises grecques.
Les perles turquoise roulent entre ses doigts, régulièrement. Elles filent puis ressurgissent. Jihane, est rentrée de Grèce il y a neuf jours, mais elle ne quitte plus son komboloï, bracelet grec en forme de chapelet. Cette jeune fille de 19 ans qui n’avait jamais vécu hors du cercle familial a passé un mois à Kalamata dans une boutique de souvenirs. « J’ai pu ‘welcome’ des clients… Ah… Comment on dit ce mot en Français… », hésite cette brune aux longs cheveux enroulée dans une veste en cuir. Sa voisine Anaëlle, 21 ans, titulaire d’un BTS de commerce international, sourit : « ‘Welcome’ c’est accueillir ». Élève au lycée Camus, Jihane avait arrêté les cours en première. La mission locale jeunes de Nîmes l’a orientée vers un stage Erasmus +. Elle en est revenue avec une ferme envie de reprendre ses études.
Huit jeunes accompagnés par les missions locales de Nîmes et de petite Camargue sont partis à Kalamata, ville d’environ 60 000 habitants, du 14 avril au 15 mai. Ils n’ont rien déboursé. Voyages, hébergement, repas, sorties culturelles ont été pris en charge par la Région et par les fonds européens Erasmus +. Avant de partir, ils ont eu deux mois de préparation avec cours d’initiation au Grec et sessions d’Anglais à la maison de l’Europe.
Allocation de stage
Ils ont même perçu une allocation de stage : 400 € de l’Europe et un complément versé par les missions locales en fonction du revenu fiscal. « J’ai eu 700 € », précise Hélian, 21 ans. Lui a travaillé 20 heures par semaine dans une entreprise de systèmes de sécurité. Titulaire d’un BTS systèmes numériques et informatiques, il peine depuis un an à trouver une alternance pour poursuivre en licence. Le stage l’a galvanisé : il a passé des entretiens en visio en parallèle et compte faire valider son niveau d’Anglais avec une certification TOEIC. Et, maintenant qu’il a testé la vie à l’étranger, il envisage pourquoi pas de se tourner vers ce pays « très bon en cybersécurité », le Canada. Romane, cheveux roux coupés courts, Converse aux pieds et robe fleurie, était dans une boutique de loisirs créatifs. Cette passionnée de crochet rêvait après sa licence de lettres modernes d’intégrer un CAP de reliure. « Ce stage m’a conforté dans mon choix. Je vais plus chercher dans l’artisanat ou pourquoi pas dans une librairie », annonce-t-elle.
La mission locale envoie des jeunes en stage Erasmus + avec la maison de l’Europe depuis 2017. Une cinquantaine part chaque année. « On se demandait si ça répondait vraiment à nos attentes. Pour le premier départ, on avait ciblé Barcelone, pas très loin, témoigne Guillaume Gollier, directeur de la mission locale de petite Camargue. Aujourd’hui, on n’a aucun doute, on n’a aucun mal à trouver les volontaires. C’est une ligne en plus sur le CV qui est très intéressante ». Estelle Masschelein confirme. Quand on commence à évoquer son stage à Berlin l’an dernier, on ne l’arrête plus. Elle n’avait jamais quitté la France et avait décidé de faire une pause d’un an après le bac quand la mission locale l’a aiguillée vers Berlin. Aujourd’hui étudiante en Langues étrangères appliquées, elle se dirige vers une carrière à l’international : « Ce voyage m'a permis d’oser, oser aller vers les autres et le monde extérieur. Il m’a permis de gagner en confiance en moi, de booster ma motivation et mon ambition. » Une autre stagiaire partie avec elle l’an dernier, Cécile Mirot, vient de boucler sa valise. Elle retourne à Berlin pour une formation longue durée.