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Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 16.04.2024 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 443 fois

LE DOSSIER Entretien avec Patrick Malavieille, conseiller Départemental et Jean-Pierre Rolley, Géologie

Patrick Malavieille a été maire de La Grand'Combe de 1995 à 2023. Il s'est engagé en politique après la mobilisation de Ladrecht. (Photo archives à la mairie de La Grand'Combe). 

- Sabrina Ranvier

Entretien Patrick Malavieille, conseiller Départemental

« Je me suis opposé à la démolition du puits Ricard »

Objectif Gard, le magazine : En 2008, vous avez fait inscrire le puits Ricard Monument historique. Pourquoi ?

Patrick Malavieille : La mine est une belle épopée sociale, humaine, technologique. Il ne faut pas oublier que la première ligne de chemin de fer dans le Gard a été créée pour transporter le charbon de La Grand’Combe à Beaucaire. J’ai toujours travaillé pour que l’on n’oublie pas cette mémoire ouvrière, sans tomber dans la nostalgie. Ce territoire, s’il veut regarder devant, ne doit pas oublier ce qui constitue son terreau social, humain. Quand il y a eu la fin de l’extraction de fond en 1985, il y avait ceux qui voulaient tout garder et ceux qui voulaient tout démolir. Je me suis opposé à la démolition du puits Ricard. Lorsque j’étais président de la commission de la culture à la Région, j’ai fait un dossier pour qu’il soit inscrit Monument historique.

Vous avez lancé le festival de rue « Charbon Ardent » en 2007 pour commémorer la Sainte-Barbe, patronne des mineurs. Est-ce un évènement très fréquenté ?

Sur la totalité de la Sainte-Barbe, nous avons 5 000 visiteurs, c’est autant que la population de La Grand’Combe. C’est un peu notre feria. Au début, quand j’ai lancé ce festival, je n’ai pas toujours été compris, même par les anciens mineurs. Certains disaient que le puits était un lieu de sueur, de labeur. Mais cela a permis de ne pas oublier Sainte-Barbe. C’est un évènement festif qui n’est pas dénué de sens. J’ai aussi lancé un spectacle son et lumière en été au puits Ricard. Il retraçait l’histoire de la ville : de sa création en 1846 jusqu’à la fermeture des mines, en passant par le chemin de fer, la résistance. Il se terminait par une forme d’espérance.

Le centre historique minier de Lewarde dans le Nord a explosé son record l’an dernier avec 180 000 visiteurs accueillis. À Bruay-la-Buissière, on peut louer un gîte dans un ancien coron. À Nœud-les-mines, une piste de ski synthétique est posée sur un terril. Le tourisme industriel est-il un facteur de développement économique ?

La Maison du mineur a démarré à 500 visiteurs par an. Là, on est pratiquement à 14 000. Depuis que sa gestion a été reprise par Alès Agglo, il y a une capacité de communication, d’entraînement. Il y a un billet commun avec la mine témoin. Nous travaillons dans la complémentarité. Sur le tourisme industriel, on a notre carte à jouer et pas seulement sur le charbon, je pense aux forges de Tamaris, à la soie. Ce patrimoine s’ajoute à nos atouts naturels comme l’agropastoralisme des Cévennes et des Causses, classé à l’Unesco.

D’anciens mineurs cévenols disent que « l’esprit des mines » est toujours présent. Qu’en pensez-vous ?

Dans les archives de La Grand’Combe, on trouve des délibérations de 1872-1874 avec la création des premières caisses de solidarité. C’était un milieu ouvrier très pauvre, très dur, mais les mineurs avaient décidé de se cotiser. Dans ma ville, il y a une forte tradition solidaire et c’est aux mineurs qu’on le doit. Même si les gens ont des revenus chiches, on sent qu’il y a une profonde envie d’aider quand il y a des appels aux dons après des catastrophes. Les habitants se sont coupés en quatre pour accueillir des réfugiés d’Ukraine, de Syrie, du Kosovo… Il y a cette volonté de prendre les gens comme ils sont, avec le respect de la différence. La population de La Grand’Combe est à l’image de son sous-sol. La houille a été formée par une superposition de couches. La Grand’Combe a fait travailler dans ses mines des gens de Lozère, d’Ardèche, puis des Polonais, des Italiens, des Espagnols, des Slaves, des Maghrébins.

