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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 07.08.2023 - Sabrina Ranvier - 7 min  - vu 2793 fois

FAIT DU JOUR Arles, l'ultra-branchée

Un photographe de rue s'installe devant l'hôtel de ville. Les rencontres
de la photo ont été fondées en 1969 par le photographe Lucien Clergue,
Jean-Maurice Rouquette et l'écrivain Michel Tournier. Arles abrite la seule école d'art en France dédiée à la photo. Elle a été fondée en 1982.

- Sabrina Ranvier

19 500. C’est le nombre de personnes qui ont assisté à la semaine d’ouverture des Rencontres de la photographie d’Arles du 3 au 9 juillet. C’est 500 de plus qu’en 2019.

La cité, classée à l’Unesco, a fait la une des médias internationaux en 2021 avec l’ouverture de la tour Luma signée par le « starchitecte » Franck Gehry. En période estivale, ce drôle de bâtiment où on peut descendre certains étages en toboggan, accueille en moyenne 2 000 personnes par jour. En 2022, une autre fondation d’art unique en Europe a ouvert : celle du sud-coréen Lee Ufan. « Arles est devenue un checkpoint », assure l’hôtelier Johann Villedieu. Il accueillait un tour opérateur sud-coréen par semaine. Il est passé à trois. Pour eux, Arles, c’est la Provence, les tournesols. La ville change, devient plus bobo. Des voix s’élèvent contre « le point noir » : Airbnb. En proportion, Arles en a plus que Nîmes.

LUMA, VUITTON® et Airbnb

La maison de luxe Louis Vuitton® consacre un city guide à une trentaine de villes dans le monde. Marseille n’y a pas eu droit, Arles oui. Dans le sillage de la tour Luma inaugurée il y a deux ans, les fondations d’art et les galeries se multiplient tout comme les meublés de tourisme.

L'été venu, la cave à vin le Buste et l'oreille accueille une librairie éphémère Louis Vuitton®. • Sabrina Ranvier

Arles bouillonne en ce lundi 10 juillet. Le festival de la photographie vient de battre un record : 19 500 personnes ont assisté à sa semaine d’ouverture. Et c’est parti pour durer. Partout en ville, on croise des curieux armés du plan turquoise fléchant les 45 expositions du festival. Il n’y a pas que la photographie qui aimante. La peau proté-gée du soleil par des parapluies, un groupe de touristes d’origine asiatique traverse au pas de course la rue qui part du théâtre antique. Devant la fondation Van Gogh, un couple d’une soixantaine d’années avec un fort accent anglais s’installe dans un vélo taxi. D’autres touristes se posent sur des transats à l’ombre du patio de l’espace Van Gogh pour la sieste musicale du festival des Suds. À deux pas de là, la cave à vin Le buste et l’oreille a refait ses vitrines pour l’été. Toutes portent le logo Louis Vuitton®. Le caviste accueille pour la cinquième année une li-brairie éphémère qui commercialise des Louis Vuitton® city guide. Los Angeles, Sydney, Tokyo, Londres… une trentaine de villes seulement bénéficient de ce guide. Parmi elles, trois françaises : Reims, capitale du Cham-pagne, Paris et Arles.

Figure de proue de l’art contemporain

Arles est devenue hyper branchée. En 5 ans, trois maisons de couture y ont créé des évènements. Gucci a défilé aux Alyscamps en 2018 et Jacquemus au Salin-de-Giraud en 2022. Hermès a organisé début juin une fête à la manade arlésienne Henri Laurent. La maison de parfum Fragonard a ouvert une boutique et des chambres d’hôtes non loin du café jaune peint par Van Gogh. Le parfumeur a aussi acquis un bâtiment pour y créer un mu-sée du costume.

En juin 2021, la cité arlésienne a connu un faramineux coup de projecteur international avec l’inauguration de la tour Luma où la fine fleur de l’art contemporain est exposée. En 2022, le peintre et sculpteur sud-coréen Lee Ufan a lancé sa fondation dans un hôtel particulier. Cet été c’est la fondation belge Thalie qui s’est installée à Arles. En période estivale, 2 000 personnes viennent en moyenne visiter chaque jour la tour Luma.

« Avec la promotion faite autour de la ville, Arles est devenue un checkpoint », reconnaît Johann Villedieu, directeur de l’hôtel quatre étoiles le Rodin. Il voit arriver cette année, des Australiens mais il précise qu’en été, il fait 40 % de son chiffre d’affaires avec des Coréens. Il reçoit des tours opérateurs coréens depuis 2014. Il est passé d’un bus par semaine à trois. Selon lui, cette clientèle ne vient pas pour Luma. Eux sont avides de paysages de Provence, de tournesols. Ils restent une nuit et découvrent la France en six étapes : le Bordelais, la Loire, le Mont-Saint-Michel, Paris, Grasse et Arles.

Cette ancienne boucherie a été remplacée par une galerie d'art quartier de la Roquette.  • Sabrina Ranvier

Commerces branchés

« On a la chance d’avoir un taux de vacance des commerces faible. Il est en-dessous de la moyenne nationale », se réjouit Xavier Savary, président d’Arles Shopping qui fédère des associations de commerçants du centre-ville. Même s’il pense que la communication de Luma est un peu « spéciale », il savoure la chance d’avoir une « attrac-tion internationale comme la tour » qui a permis à Arles « d’avoir une visibilité ». Il salue aussi le lancement du premier festival du dessin en mai qui a « vraiment très bien marché » : « On a un vrai progrès, la saison dure plus longtemps ». En ville, cet été, on voit peu de boutiques fermées. Mais les commerces de proximité, boulangerie, épiceries, sont peu nombreux. « Dans le centre ancien, dès qu’un commerce fermait c’était une galerie qui s’installait », pointe Manon, employée dans une boutique de vente en vrac. Dans le quartier de la Roquette, une devanture ancienne rouge accroche le regard. L’enseigne indique « boucherie », mais c’est une galerie de pein-ture. Dans le quartier, un concept store propose « home staging », brocante, expositions photo, atelier poterie… Un tiers-lieu distribue des flyers pour une « yoga fiesta ».

