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Publié il y a 23 jours - Mise à jour le 29.10.2024 - Sabrina Ranvier - 8 min  - vu 582 fois

FAIT DU JOUR La revanche des bistrots

Juliette Arnon est responsable du café Marius qui a ouvert le 1er août sur la place du Marché à Nîmes.

- Sabrina Ranvier

Les cafés vont-ils être classés à l’Unesco ? Une première étape est franchie le 27 septembre. Le ministère de la Culture classe les « pratiques sociales et culturelles dans les bistrots et cafés » au patrimoine culturel immatériel français. Covid, inflation… En cinq ans, 17 cafés gardois ont disparu. Mais la résistance s’organise. 

ENQUÊTE

« Je ne changerai de métier pour rien au monde »

Nathalie vient de quitter la Grande-Motte pour le café de la gare à Aumessas. Cinq ans plus tard, Corentin ne regrette pas d’avoir délaissé l’univers politique pour monter son bistrot.

« SFR bonjour, le numéro que vous avez composé n’est plus attribué ». Il n’y a plus de tonalité au café des arts. Sur place, au rez-de-chaussée de la coupole des halles à Nîmes, les tables bistrot ont disparu. De grands panneaux verts masquent le vide. Placé en liquidation judiciaire en mars, le bar-brasserie n’a pas pu fêter ses 32 ans. Plus loin, boulevard Amiral-Courbet, des panneaux « à vendre » sont scotchés sur les vitres du London tavern, liquidé en avril. Avant le confinement, le 31 décembre 2019, il y avait 468 bars enregistrés sur les registres de la Chambre de commerce et d’industrie du Gard. Le 10 octobre 2024, il en reste 451. En cinq ans, 17 bars ont été rayés de la carte.

Le circuit de Suzette à Saint-Florent-sur-Auzonnet fait partie des disparus. Racheté en janvier 2019, l’unique bar du village a été placé en liquidation judiciaire en septembre 2023. Pourquoi a-t-il fermé ? Un message posté sur Facebook en février 2023 évoque la hausse des matières premières et de l'énergie.

Corentin Carpentier a fêté les 5 ans de ses "enfants denîm". • Sabrina Ranvier

Covid, inflation, etc…

« Les cafés et restaurants ont un rôle social majeur. Mais on n’échappe pas au contexte économique où les gens font attention à leurs dépenses », observe Corentin Carpentier, délégué des cafetiers à l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH). « 70 % des gens utilisent leurs tickets restos dans les grandes surfaces. Ils préfèrent remplir leur frigo plutôt que d’aller au restaurant, affine-t-il. On a souffert de ce manque de pouvoir d’achat ». Il pointe de nouvelles dépenses inexistantes il y a 20 ans qui s’amoncellent aujourd’hui sur certains comptes en banque : abonnements Netflix, Spotify, achat du dernier Iphone… Dans ce contexte économique tendu, il explique que les bars les plus fragiles, ceux qui étaient dans un emplacement moins fréquenté, ont perdu pied. Ce diplômé de l’IFAG a eu une première vie d’employé dans une banque, puis de chargé de mission dans une collectivité territoriale. En 2019, adieu la politique. Il ouvre un bar, Les enfants denîm, rue Fresque : « Faire de la politique pour faire de la politique ne m’intéresse pas. J’avais envie de revenir à la convivialité. » Il reconnaît que la très longue période durant laquelle les bars n’ont pas pu ouvrir pendant le covid a été difficile psychologiquement. À la réouverture, le secteur de la restauration connaît de très vives tensions de recrutement. Il assure que « cela a permis d’épurer » les méthodes de travail du secteur. L’orage serait passé. « Aujourd’hui, on constate une recrudescence de CV qui reviennent », analyse-t-il. Lui n’a pas été impacté. Depuis 2019, il a toujours les mêmes deux salariés en CDI. Ce trentenaire préfère se focaliser sur un autre enseignement de la pandémie : le besoin viscéral de convivialité. « On a pris deux ans de foudre quand les bars ont rouvert ».

