FAIT DU JOUR Gaston Doumergue, l’attrapaïre devenu président de la République
Il y a cent ans, le 13 juin 1924, l’Aigues-vivois Gaston Doumergue devenait le premier (et seul) Gardois à accéder à la plus haute fonction du pouvoir exécutif en France. Unique protestant à avoir occupé ce poste, il était très attaché à ses racines. Les taureaux et le football étaient ses passions mais ce qu’il aimait par-dessus tout, c’est son territoire. Retour au début de XXe siècle avec celui que les français appelaient affectueusement « Gastounet » et qui était profondément gardois.
C'est jour de fête et un jeune homme s’écroule dans les rues animées d’Aigues-Vives. C’est un taureau, ou peut-être un cheval, qui vient de le percuter. L’attrapaïre en est quitte pour une belle frayeur, un peu honteux, il se relève et repart à la poursuite de l’animal. Cette scène banale des traditions du sud du Gard se déroule à la fin du XIXe siècle et le jeune homme en question s’appelle Gaston Doumergue. Personne ne le sait ce jour-là, mais, dans quelques années, le natif d’Aigues-Vives deviendra le treizième président de la République française. Le jeune gardois n’y pense probablement pas à cette époque mais il monte tout de même à Paris pour sa licence et son doctorat de droit (1885).
Des ministères en pagaille
Cinq ans plus tard, Gaston s’éloigne encore du Sud puisqu’il devient Substitut du procureur à Hanoï, en Indochine, avant d’être nommé juge de paix à Alger. Les honneurs et les portefeuilles s’accumulent pour le Gardois. Député du Gard (1893), ministre des Colonies (1902-1905), ministre du Commerce, du Travail et de l’Industrie (1906-1908), ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts (1908-10), sénateur du Gard (1910-1921), Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères (1913-1914), ministre des Colonies (1914-1917) et Président du Sénat (1923).
Le seul président protestant de l'Histoire
La carrière politique du Gardois atteint son apogée le 13 juin 1924. À la suite de la démission d’Alexandre Millerand, Gaston Doumergue est élu Président de la République. Il se déclare partisan d’une politique de fermeté vis-à-vis de l’Allemagne face au nationalisme renaissant. Un mois après son élection, le Gardois proclame l’ouverture officielle des Jeux Olympiques de Paris 1924. L’Aigues-Vivois est le seul président français protestant, le deuxième à être célibataire au moment de son entrée en fonction et le premier à se marier durant son mandat. Dans la première année de son septennat, il est à l’origine du titre de Meilleur Ouvrier de France.
Myriam Angevin : « Il aimait les taureaux et la bouvine »
Mais bien avant tous ces honneurs, ce fils de vigneron a débuté sa scolarité dans son village et puis il s’inscrit au lycée de garçons de Nîmes (futur lycée Alphonse-Daudet). Une fois adulte il apparaît comme humaniste, jovial, simple et à l’écoute, un « Président normal » avant l’heure. « Il aimait les taureaux et la bouvine que son père lui a fait découvrir. Il est aussi monté au créneau pour que des corridas puissent avoir lieu à Nîmes » précise Myriam Angevin.
Le décès d'Émile Jamais fait basculer la carrière de Gaston Doumergue
L’adjointe déléguée au patrimoine et la communication de la Ville d’Aigues-Vives travaille sur l’histoire de Gaston Doumergue depuis 2013 et elle estime que la carrière politique du Gardois a basculé en 1893 : « Le décès d’Emile Jamais, qui était un député lui aussi natif d’Aigues-Vives, a influencé l’avenir de Gaston Doumergue car de lui-même il n’aurait pas eu envie de faire de la politique. Il était juge de paix en Algérie et on est allé le chercher car il fallait remplacer un enfant du pays par un autre enfant du pays ». Une fois en politique, l’Aigues-Vivois conserve sa simplicité et son amour pour sa région.
En visite présidentielle à Nîmes et Aigues-Vives
Il préfère les balades en forêt aux mondanités parisiennes. Cela ne l’empêche pas d’être rigoureux et il met un point d’honneur à rédiger lui-même ses discours. Tout naturellement, il réserve sa première visite présidentielle à son département. En octobre 2024, la foule se réunit à Nîmes et à Aigues-Vives pour voir le fils prodigue du pays. « Pour les gens d’ici, son élection c’était le Graal. Quand il est venu, depuis la gare d’Aigues-Vives qui est excentrée à un kilomètre du centre-ville, la foule était massée tout le long, les rues étaient bondées ». Quand il revient sur ses terres, « Gastounet », comme les Français l’appellent affectueusement, revoit ses amis, ses vignes et sa maison.
Gaston Doumergue : « Je vais faire un tour à Mus »
Gaston aime se présenter comme « Le plus simple et le plus modeste des citoyens ». Après le repas, Doumergue utilise parfois une expression « Je vais faire un tour à Mus ». Difficile de savoir pourquoi, mais cela veut dire que le président va faire une sieste dans son bureau. Il n’est pas rare de le croiser aux abords d’un terrain de football pour assister à un match dans les villages gardois. En 1931, c’est lui qui inaugure le stade Jean-Bouin à Nîmes. Après son septennat, il se retire à Tournefeuille (Haute-Garonne), dans la propriété de sa femme, Jeanne Graves.
Retour à la présidence du Conseil en 1934
Mais au bout de trois ans, et après la démission d'Edourd Daladier, le président du Conseil, Paul Doumer, le Président de la République, rappelle le Gardois et lui confie les rênes du Conseil. Gaston Doumergue constitue alors « un gouvernement de trêve, d'apaisement et de justice » qui demande rapidement les pleins pouvoirs pendant neuf mois. C’est donc en novembre 1934 qu’il prend sa deuxième retraite. Il n’en profitera qu’un peu moins de trois ans puisqu’il décède le 18 juin 1937 à Aigues-Vives, là où il était né. De ses dernières heures, il nous reste le témoignage de son épouse : « Il est venu à Aigues-Vives pour se reposer. Il y a rencontré des amis d’enfance et il est allé jusqu’à son mazet du quartier de Garrigouille. En rentrant à la maison, nous nous sommes assis dans la cour pour bavarder et regarder les hirondelles. Il est allé se coucher et le lendemain, il ne s’est pas senti bien et il est décédé ».
Gaston Doumergue : « J’ai placé Nîmes dans mon cœur tout à côté de mon village natal »
Des obsèques nationales sont organisées à Nîmes et l’ex-président est inhumé dans le cimetière d’Aigues-Vives. « C’est à Nîmes que j’ai fait mes études secondaires et que j’ai vécu comme avocat. C’est à Nîmes que j’ai été initié à la vie politique. C’est à Nîmes que j’ai noué de solides amitiés. J’ai donc placé Nîmes dans mon cœur tout à côté de mon village natal. Au cours de ma vie politique je n’ai jamais oublié notre cité, je n’ai jamais oublié les enseignements que j’ai reçu de ses murs », expliquait Gaston Doumergue. Un siècle après son élection à la présidence de la République française, il conserve une image bienveillante et positive. C’est peut-être là sa plus grande victoire. Tout le monde ne peut pas en dire autant.