FAIT DU JOUR Circuits courts, nouveaux services… Ils veulent vendre autrement
Sébastien Duboz élève des chèvres sous les chênes en Cévennes, mais il est aussi actionnaire d’une grande surface, le Mas des agriculteurs. Ce magasin de 900 m2 qui ne vend que des produits locaux a enregistré 160 000 visiteurs en 2024. En quatre ans, il a gagné 40 000 clients. Un autre bâtiment XXL, la halte paysanne, trône le long de la route de Saint-Dionisy. Il cache une boutique mais aussi des ateliers pour agriculteurs. Tous veulent vendre autrement. La grande distribution traverse une zone de turbulences. Casino a vendu tous ses supermarchés et hypermarchés gardois. Le groupe veut se recentrer sur « la proximité ». Les hypermarchés sont-ils à bout de souffle ?
« On a eu 160 000 clients au mas des agriculteurs en 2024 »
Ouverte en 2019, cette grande surface ne vend que des produits locaux. Elle compte 185 actionnaires. Leur point commun : ils sont tous agriculteurs et gardois.
Un homme tient une énorme bouteille de vin. Un autre croise les bras, planté dans son champ de vigne. Son sourire est timide, discret. Un couple, chapeau de cow-boy vissé sur la tête, éclate franchement de rire… Ces clichés couvrent un immense mur dans l’entrée du Mas des agriculteurs. Ces vignerons, éleveurs, oléiculteurs sont les fournisseurs de ce commerce de plus de 900 m2. « On n’a pas pu les mettre tous en photo. On a environ 600 apporteurs dont une centaine sur le fruit et légume », décompte Jean-Paul Robert, le directeur. Cette année, le Mas des agriculteurs a enregistré « une petite progression de son chiffre d’affaires ». Mais ce qui l’intéresse avant tout, c’est l'augmentation du nombre de clients. Et les indicateurs sont au vert : « On voit des familles qui viennent le samedi faire les courses avec leurs enfants en leur expliquant les produits. Nous sommes passés de 120 000 clients en 2020 à 160 000 en 2024. » Celui qui travaille sur ce projet depuis 2017 l’avoue : c’est mieux que prévu.
Service de drive et de livraisons
Sur le mur de photos, apparaît un visage au crâne un peu dégarni, c’est celui de Dominique Granier, vigneron à Aspères. Ancien président de la chambre d’agriculture du Gard, c’est lui qui a initié ce projet. « Il voulait absolument un lieu pour vendre les produits des agriculteurs, pour qu’ils soient mieux rémunérés », se remémore Jean-Paul Robert. Le projet a mis dix ans à aboutir. La chambre d’agriculture possédait un terrain constructible à côté de son siège nîmois. Pour financer le magasin, la chambre revend la maison des vins de l’Espiguette, contracte un emprunt et reçoit des aides de la Région et du Département. Une Société par actions simplifiée est créée. C’est elle qui loue le bâtiment à la chambre d’agriculture. Pour être actionnaire, il faut être agriculteur et gardois. 160 producteurs versent 500 euros pour intégrer le projet. Aujourd’hui, le nombre d’actionnaires atteint 185. « Le bâtiment a été inauguré le 6 juillet 2019 par le ministre de l’Agriculture. C’était un peu un laboratoire, se souvient Jean-Paul Robert. Il fallait prouver que cela pouvait marcher. » Oignons doux des Cévennes, kiwis de Saint-Gilles, pléthore de vins, huiles d’olive… Le Mas des agriculteurs propose presque 7000 références. Pour chaque produit, une petite pancarte indique le nombre de kilomètres parcourus jusqu’au magasin. Pour le lait ou la viande de veau par exemple, le Mas fait se fournit en Lozère ou en Aveyron.
Le magasin a été conçu avec un drive. « On avait une centaine de commandes par jour pendant le confinement. Aujourd’hui, il y en a 5 par jour », reconnaît-il. Près des caisses, dans une zone où flotte un parfum de savon de Marseille, une boîte à idées est installée. C’est grâce à elle que des clients ont obtenu, il y a un an et demi, un service de livraisons à domicile. Accessible à Nîmes et sur les villages du sud de la métropole, il est facturé 5 euros.
