Publié il y a 2 h - Mise à jour le 12.12.2024 - Anthony Maurin - 6 min  - vu 59 fois

GARD L’empègue, vous connaissez ?

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

Claude Dubois, Jacques Durand, Jean Rouy, Frédéric Saumade et Clément Serguier se sortent L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire aux éditions A l’asard Bautezar.

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
Derrière un éditeur facétieux, L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

Remarquez que sur la couverture, l’humilité était de mise. Aucun nom en grosses lettres, aucune trombine mais un discret taureau et trois petites illustrations pour imaginer l’idée de la chose. À l’image d’une empègue elle-même, nulle personnification pour un collectif et un "cinq majeur".

« On gratte, on touche le sujet au plus près, on va aux racines » explique Clément Serguier, coauteur et éditeur du livre en question.

Sous le signe de l'hospitalité, des icônes identitaires, les « empègues », ornent portes et façades d'un habitat languedocien. Représentations collectives de la jeunesse, fervente de la bouvine, ces insignes imagés témoignent d’une belle fidélité et d’une longue mémoire.

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

Près de quarante villages sont recensés dans cette approche patrimoniale, au cœur de la Petite Camargue, entre le Vistre et le Vidourle, avec le rituel des Aubades suivi du marquage au pochoir. À partir des cartes, archives, documents et d'une riche iconographie, les auteurs relatent l'expression d'un art populaire et contemporain.

« Très étonnamment, j’étais le premier à ne pas connaître ça ! Mais je n’étais pas le seul à ne pas connaître… Parfois, même des gens qui s’intéressent à la bouvine ne connaissent pas l’empègue ! Je suis moi-même du Gard rhodanien et là-bas on n’a pas cette pratique. »

Allant parfois du côté de Maussane pour assister à quelques courses, Clément Serguier ne connaissait pas les empègues et encore moins leur histoire. En bon éditeur qu’il est, il s’est alors posé la question de faire un livre dévoilant au grand jour cette pratique ultra localisée.

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

Clément Serguier a publié en 2023 deux ouvrages de Jean-Baptiste Fabre en rééditant Histoira dé Jean l'an prés, Histoire de Jean-l'ont-pris et Lou Siégé dé Cadarôussa, Le siège de Caderousse. Un amoureux des belles choses qui fait le bonheur des éditions A L'asard Bautezar.

Mais revenons à L’empègue. Enfin presque. « Pour faire ces livres on a travaillé avec des universitaires de Montpellier, des gens qui connaissaient les sujets, des spécialistes de la littérature occitane et je me suis rendu à Aubais. J’ai visité le merveilleux château et j’ai vu, dans les rues, ces drôles de dessins, les empègues. »

En passant à nouveau par Aubais huit mois plus tard, le déclic arrive. « Ça m’a vraiment intrigué et j’ai vu un beau sujet ! J’en ai vu ailleurs, j’ai un peu enquêté au Cailar ou encore à Beauvoisin, c’est là que le travail a commencé. »

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

C’était il y a moins de deux ans, l’éditeur mais aussi auteur s’est rapproché du maestro des mots, Jacques Durand, qui, dans les années 1980 avait déjà fait un livre sur le sujet mêlant ses textes et des photos en noir et blanc. Sans doute le seul livre sur la question et tiré à très peu d’exemplaires.

« Je connaissais Jacques Durand par ailleurs, je lui demande s’il acceptait que je reprenne son texte et qu’on l’illustre. Je lui ai aussi demandé s’il connaissait quelqu’un qui connaissait le sujet, un peu intello et il m’a suggéré Frédéric Saumade qui a fait un chapitre. » Ont intégré le projet, Claude Dubois pour les cartes et Jean Rouy pour la littérature.

Un entretien avec le ferronnier d’art Yves Martin était aussi nécessaire à l’élaboration de cet ouvrage quasi exhaustif. Yves Martin, originaire d’Aubais, a déjà mis son talent au service de la préservation des traditions locales et du patrimoine car il a, dans les années 1980, réalisé qu’avec le temps les anciennes empègues s’effaçaient sur les façades aubaisiennes. Il a reconstitué toutes les empègues du village depuis 1949.

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

De multiples rencontres avec un autre aubaisien, Claude Viallat, viennent agrémenter le livre d’une substance artistique contemporaine.

« Claude Viallat et Yves Martin sont frère de lait, nous avons beaucoup parlé, y compris avec Frédéric Saumade. Claude Viallat a sorti un texte en langue d’Oc qu’il avait écrit alors qu’il faisait sa thèse aux Beaux-Arts de Montpellier. Ce texte n’existe pas, nous l’avons traduit et reproduit. »

À Beauvoisin, par exemple, c’est vers un autre Claude, Claude Aubat, qu’il dirige ses interrogations. Comme l’a fait Yves Martin, Claude Aubat a recensé les empègues de Beauvoisin qu’il a ensuite reproduit chez lui.

