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Publié il y a 2 mois - Mise à jour le 17.09.2024 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 433 fois

LE DOSSIER La bataille des cars scolaires

Urbain, scolaire... La Coop Voyageurs 30 est un réseau de PME et TPE consacré au transport de personnes au service des collectivités. Elle a été créée en 2017.

- © Coop voyageurs 30

400 conducteurs de bus en Occitanie. Depuis, les compagnies de transport, la Région et France Travail s’activent pour attirer de nouveaux profils.

Jeudi 29 août. Nous sommes à quatre jours de la rentrée scolaire et la Coop voyageurs 30 cherche encore une dizaine de postes de conducteurs de bus dans le Gard. « On fera la rentrée, il n’y a pas de souci, rassure alors Élisa Valette, coordinatrice RH. Les chauffeurs présents vont faire des heures supplémentaires. Les mécaniciens, les administratifs qui ont le permis transport en commun vont être sollicités ».

La coopérative est habituée à gérer la pénurie. Depuis 2020, il y avait une quarantaine de recrutements de conducteurs de bus à faire pour chaque rentrée de septembre. Elle parvenait toujours à trouver les candidats pour remettre à flot. Mais, dans l’année, de nouveaux départs ont réduit ses efforts à néant. Cette année, le turn-over a diminué.

Immersion et opération transparence

« On ne veut plus de gens qui font ce métier par dépit. Les entreprises du Gard se sont beaucoup impliquées dans le sourcing de candidats, assène Elisa Valette. On est transparent sur comment cela se passe ». En partenariat avec France Travail, les candidats sont accueillis une semaine en immersion. Ils partent avec différents conducteurs. « On ne sélectionne pas les plus positifs, sourit-elle. Ils peuvent poser toutes les questions qu’ils veulent ». On leur fait découvrir les vrais horaires « dos de chameaux ». Les conducteurs de bus scolaires sont sollicités en général de 5h30 à 10h-10h30 puis de 15h-15h30 à 19h. On ne leur cache pas que les contrats « conducteur en période scolaire » sont suspendus pendant les vacances. Mais on leur explique aussi que les rémunérations peuvent être lissées sur l’année.

Jean-Luc Gibelin, vice-président aux Transports de la région Occitanie. • © Objectif Gard

Diversifier les profils

« En 2021, on s’est retrouvé avec 350 à 400 postes vacants de chauffeurs de bus scolaires. Il y avait de nombreux retraités qui occupaient ces postes et qui ont arrêté à cause des nombreuses contraintes post-covid, analyse Jean-Luc Gibelin, vice-président de la Région en charge des transports. Cela a eu un effet très lourd ». Campagnes publicitaires, numéro d’appel unique… La Région se mobilise depuis 2022. Au moins 750 demandeurs emploi ont été formés gratuitement dans le cadre plan régional de formation. Les entreprises ont été accompagnées lors de portes ouvertes. « C’est un métier pas connu ou mal connu qui permet de faire aussi du transport urbain ou de tourisme », met en avant Jean-Luc Gibelin. L’élu souligne que la profession a fait des efforts pour améliorer l’organisation du travail, pour proposer un temps de travail plus complet. La pyramide des âges s’est rajeunie, féminisée. « On voit des agents immobiliers, des commerciaux, qui se disent « Je n’ai plus envie de courir comme avant », constate Elisa Valette. Il y a des gens qui sont contents d’avoir du temps libre en journée et du contact social ».

Rester vigilant

La bataille est-elle gagnée ? Jean-Luc Gibelin chiffre à une centaine le nombre de postes vacants en Occitanie : « Il n’y a pas de point d’alerte mais il faut continuer à recruter. Pour certains salariés, c’est un complément, donc dès qu’ils trouvent une situation plus pérenne, ils changent. » La Région lancera donc des initiatives en janvier-février pour préparer la rentrée 2025. Mais Jean-Luc Gibelin pense que les instances nationales de la profession, qui ont déjà revalorisé les salaires, pourraient aller plus loin : « Il faudrait une seule et même grille de salaire : les conducteurs du transport urbain sont mieux rémunérés. » D’après la Coop voyageurs 30, un conducteur de bus scolaire effectuant 30h par semaine peut gagner 1 600 € brut par mois, primes incluses.

