FAIT DU JOUR Le Gard, champion olympique des fêtes votives
« Si je dis que je supprime la fête votive, je prends le premier train pour le bout du monde », éclate de rire Pierre Mauméjean, maire d’Aigues-Mortes. 299 fêtes votives ont été déclarées en préfecture du Gard pour cette année 2024, soit 52 de plus que l’an dernier. Cette année, le Gard propose même 57 fêtes votives de plus que son voisin héraultais. « Grâce à la fête votive, je triple un mois ordinaire », assure Pierre Caladou, propriétaire du restaurant le Galion à Aigues-Mortes. Alain Moya dit « Momo », propriétaire du Grand Café de Saint-Laurent-d’Aigouze emploie entre 5 et 8 personnes dans l’année. Pendant la fête, il grimpe à une quinzaine d’employés. Pour André Brundu, maire d’Aubord, ces fêtes sont incontournables, économiquement, socialement, culturellement mais elles sont menacées par la hausse des assurances autour des spectacles taurins.
Les fêtes votives sont-elles en danger ?
Pas moins de 180 fêtes votives vont être organisées cet été dans le Gard. Mais les passionnés estiment qu’une épée de Damoclès plane au-dessus de leur tête.
« Monsieur le maire ne souhaite pas répondre aux journalistes ». Attention sujet éruptif. La fête votive de Montmirat aurait dû se tenir le week-end du 15 juin. Mais, cette année, le comité des fêtes de ce village de 471 âmes n’a pas partagé d’affiche annonçant « un festival d’abrivado/bandido » ou autre « apéritif dansant prolongé ». Les manifestations organisées par ce comité sont annulées jusqu’en 2026. L’annonce est tombée par lettre recommandée le 8 février. "Nous avons le regret de vous informer qu'en raison des incidents survenus en 2023 et votre comportement lors de la réunion préparatoire..., nous avons pris la décision d'annuler vos manifestations prévues jusqu'en 2026 tant que la direction de ce comité des fêtes n'aura pas changé", écrit alors le maire. Il reproche notamment au comité des fêtes de ne pas avoir respecté l’arrêté d’heure de fermeture de débits de boissons. La vente de boisson aurait été arrêtée « sur demande de la gendarmerie ». « C’est vrai on a fait une erreur sur le dépassement d’arrêté », admet Thierry Joujoux, président du comité des fêtes. Il a tenté, en vain, de faire appel à des médiateurs extérieurs. Aujourd’hui, le comité « a laissé tomber le combat » : « On n’a jamais eu d’accident grave, de grosse bagarre. Je pense que c’est un prétexte et que le maire a peur. »
Un contexte particulier
D’autres villages ont-ils renoncé à leur fête ? Le contexte de cette édition 2024 est particulier. Le plan vigipirate est à son plus haut niveau, « urgence attentat » et la France aura besoin de forces pour sécuriser les sites olympiques du 24 juillet au 11 août. Police et gendarmerie auront-elles les moyens de sécuriser les multiples fêtes votives gardoises ?
« On a eu beaucoup d’inquiétudes en début d’année, admet Alexis Chabriol, président de l’union des jeunes de Provence et du Languedoc*. On a travaillé avec un collectif regroupant des organisations nationales culturelles, des forains, des intermittents du spectacle, des représentants des arts de la rue… » Ensemble, ils ont écrit au Premier ministre, au président de la République. Leurs inquiétudes ont été médiatisées. Ce lobbying a-t-il joué ? Aujourd’hui, Alexis Chabriol est serein : « Au final, les maires n’ont aucune restriction sur les fêtes votives. Le préfet du Gard nous a rassurés. »
Dans un communiqué de presse envoyé le 26 avril, la préfecture précise qu’« en moyenne 15 % de l’effectif total départemental » de la Direction interdépartementale de la police nationale sera mobilisé pour la période des Jeux Olympiques. Restrictions de congés, maintien de la totalité des réservistes de la police nationale... Elle assure que « malgré l’envoi de renforts gardois » aux JO, « les services resteront en capacité d’assurer les missions liées à la sécurité ». C’est valable, selon la préfecture, pour la police comme pour la gendarmerie.
Plus de fêtes que l’été dernier
Les fêtes votives ne vont pas s’émousser. En juillet-août, 180 fêtes votives ont été déclarées en préfecture. C’est 66 de plus que l’été dernier. Leur durée n’a pas été restreinte : 482 jours déclarés cet été contre 409 l’an dernier. À Saint-Laurent-d’Aigouze, la fête est par exemple programmée du 17 au 25 août. « Nous maintenons les choses comme chaque année : 9 jours de fête, 9 courses camarguaises », témoigne Thierry Féline, le maire. Celle d’Aubord est prévue du 3 au 7 juillet. La commune fera appel à des vigiles comme elle le fait depuis une dizaine d’années. Le maire, André Brundu, a rencontré préfecture et responsable des gendarmes : « Avant, ils avaient des gendarmes mobiles. Là, ils les remplacent par des réservistes. » Début juin, ces maires évoquaient un seul changement : des discussions étaient en cours concernant les horaires de fermetures tardifs.