Pas de problème d’invendus pour les agriculteurs
Mais justement, côté prix, ce Mas est-il avantageux pour les producteurs ? « On achète la marchandise et on la revend, ce qui leur assure une sécurité importante. Ils nous disent quand ils veulent être payés », détaille Jean-Paul Robert. Pour les fruits et légumes, le Mas compare les prix demandés par l’agriculteur avec ceux des cotations des marchés de gros locaux. « On prend un pourcentage pour les frais du magasin mais le but n’est pas de changer la voiture de fonction du directeur tous les deux ans. Il n’en a pas », éclate de rire Jean-Paul Robert. En 2021, année où « il y a eu un gros regain sur les circuits courts », ils ont pu reverser des dividendes aux actionnaires. « Les autres années, on est un peu au-dessus de l’équilibre, ce qui nous permet de réinvestir dans le magasin ». Jean-Paul Robert reconnaît qu’ils avaient « des produits un peu chers au début comme le beurre et les œufs ». Il explique que ce type de produits a augmenté partout avec l’inflation. Aujourd’hui, le beurre et les œufs du Mas ne sont plus, selon lui, en décalage. Dans une autre vie, Jean-Paul Robert a passé 20 ans dans la grande distribution. Il ne voulait plus travailler de cette manière avec les producteurs : « Au Mas on n’a pas de hausse systématique chaque année comme les grandes surfaces. Les œufs bio ont dû augmenter une fois en 5 ans. » Le Mas n’a, selon lui, pas trop souffert de l’inflation : « Les producteurs qui en avaient besoin ont augmenté. Mais ils essaient de nous répercuter le moins possible. Au premier janvier, j'ai dû recevoir deux hausses sur 600. »
Les clients qui privilégient le local
Plus de 90 % des clients viennent de Nîmes ou du Sud de la ville. Dorothée, 40 ans, petite brune aux cheveux noués, vit à Poulx. Cette fonctionnaire se rend tous les 15 jours au Mas. « Avant j’allais sur le marché de Marguerittes. Ce qui me plait, c’est qu’ils favorisent les agriculteurs locaux. C’est frais, de qualité et les prix sont abordables ». Sylvain, 60 ans, qui travaille dans l’industrie, désigne une salade : « Elle est à 95 centimes. Si vous allez en grande surface, elle est à 1,20 euro et ici elle est jolie. Et petite cerise sur le gâteau, le samedi, il y a dégustation de vin. » Nina, webmaster de 47 ans, estime quant à elle que globalement c’est « un peu plus cher ici ». Derrière elle, à travers une des baies vitrées du Mas des agriculteurs, on aperçoit un concurrent, « Grand frais ». Nina avoue que pour les légumes, elle va « un peu chez les deux » : Grand frais propose des produits exotiques, des courgettes et des fruits rouges en hiver. Par contre, pour la viande, elle va uniquement au Mas.
Sébastien, agriculteur et actionnaire
Quand il décroche son téléphone, on entend tinter des clochettes. Sébastien Duboz répond en surveillant ses chèvres qui grignotent sous les chênes verts. Ornithologue dans l’environnement, il s’est reconverti comme éleveur caprin il y a 8 ans. Il vend au Mas et dans la boutique de producteurs, Terroir Cévennes à Thoiras. Quel système est le plus avantageux ? Sébastien vend davantage de produits au Mas des agriculteurs, mais il estime que les deux sont « complémentaires ». À la boutique, il fixe seul ses prix sur lesquels est prélevé une commission de 10 à 12 % pour payer la salariée et l’entretien du lieu. Il doit y être présent de temps en temps.
Au Mas des agriculteurs, le prix est fixé en accord avec la direction. « C’est un échange, décrit-il. Mais c’est de l’achat revente, c’est eux qui prennent les pertes à leur charge. » En boutique de producteurs, l’éleveur établit seul son prix mais doit gérer les invendus. Comme le Mas, Terroir Cévennes a connu un boom de ses ventes après le Covid. « C’était un effet « nouveau monde », s’amuse-t-il en rappelant qu’en 2021, les gens voulaient consommer local, ne plus prendre l’avion pour ne pas polluer… Les envies de circuit court se sont fracassées sur l’inflation. Terroir Cévennes est descendu « assez bas en 2022-2023 » mais est redevenu positif en 2024. Pour redresser la situation, le magasin a été réorganisé. De nouveaux producteurs sont rentrés, pour élargir l’offre et augmenter le panier moyen. Cette boutique située face à une gare du train à vapeur fonctionne bien en été ou pour Noël. Son défi aujourd’hui est « de fidéliser les habitants locaux ».