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

« L’intérêt de tous ces entretiens était d’apporter quelque chose en plus. J’ai voulu apporter, par ces collaborations, une contextualisation. De quoi parle-t-on ? Le taureau est-il le point de départ ? C’est quand même la ferrade et le marquage… Il était nécessaire de trouver des textes anciens, notamment du XVIIIe siècle, d’autant que c’étaient les conscrits qui faisaient ça ! Depuis, ç’aurait pu s’arrêter mais pas du tout. »

Parler empègue sans parler taureau ? Non ! Les sujets sont intimement liés, quoi qu’on puisse en dire ou en penser.

« On a quand même recensé 40 villages et trois dans l’Hérault. On a peut-être oublié une bricole mais il n’y a rien à Arles ou aux Saintes-Maries… En Espagne ou encore en Amérique latine, cette symbolique-là n’existe pas ! Un modèle de référence sert à la communauté, c’est très différent d’un tag. C’est une structure sociale de village. C’est une des structures nécessaires car il n’y a rien en ville. Il y a un groupe fraternel constitué de jeunes qui picolent comme des cochons mais qui vivent ensemble. C’est une sorte de rite de passage ! »

L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)
L’empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire (Photo Anthony Maurin)

Pourquoi ici et pas ailleurs ? Une idée, un pochoir et de la peinture, rien de bien fou… « L’esprit communautaire, la ferveur pour le taureau, l’amour de la typicité. Dans le monde un peu flou d’aujourd’hui, cela est très concret. Ce qui me rend heureux c’est justement d’avoir interrogé ces gens du quotidien, qui ont une vivacité locale et loquace, une mémoire. »

Hélas, ce patrimoine encore visible, souvent incompris et fragile, est en passe de disparaître. Dans les centres-villes qui sont en réfection, les façades et leurs marques du temps vieillissent mal. Les dessins festifs s’estompent et tombent dans les affres de nos connaissances. Ces dessins sont pourtant du patrimoine, certes contemporain et du quotidien mais du patrimoine quand même. Il n’y a qu’à voir la joie qu’ont les archéologues de retrouver à Pompéi un graffito antique…

Quelques exemples aubaisiens d'empègues (Photo Anthony Maurin)
Quelques exemples aubaisiens d'empègues (Photo Anthony Maurin)

« Avec mon épouse, avec la photographe, nous avons marché dans ces villes et villages, nous avons vu des travaux, des façades neuves mais pas d’empègues, notamment à Vauvert ou Saint-Gilles. Quelques façades, de temps à autres, semblent préservées, souvent sur les façades de vieilles maisons vigneronnes. »

Devrait-on demander d’inscrire l’empègue au patrimoine immatériel ? Cela n’appartient pas à Clément Serguier qui jette un pavé dans cette mare camarguaise. « Quand on fait un livre, on travaille sur une véracité, la véracité du temps présent. Ce qu’on fait ou dit, dans dix ans, cela ne sera sans doute plus là. Notre rôle est déjà celui du médiateur pour réfléchir à la suite. »

Quelques exemples aubaisiens d'empègues (Photo Anthony Maurin)
Quelques exemples aubaisiens d'empègues (Photo Anthony Maurin)

Et les jeunes dans cette affaire ? Sont-ils encore dans la partie ? Les fêtes votives sont en sursis, les empègues aussi ? Peut-être pas. « Certains portent les empègues en t-shirts ! J’ai grappillé chez eux ce dont j’avais besoin pour écrire ce livre. Cependant, j’ai vu de fausses empègues et toutes ne respectent pas usages et les traditions communes. »

Celles et ceux qui opteront pour l’achat de ce livre auront le sourire aux lèvres, c’est sûr. Un ouvrage détaillé, bien écrit, très bien illustré et recueillant des témoignages d’une fragilité aussi forte que puissante. Une chose à retenir pour celui qui a monté ce projet un peu fou ?

« Un grand plaisir ! Une joie interne et la satisfaction d’y être arrivé. Ce livre ne nous appartient plus mais j’aimerais savoir ce que les gens en pensent. C’est un objet à part dans lequel nous avons rassemblé une actualité, une histoire conséquente et cela n’avait jamais été fait de manière complète. »

Sur le mur des arènes de Vergèze (Photo Archives Anthony Maurin).

Et des curiosités ? « À Parignargues, un toucan, et à Beauvoisin Notre-Dame de Paris ou encore Charli Chaplin sont d’authentiques empègues ! »

Collectivités, bibliothèques, institutions, musées, commerces, cabinets médicaux, écoles, collèges ou lycées, ce petit nécessaire de cet art populaire et contemporain qu’est l’empègue devrait être accessible au plus grand nombre !

Le vendredi 13 décembre, 10h-12h Jacques Durand sera en dédicaces au Super U d’Aimargues et à 18h à la salle des fêtes d’Aubais où Frédéric Saumade et Clément Serguier prendront la relève des signatures. Le 14 décembre, c’est à 18h à Beauvoisin qu’il faudra aller pour les dédicaces de Saumade et Serguier. Enfin, le 17 décembre au Cailar à 14h30 le duo se retrouve pour une ultime séance ensemble avant la dernière séquence entre 16h et 18h à la librairie Goyard à Nîmes où seul Frédéric Saumade sera présent.

L'Empègue art populaire/contemporain, histoire et territoire aux éditions A L'asard Bautezar ! Avec 360 illustrations, 144 pages, au format 22 x 24 cm, relié, 29 euros.

Anthony Maurin

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