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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 15.11.2023 - Sabrina Ranvier - 3 min  - vu 1672 fois

FAIT DU JOUR Les histoires de famille de l’économie gardoise

"Les bambous ne s'épanouissent pas uniquement en Asie. "Certains bambous peuvent résister à moins 20 degrés", indique Valentine Crouzet. 

- Sabrina Ranvier

250 000 visiteurs déambulent chaque année à la Bambouseraie. Mais connaissent-ils Muriel Nègre, sa fille Valentine et la saga familiale qui se cache derrière ces 210 variétés de bambou ? Dans les années 60, on démoustique la Camargue, on développe des stations balnéaires. Un certain Ernest Penchinat se lance dans la construction de résidences secondaires. 60 ans plus tard, deux de ses petits-fils et trois de ses arrière-petits-fils gèrent cette entreprise qui construit des résidences Villégiales. Les filles de la famille forment le conseil de surveillance de cette société 100% familiale… La holding Tissot est spécialisée dans l’immobilier de bureau et d’entreprise. Ses dirigeants ont tous un air de famille et la même carrure de rugbyman… Guy Bastide, n’est pas du genre à faire des compliments. Mais, à 84 ans, il félicite son fils Vincent pour avoir fait entrer Bastide médical dans une dimension internationale.

"Les bambous ne s'épanouissent pas uniquement en Asie. "Certains bambous peuvent résister à moins 20 degrés", indique Valentine Crouzet.  • Sabrina Ranvier

La famille Nègre : des bambous et des dames

Souvent, l’une commence une phrase et l’autre la termine. Sans qu’elles aient besoin de se concerter. Quand on leur demande quel est leur endroit préféré, celui où chacune aime se réfugier à la Bambouseraie, Muriel, la mère, répond aussitôt la Gloriette. « Non mais c’est ce que j’allais dire !, conteste vivement sa fille Valentine. Est-ce que toi tu jouais là-bas petite ? Parce que moi j’y jouais. On s’y sent comme dans un cocon, il y a de l’eau à côté. C’est toute une atmosphère. » La mère confirme. Les deux éclatent de rire. Elles ne savaient pas qu’elles partageaient le même lieu fétiche dans ce jardin de 16 hectares.

Muriel Nègre est présidente de ce parc qui abrite, à Générargues, 210 variétés différentes de bambous. Valentine Crouzet, sa fille, est, depuis septembre 2020, directrice générale. Un de ses frères gère les pépinières de la Bambouseraie. Valentine a troqué un open space dans une tour à la Défense contre un bureau à l’étage d’une ancienne ferme. De ses fenêtres on voit frémir les bambous.

Muriel Nègre et sa fille Valentine Crouzet. Cette dernière avait commencé à donner un coup de main en été à l'adolescence. Son fils aîné âgé de 11 ans lui a déjà demandé quand il pourrait le faire à son tour. • Sabrina Ranvier

« Ma mère me laisse prendre mes décisions. Quand j’ai besoin, je lui demande conseil », précise Valentine qui gère une équipe de 27 employés. « Je la laisse faire. Il n’y a que comme cela que l’on apprend, ajoute sa mère. Et surtout, je lui dis qu’un échec n’est jamais un échec. »

Vente aux enchères

En 2004, après 32 ans de mariage et quatre enfants, Muriel divorce. Elle reprend seule la bambouseraie. Le site a été meurtri par les inondations de septembre 2002. « Cela a été très dur. Mais le lieu force à l’exception, confie-t-elle. C’est un diamant. Mais ce n’est pas mon nombril, je le dois à Eugène Mazel. »

Avec la fortune héritée de son oncle marseillais, ce Cévenol fou de végétaux construit un jardin avec des palmiers à Saint-Jean-Cap-Ferrat et rachète une propriété agricole à Générargues. Au pays des mûriers et des châtaigniers, il plante bambous et palmiers dans l’ancien lit du Gardon. Après des déboires de trésorerie, il meurt ruiné. La bambouseraie est hypothéquée.

La banque la récupère puis la vend aux enchères à la bougie à Alès. Les parents de Gaston Nègre l’achètent pour leur fils qui travaille dans une banque. Il se fait aider par des spécialistes du jardin des plantes de Montpellier. L’aîné de ses fils, ingénieur agronome, prendra la suite. Avec son épouse, il ouvre le parc au public en 1953 mais meurt dans un accident de voiture en 1960. « Ma mère s’est retrouvée veuve à 36 ans avec deux enfants. Elle ne conduisait pas », se souvient Muriel Nègre. Sa mère se retrousse les manches, Muriel, elle, entame des études au lycée agricole de Rodilhan.

À 19 ans, cette femme aux yeux rieurs épouse un ingénieur horticole, Yves Crouzet, et devient rapidement mère de famille. Monsieur travaille à Marseille. Muriel tourne en rond dans une grande barre, s’échappe au parc public. Son mari trouve un nouveau poste et un nouvel appartement à Montpellier. « J’ai réussi mon permis après quatre échecs. J’avais une 4L, je pouvais m’évader de la ville », raconte-t-elle avec gourmandise.

En 1976, le couple reprend la bambouseraie. Mais il faut rembourser la part du frère de Muriel. Comme elle n’a pas de diplôme, c’est son mari qui obtient des prêts à taux bonifié de jeune agriculteur. Depuis 2004, elle gère seule. En 2006, elle fait aménager un vallon asiatique très zen. Valentine, elle, met en place un jeu de piste, des ateliers pour les familles, les scolaires… Ses trois enfants savourent le grand air avec leur grand-mère à la Bambouseraie : « J’interdis la télévision. Je leur mets des bottes en caoutchouc et cela se termine avec le jogging mouillé et de l’eau dans les chaussures. »

Sabrina Ranvier

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