Cette chercheuse au laboratoire GREDEG-CNRS de l’université Côte d’Azur prépare une thèse de doctorat sur le télétravail chez les personnes salariées, les « nomades corporatifs ». • © Collection privée Claire Estagnasié

« Le travail n’est plus la priorité, la qualité de vie est le critère numéro un »

Claire Estagnasié, chercheuse en sciences de la gestion.

Objectif Gard le magazine : De nombreux secteurs font face à des difficultés de recrutement. Beaucoup d’employeurs disent que les employés priorisent la qualité de vie. C’est une conséquence de la pandémie ? Un choc de générations ?

Claire Estagnasié : Il y a bien sûr une grosse différence entre la génération Z et les précédentes. Les boomers, nés entre les années 50 et le début des années 1970, ont connu la croissance, la prospérité, et n’avaient pas le souci du lendemain. Les gens nés entre les années 1970 et le début des années 1980-1985 ont vécu les chocs pétroliers. Cela marchait moins bien sur le marché du travail mais ils ont quand même gardé les structures de la génération précédente : le fordisme, la hiérarchie. Il y a eu une rupture avec ceux nés entre 1985 et 1995, les Millenials ou « génération Y ».

Ce sont les Millenials qui ont remis en cause l’organisation traditionnelle du travail ?

Ils voulaient plus de flexibilité, casser les codes, être indépendants. Il y avait une remise en cause de la rigidité mais sans couper complètement. Ils ont connu le développement d’Internet. Avant dans une famille où tout le monde faisait tel métier, on ne se posait pas la question. Les réseaux sociaux ont montré plein d’autres modèles, donné envie d’autre chose. La génération suivante, la Z, a connu la pandémie à l’adolescence. Ils ont passé beaucoup de temps devant les écrans. Le travail n’est plus la priorité. La qualité de vie est le critère numéro un.

Les nouvelles générations courent-elles toujours après un emploi stable en CDI ?

Ils ne veulent plus du tout passer leur vie dans la même entreprise. La sécurité, ils n’y croient plus trop. Ils savent que l’on peut être en CDI et se faire licencier. Ils ont du mal à se projeter dans 30 ans. Ils ont grandi dans un univers chaotique où du jour au lendemain tout a été confiné à cause d’un virus. Ils ont peut-être eu des parents séparés, connu plusieurs structures familiales…

Un recruteur du nucléaire gardois était désemparé car son secteur propose pléthore d’emplois avec de hauts salaires, mais beaucoup réclament du télétravail. Ce qui est impossible dans cette filière. Cela vous étonne ?

Le télétravail est un nouveau privilège qui apporte de la liberté spatio-temporelle. Cette envie de télétravailler était quelque chose d’un peu latent avant la pandémie. Cela a explosé ensuite. Certains ont pu travailler à distance, d’autres pas. Cela a créé une petite jalousie, un sentiment de décalage. En général, les métiers où on pratique le télétravail sont plus rémunérateurs. Mais les membres de la génération Z peuvent accepter d’aller au bureau s’ils exercent un métier avec une forte valeur, aligné à leurs valeurs humaines. La question du sens au travail est importante.

Est-ce que l’on manage la génération Z comme les autres ?

Ils veulent des horaires. Les métiers du soin ou de la boulangerie où on peut travailler la nuit peuvent les bloquer. J’ai beaucoup travaillé au Canada. Là-bas, on respecte les horaires. C’est clair et c’est sain. Le monde du travail en France n’était pas très sain. Les contrats n’étaient pas forcément respectés, les gens ne se parlaient pas forcément bien. Il y a eu le mouvement Me too, Black lives matter… Il y a des choses qui ne passent plus. Les jeunes de la génération Z disent que les blagues sur ces questions ne les font pas rire et surtout que ce n’est pas légal. C’est le choc des cultures. Peut-être que l’enjeu est de se réinventer.

Sabrina Ranvier

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