Ses yeux sont gonflés de fatigue en ce mercredi matin : la veille au soir, trois tables de son bar étaient remplies d’Irlandais. Un homme l’interrompt. Il réserve pour une soirée d’entreprise. « Ce métier, c’est une rencontre perpétuelle. Je ne changerai pour rien au monde », glisse ce barbu. Mais celui qui a fondé l’Union des jeunes de Provence et du Languedoc pour la défense des traditions, reconnaît que le bistrot est encore plus crucial dans les villages : « Quand il n’y a plus de café, il n’y a plus de vie. »

Mobilisation des élus

« C’est un point de rassemblement, là où on a toutes les informations », confirme Denis Kucharzak, maire de Saint-Florent-sur-Auzonnet. « Dès mon élection en février dernier, j’ai envoyé un courrier au liquidateur pour l’informer que la mairie était prête à racheter la licence IV du circuit de Suzette », confie-t-il. La loi prévoit qu’une licence IV ne peut pas quitter un village sans l’accord du maire. Mais cette protection dure simplement cinq ans. « J’ai mis un verrou », appuie le maire. Un jeune serait prêt à reprendre le café. « Ce sera difficile de faire de la restauration car la cuisine n’est pas aux normes », précise l’élu. Mercredi 16 octobre, le maire a été sollicité par une autre personne pour un projet d’épicerie. Denis Kucharzak les a mis en contact avec le propriétaire des murs pour qu’ils élaborent éventuellement un projet ensemble. « On ne vit plus d’un bar. Il faut que ce soit multiservices », analyse-t-il.

Nouveaux profils

Dans l’Uzège, à Garrigues-Sainte-Eulalie, la commune a sondé les habitants et fait construire un café sur un terrain municipal. Ouvert le 20 juillet, il attire des clients de ce village, mais aussi des communes voisines orphelines de bistrots.

Le bistrot de la gare à Aumessas ratisse aussi sur un large périmètre. « Le café est peut-être le seul dans un rayon de 20 km », reconnaît Nathalie Sanchez. À 55 ans, elle a lâché son travail dans la restauration collective « en bas », à la Grande-Motte, pour reprendre « en haut », le café de ce village de 250 âmes. Elle connaît bien ce village cévenol, où, depuis l’enfance, elle passe ses vacances. Alors quand le gérant du café lui a annoncé qu’à 65 ans, il était fatigué, elle s’est dit pourquoi pas. Son mari artisan-menuisier déplace son activité et elle se lance. « J’ai une fille handicapée, non communicante. Tout le monde la connaît ici ». Entre la maison familiale et le café, aucune voiture ne passe, ce qui lui permet de gagner en autonomie. Nathalie travaille beaucoup avec les associations, va chercher le pain dans le village voisin d’Arre, prend même croissants et journaux sur réservation. En hiver, elle va organiser des concours de belotes.

« Le café multiservices, c’est quasiment un service public. Il permet aux gens de parler », assure Tommy Terraz. Cet ancien chargé de cours en philosophie en université a repris le café de Mandagout il y a un an. Dans son Epicuriette cévenole, il propose de la restauration, des karaokés, des cafés philo. Il a emménagé un coin librairie avec des livres neufs, propose du troc entre livres anciens. Il a une zone épicerie, fait dépôt de pain. Comme il est relais poste, la poste lui verse environ 300 euros par mois, de quoi payer le loyer à la mairie. Peut-on vivre d'un café dans un village de 400 habitants ? Les comptes sont dans le vert mais il prend ses premiers jours de vacances seulement au bout d’un an. Il y a beaucoup d’horaires, beaucoup de trajets pour s’approvisionner auprès des fournisseurs. Cela requiert une bonne santé. Lui avoue qu’il va être contraint de vendre suite à de lourds problèmes de dos. Mais il a déjà trouvé un repreneur, sans avoir passé d’annonce. Il fera la transition en janvier avec un jeune couple qui va revenir s’installer au village. Lui est intermittent du spectacle. Elle est boulangère. « À terme, ils aimeraient faire du pain sur place. Et puis ils ont un petit garçon. C’est bien pour l’école. Elles sont menacées dans nos villages ».

Cafés connectés

En ville ou à la campagne, les bistrots doivent aujourd’hui exister sur les réseaux sociaux. Les clients veulent voir les menus, les annonces d’évènements ou réserver en ligne. Même dans des cafés historiques, on voit apparaître des affichettes avec les codes wifi de l’établissement. Ils sont clairement affichés à l’intérieur du café comptoir le Marius, dernier né des bistrots nîmois. Sur la terrasse de ce bar élégamment décoré en bleu profond, on croise des lycéens qui bavardent, des touristes fatigués mais aussi des personnes tapotant sur un clavier. « On s’est fidélisé une petite clientèle », note Juliette Arnon, responsable de ce bar situé sur la place du marché à Nîmes. Tous les jours, elle voit des gens télétravailler en terrasse. Et oui, le bistrot se métamorphose parfois en bureau.