Jean-Pierre Rolley a publié Le charbon en Languedoc Roussillon. Il a aussi mis en avant un inventeur gardois oublié, Eugène Houdry. Possédant une mine de lignite à Saint-Paulet-de-Caisson, il invente dans l'entre-deux-guerres un processus pour transformer cette variété de charbon en essence. Il applique son procédé aux États-Unis sur du fuel lourd.  • © Sonia Rolley

Parole d’expert Jean-Pierre Rolley, Géologie

« C’est le bassin qui détient le record du monde des dégagements instantanés »

Objectif Gard, le magazine : Le mont Ricateau, le crassier conique qui domine Alès, a été victime d’un incendie en 2004. Vingt ans plus tard, des fumeroles s’en échappent toujours quand il pleut. Pourquoi ?

Jean-Pierre Rolley : Il est toujours en combustion souterraine et cela peut durer encore 50 ans. Quand il pleut, l’eau qui descend dans le crassier se vaporise et ressort sous forme de vapeurs d’eau. Elles sont très chaudes. Il ne faut pas aller sur le crassier, il peut y avoir des petites bouches à plus de 300°C. En se consumant à l’intérieur du crassier, le charbon peut aussi provoquer des petits effondrements ou des petites crevasses. Si quelqu’un fait du vélo sur le crassier et tombe là-dessus, il pourrait se brûler. Mais il y a d’autres crassiers en combustion souterraine en Cévennes. Quand on y donne un coup de pelle mécanique, les flammes sortent. Cela avait été le cas lors d'une étude de projet de déviation de Bessèges. Il y a dans ces crassiers des pyrites, des sulfures de fer qui s’oxydent, s’échauffent et enflamment le charbon.

Reste-t-il encore du charbon dans le sous-sol gardois ?

Il reste certainement pas mal de charbon en Cévennes, mais ce sont des petits panneaux pas faciles d’accès. C’est un bassin très fracturé. C’est aussi le bassin qui détient le record du monde des dégagements instantanés. Le gaz qui se dégage essentiellement est le grisou, mais cela peut aussi être du CO ou du CO2. C’est une des raisons pour lesquelles, on extrayait encore à la fin des années 1970 le charbon au marteau piqueur dans des mines cévenoles. Plus vous allez vite pour extraire le charbon, plus vous amenez de la pression atmosphérique et plus vous augmentez le risque de dégagement. C’est comme un bouchon de champagne. Si on l’enlève tout doucement, tout va bien. Mais si on l’enlève très vite, cela explose. Plus on mécanise et plus on risque des dégagements instantanés.

Le gouvernement lance jusqu’au 7 juillet une consultation publique sur un projet de mine dans l’Allier. On veut extraire du lithium pour équiper 700 000 véhicules électriques par an. Est-ce le retour des mines ?

On savait depuis très longtemps qu’il y avait des métaux rares et du lithium dans ce secteur. Là, on s’y intéresse car il y a des problèmes d’approvisionnement. Maison, outils… le caillou est derrière tout ce que l’homme produit. Pour fabriquer une fourchette et un couteau, il faut trois mines : fer, nickel et chrome. Pour fabriquer un ordinateur, il faut des métaux. Contrairement à une idée répandue, la mine et la carrière ne sont pas des industries du passé mais bien le défi de notre futur. Nous ne pouvons pas continuer à croire que quelques pays lointains nous approvisionnerons éternellement en matières premières abondantes et pas chères. Le défi n’est pas d’aller polluer ailleurs mais d’exploiter proprement avec pondération.

Crassiers sous surveillance

Juillet 2004, les arbres qui couvrent le mont Ricateau et ceux du petit terril voisin flambent. L’incendie gagne leur sous-sol. D’importants travaux sont menés sur le petit crassier. Des pelleteuses plongent les matières en combustion dans une "piscine". Plus de 200 000 m3 de matériaux sont remués. Déboisage, piste de ceinture coupe-feu, clôture… À Ricateau, on effectue des travaux de mise en sécurité. En 2008, Géodéris analyse les risques résiduels des anciens dépôts houillers gardois : 95 sont classifiés avec un risque combustion, 19 forts, 35 moyens et 41 faibles.

Sabrina Ranvier

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