« Mon quartier devient hyper bobo dans le bon et le mauvais sens. Toutes les maisons autour de nous sont ache-tées par des Parisiens », observe une native d’Arles qui vit à la Roquette. Pour elle, rien n’est tout blanc ou tout noir. Côté pile, le quartier a été rénové, des jasmins poussent partout. Côté face, la mixité s’efface. « J’aime bien quand il y a des gitans et des arabes à côté. Là, tout devient lissé et policé, ajoute-t-elle. Il y a une fracture avec ceux qui ont moins de ressources. Le centre est sublime et rénové, la bordure avec les quartiers de Barriol et de Grifeuille est ghettoïsée ».

Bulle immobilière

Selon le Figaro immobilier, en 5 ans, le prix médian au m2 à Arles aurait grimpé de 42 %. « Il y a eu une grosse euphorie », confirme Frédéric Benouw, de l'agence Orpi immobilier. Des Parisiens, des gens ayant une bonne situation dans le milieu de la culture ou qui s’en approchent, avaient jeté leur dévolu sur le centre ancien. Ils vou-laient de la pierre, du cachet. Essentiellement pour de la résidence principale. Ils venaient là pour profiter de l’effervescence culturelle mais pas uniquement. Comme Nîmes, Arles a connu un afflux de citadins rêvant de télé-travail au soleil.

« On a atteint 4 500 à 5 000 euros le m2 pour des studios de type T2. Aujourd’hui, il est plutôt autour de 3 000 à 3 500 euros le m2. Arles a eu le vent en poupe mais cela s’est essoufflé », modère Frédéric Benouw, agent immobi-lier à Arles depuis 20 ans. Depuis 6 à 8 mois, il observe plutôt une stagnation ou une légère baisse. La demande est moindre et les prix affichés, qui étaient beaucoup trop au-dessus de la valeur réelle du bien, ont baissé.

La classe moyenne ne se loge plus dans le centre. Elle vise les lotissements en périphérie. À cause des prix mais pas seulement. « Le centre-ville est devenu piéton. Ce n’est pas pratique. Notre agence est rue de la République. On ne demande plus aux gens de passer avant les visites car ils ont du mal à se garer et que le stationnement est trop cher », reconnaît-il. Les étudiants aimeraient bien trouver des logements dans le centre. « J’ai un seul T2 meublé en location, se désole Frédéric Benouw. Il y a quelques années en arrière, je devais en avoir une dizaine à la même époque ».

Les boîtiers à clef pullulent dans les petites rues autour des arènes, à  la Roquette.  • Sabrina Ranvier

Phénomène Airbnb

Le marché des locations est grignoté par les meublés de tourisme type Airbnb. Les boîtiers à clef pullulent dans les petites rues autour des arènes, à la Roquette. Selon l’office du tourisme, Arles, 50 000 habitants, compte 1 600 meublés de tourisme en pleine saison. Nîmes, 150 000 habitants, abrite 2 700 meublés de tourisme. Arles a 16 meublés de tourisme pour 500 habitants alors que Nîmes en a 9 pour 500 habitants.

Il y avait 1 200 lits à disposition de plateformes collaboratives type Airbnb à Arles en 2018. « On a eu une poussée exponentielle. Cela déséquilibre la vie de toute la ville », met en avant Patrice Tommasi, président de l’UMIH du pays d’Arles. Il dénonce le fait que les meublés de tourisme ne soient pas soumis aux mêmes normes de sécurité et n’aient pas la même taxation fiscale. Sylvie*, Arlésienne qui vit à la Roquette, met en location un studio dans sa maison sur Booking depuis 4 ans : « Au début, il était seulement rempli en juin-juillet-août. Maintenant il est tout le temps plein. » Elle demande deux nuits minimum. Certains restent une ou deux semaines. « Ce sont des gens déli-cieux qui ont un certain pouvoir d’achat. J’ai eu des Allemands, des Italiens, des gens qui viennent d’un peu par-tout et qui ont entendu parler de cette destination de dingue. » Cette location lui permet de compenser les études à Paris de son fils. Sébastien Abonneau, président de l’office du tourisme, estime que sur les 1 600 meublés de tourisme, 800 sont détenus par des Arlésiens. « Pour certains c’est un revenu de complément », constate-t-il.

Arles, affiche, selon l’Insee, un taux de pauvreté de 24 %, c’est inférieur aux 29 % de Nîmes, mais supérieur aux 14,3% de moyenne nationale. Est-ce que le tourisme et le tout culture suffiront à doper l’économie arlésienne ? La Ville qui abrite l’école du film d’animation 3D MOPA ainsi que l’école nationale de la photographie, souhaite qu’Arles se développe autour de l’image fixe et de l’image animée. En 2022, elle a créé l’association Arles créative pour attirer les nouvelles entreprises, formations et évènements autour de cet univers. Pour que le studio TPNZ, en plein développement, ne quitte pas la ville, elle lui a vendu l’ancienne école Léon-Blum. Le magazine municipal de l’été estime qu’avec cette opération, « environ 220 créateurs vont être employés à court terme »

Sabrina Ranvier

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