Didier Kielpinski, le maire avec Patricia Aubert, la gérante. "À la mairie, on va créer un collectif d'utilisateurs pour faire des propositions de produits, et d'activités. C'est maintenant que cela se joue pour que cela tienne dans la durée", reconnaît l'élu. • Sabrina Ranvier

REPORTAGE

« Ça manquait un café ici »

Après plus de 40 ans d’absence, Garrigues-Saintes-Eulalie, village uzégeois de 780 habitants, vient de retrouver un bistrot.

Le bruit sourd de l’horloge de la mairie de Garrigues-Sainte-Eulalie retentit. Il est 10h. Le maire n’est pas à son bureau. Didier Kielpinski boit un café une cinquantaine de mètres plus loin au comptoir de bois clair du « Garric ». L’hôtel de ville est installé dans une ancienne école. La municipalité vient de sacrifier « le jardin du maître » pour y faire construire un bistrot en paille et en bois. C’est la commune qui a choisi la gérante, après un long casting débuté en novembre 2023. La mairie a travaillé en partenariat avec l’association 1000 cafés qui aide à installer des bistrots en zone rurale. « L’association exigeait que deux personnes postulent ensemble et qu’au moins un des deux ait de l’expérience en restauration et cuisine », détaille le maire. Une quarantaine de binômes candidatent. Des Bretons, des personnes vivant en Martinique tentent leur chance… Au final, la mairie arrête son choix sur Patricia Aubert, originaire d’Alès, dont le compagnon propose un service de traiteur.

Piano en libre-service

En ce 11 octobre, le maire a pas mal de détails à régler avec cette dame de 57 ans. Le lendemain, une fanfare, des élus, le sous-préfet viennent pour l’inauguration. Le soir, le café basculera en mode festif pour les habitants. « Une des idées pour début 2025 serait de faire un café d’Occ, on inviterait une personne qui parle Occitan et des anciens du village qui connaissent cette langue », avance le maire. Un sourire passe dans les yeux de Patricia. Elle connaît quelques clients qui pourraient être tentés. Mais celle qui veut que son café obtienne le label « Bistrot de pays » a une demande plus urgente à exaucer : « Tu crois que ce serait possible d’emmener le piano ? J’ai un client qui attend cela avec impatience. »

Une dame du village avait un piano. Elle ne pouvait plus l’utiliser, mais ne voulait pas le vendre. Elle l’a donc offert à la mairie pour qu’il soit installé en libre-service au café. Le maire promet : dès que l’employé municipal est disponible, l’instrument sera livré dans le godet du tractopelle.

Le Garric propose des produits locaux dans son coin épicerie. Le Garric est ouvert tous les jours sauf le mercredi à partir de 7h du matin. Il propose de la restauration à midi ainsi que les jeudis, vendredis, samedis et dimanches soirs. 06 89 15 36 37 ou facebook Le Garric. • Sabrina Ranvier

Ce village de l’Uzège compte 780 habitants. Il abrite un restaurant haut de gamme ainsi qu’un hôtel restaurant 5 étoiles. Mais depuis plus de 40 ans, il n’avait plus de bistrot. En 2008-2009, la mairie a construit une boulangerie et l’a loué à un boulanger avec une exigence : fabriquer son pain sur place. Un foyer salle des fêtes est ensuite sorti de terre.

Pour son deuxième mandat, le maire fait passer un questionnaire aux habitants pour évoquer la construction d'un café multiservices. L’idée est validée. Le projet coûte 560 000 euros, subventionnés à 75 %. Le café propose restauration et coin épicerie avec produits locaux.

Patricia Aubert participe aux fêtes du village pour rencontrer les habitants. Le 20 juillet, les premiers cafés percolent. « J’ai eu beaucoup, beaucoup de monde, se remémore-t-elle. Je me suis rendue compte que les gens attendaient cela avec impatience ». Elle savoure : « J’aime les gens. » Pour appuyer ses dires, elle retrace son parcours : un emploi de vendeuse pendant 25 ans dans des boutiques de maroquinerie et de vêtements ; 14 ans dans une entreprise de laine de roche en Auvergne où elle est devenue manager ; puis un parcours dans la restauration à Alès avec son compagnon...

Un bruit de chaussures à talon résonne dans le Garric. Une dame blonde vient commander un café. Elle s’installe sur la terrasse nord avec une amie. C’est leur tradition, dès qu’elles sortent de leur cours de pilate. Nadia, la blonde, vient de Saint-Dézéry, un village voisin où « il n’y a rien ».

Sabrina Ranvier

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