Alerte sur les assurances
« Pour cet été, je ne suis pas inquiet car la saison est déjà lancée, annonce Alexis Chabriol. Là où on a du mal à se prononcer, c’est pour la suite. On a eu une grosse sonnette d’alarme fin 2023 ». Cette alarme est en fait la hausse des assurances pour les spectacles taurins. « Pour moi, le plus gros danger, ce sont les assurances, pas les animalistes », assène André Brundu, qui préside la Communauté de communes de petite Camargue. Pour les spectacles taurins, communes, comités des fêtes et manadiers doivent être assurés. Les communes sont considérées comme « organisateur » et les manadiers comme « producteurs ». « On a été augmenté de 40 % par notre assurance, confie André Brundu. On avait pas mal de préjudices où on était hors de cause mais c’est comme en voiture, si vous avez trop d’accidents, même hors de cause, ils vous augmentent ». Les maires prennent des mesures de sécurité. Mais difficile de tout prévoir sur des spectacles très fréquentés. « Je peux avoir 20 000 personnes pour un abrivado le dimanche », reconnaît Pierre Mauméjean, maire d’Aigues-Mortes. Même s’il estime que la fête votive est essentielle, il admet que c’est « toujours l’angoisse permanente pour un maire » et avoue être « très soulagé quand cela se termine ».
Dérapages de spectateurs
Alexis Chabriol qui passe ses week-ends sur les fêtes votives a vu des spectateurs utiliser des extincteurs, des rubalises, tendre des nappes en papier d’un bout à l’autre de la route. À Mas-Thibert, il a interpellé des jeunes allumant un feu sur la route : « Quand je vois ce genre de choses, je ne vais pas applaudir. Est-ce que les gens veulent voir un défouloir ou un beau spectacle ? » Pour lui, il est essentiel d’adopter un nouveau comportement et de rééduquer aux traditions.
André Brundu aimerait faire évoluer la loi. Il assure qu’actuellement, « si on a pris toutes les normes, au pénal, on est couvert ». Le problème viendrait du civil : « L’assurance adverse se retourne contre le propriétaire de l’animal, le manadier, qui perd au civil. » La loi prévoit que les propriétaires de chiens, chats, taureaux… sont responsables civilement des dégâts occasionnés par leurs animaux. André Brundu souhaiterait que, quand une personne se met en danger sur un parcours, ce soit sa responsabilité civile qui paie. La sénatrice LR Vivette Lopez a déposé une proposition de loi au sénat en 2020. L’idée est que la victime, en acceptant le risque par sa participation aux célébrations, ne pourrait plus mettre systématiquement en cause la responsabilité du propriétaire de l’animal. Pour que ce dernier supporte l’entière indemnisation du préjudice, la victime pourrait « prouver que ce dernier a commis une faute ». « Tout le jeu actuel est que cette proposition soit mise à l’ordre du jour par le bureau du sénat, explique Pascale Mourrut, attachée sénatoriale de Vivette Lopez. On pourrait aussi la déposer éventuellement sous forme d’amendement par exemple sur un texte sur les assurances ». Une proposition similaire a été déposée en octobre à l’Assemblée nationale par les députés RN Nicolas Meizonnet et Yoann Gillet.
Prévention pour réduire les risques
Le sénateur gardois LR Laurent Burgoa a quant à lui interpellé Thomas Cazenave, ministre des Comptes publics, au sénat, en octobre sur les manadiers « à l’agonie ». Ce dernier a répondu que le gouvernement veillerait « à l’accès à une assurance dans des conditions de couverture raisonnable des communes et manadiers ». Mais il a aussi appelé aux « efforts de prévention les plus ambitieux possibles des organisateurs de ces fêtes, afin de réduire les risques associés ». La fédération des manadiers travaille sur une charte pour des abrivado de qualité. Un travail fait de consort avec le cabinet du préfet du Gard. D’après la préfecture, cette charte « est en cours de finalisation de rédaction ».
*Cette association lancée en 2015, regroupe 3 000 adhérents. Elle défend traditions et fêtes votives.
299
fêtes votives ont été déclarées auprès de la préfecture du Gard pour l’année 2024.
242
fêtes votives ont été déclarées auprès de la préfecture de l’Hérault pour l’année 2024.
Un été très dense dans le Gard : Juillet - août 2023 =
114
fêtes votives, soit un total de 409 jours de fêtes votives
Juillet - août 2024 =
180
fêtes votives, soit un total de 482 jours de fêtes votives. Source préfecture du Gard