LE DOSSIER La double vie de Jacques, Stéphane, Lou, Luna et Agnès (partie 1)
(Suite de notre fait du jour publié à 7h) « J’ai 22 ruchers troncs. C’est mon chiffre fétiche », lance, amusé, Stéphane Libéri. Chef du bureau de police municipale de Poulx, il évacue la pression en bichonnant ses ruches. Et, entre deux récoltes, il traque un des pires serial killer : le frelon asiatique… Agnès travaille à la Banque postale depuis 2009. Le 17 décembre, on pourra la voir avec sa trompette aux environs de la brasserie le Comptoir des halles, à Nîmes. Affublée de perruques ou autres joyeuses tenues, elle joue dans deux fanfares…
Agnès Carteyrade, banquière et trompettiste
Aborder les conseils de crédit immobilier, les assurances maison, voiture, conseiller pour des placements... c’est le quotidien d’Agnès Carteyrade. Cette responsable client gère un portefeuille de 200 clients à la Banque postale de Nîmes. Elle s’occupe aussi de sept conseillers financiers. Mais le 4 décembre, elle va troquer ses vêtements élégants et décontractés pour jouer de la trompette pour le Noël du Secours populaire. L’adjointe du directeur de la Banque postale de Nîmes joue dans deux fanfares. Le 17 décembre, elle se produira devant la brasserie le Comptoir des halles avec les Hijos de tuba et les Lady Jaja.
Le choix de la tenue n'est pas arrêté. Les Hijos de tuba, créée en 2009 par cinq potes dont quatre enseignants, privilégient en général le rose et le noir. Mais ils peuvent aussi s’habiller en marin. Perruques, résilles, paillettes… La garde-robe faite maison des Lady Jaja, fanfare 100% féminine, est sans limite. « On a des déguisements un peu foufou. Ce sont des tenues que tu ne mets ni à la Banque postale ni dans la vie tout court », éclate de rire Agnès Carteyrade.
Cette Nîmoise se serait bien vue infirmière. Un échec au concours la pousse vers un BTS action commerciale. En 1999-2000, elle est recrutée comme conseillère financière à la Banque postale. Nîmoise, elle adore aller écouter, photographier les fanfares à la feria. « J’aime tout ce qui est cuivre », confirme-t-elle.
Un jour, alors qu’elle prend en photo les Lady Jaja, une fanfariste lui propose de venir jouer. « Je ne connaissais pas le solfège. J’ai pris des cours. Le professeur m’a fait tenir physiquement divers instruments : le saxo, la trompette, le trombonne… » Son choix se porte sur la trompette. Elle a à l’époque 43 ans. Une fois formée, elle rejoint les Hijos de tuba. « On la voyait beaucoup. Elle était très fan des fanfares », se souvient Jean-Michel Bourdoiseau, un des fondateurs de cette formation.
Pour intégrer cette fanfare militante, pas d’audition. Il suffit d’avoir envie de jouer, d’être de bonne humeur et d’accepter que les cachets soient reversés pour apporter la musique aux enfants des quartiers.
Agnès est séduite. Hijos de tuba a acheté une quarantaine d’instruments depuis sa création. Chaque année, elle verse environ 2 000 € pour les entretenir et acheter des petits instruments pour les enfants d’Harmonimes. 71 élèves y sont inscrits cette année. Ils viennent de six écoles différentes et du collège Jules-Verne. Des binômes instit-prof de musique leur apprennent la musique 1h30 par semaine. Les petits élèves forment avec ceux du conservatoire l’orchestre Harmonîmes.
Hijos de tuba comprend une vingtaine de membres, essentiellement des enseignants mais pas seulement. Elle est actuellement présidée par un employé de chez Haribo et abrite un autre conseiller bancaire. « Cela permet de rencontrer des gens d’autres horizons », apprécie Agnès. Elle répète avec eux le mardi à 18h30. Un lundi sur deux, elle s’entraîne pendant deux à trois heures avec les Lady Jaja qu’elle a rejoint quelques années plus tard. Agnès adore jouer Zombie des Crawberries ou Dans les yeux d’Émilie de Joe Dassin. Son moteur : donner simplement du plaisir aux gens. « La fanfare cela détend. Cela donne une note de plaisir, de sourire et de cuivre », résume-t-elle. Jean-Michel Bourdoiseau ne joue plus dans la fanfare mais est resté ami avec Agnès : « C’est une personne saine, jamais dans le conflit. Elle n’a pas de regard négatif sur les gens. Elle est très investie. C’est quelqu’un d’honnête sur qui on peut beaucoup compter. »
Stéphane Liberi, ce policier qui traque le serial killer des abeilles
Dès que l’on pénètre dans le sous-sol du domicile de Stéphane Libéri, policier municipal à Poulx, une odeur bien ronde, gourmande s’enroule dans les narines. Pourtant pas le moindre gâteau à l’horizon. Le parfum sucré est enfermé dans des bocaux dorés.
Stéphane Libéri est fou d’abeilles depuis l’âge de 11 ans. Une passion transmise par un "papé" du village. À 13 ans, cet habitant de Cabrières, qui possède une dizaine de ruches, rejoint la MFR de Vézénobres pour devenir berger. Ce colosse au sourire contagieux effectue son service militaire chez les marins-pompiers de Marseille. Il y reste 10 ans. Le rythme 24h de garde et 48h de repos, lui permet de voir régulièrement ses abeilles. Insuffisant. Pour se rapprocher, il décroche le concours de policier municipal et rejoint la police de Garons.
Depuis 19 ans, il est chef du poste de police municipale de Poulx. Ils sont trois à y travailler. Leur mission essentielle : veiller à ce que la moindre étincelle n’enflamme pas la garrigue. « J’aime beaucoup cette commune. On est très présent sur le terrain », décrit-il. Celui qui produit entre 300 et 400 kg de miel par an, possède une quarantaine de ruches. La majorité est à Cabrières.
Mais son trésor est caché à 120 kilomètres de là, à Arrigas. En 2001, il repère une vieille étable avec un arbre au milieu. Tout autour, quatre hectares de châtaigniers, une source, un bassin à truites. Un spot idéal pour y installer des ruches. Il fait appel aux apiculteurs des vallées cévenoles pour récupérer des troncs de châtaigniers qui ont été creusés pour y installer des ruches. « J’ai 22 ruchers troncs. C’est mon chiffre fétiche », plaisante ce méridional volubile. Ses ruchers ont entre 350 et 400 ans.
L’inauguration a lieu en 2009 lors du congrès mondial de l’apiculture que Stéphane Libéri a organisé à Montpellier. Même s’il officie dans une commune de 4171 habitants, Stéphane Libéri le reconnaît, une « chape de responsabilité » pèse sur les policiers municipaux. « Quand je suis à Arrigas, j’oublie tout. » Enfin, il oublie presque tout.
Depuis une dizaine d’années, ce policier est sur les traces d’un redoutable serial killer : le frelon asiatique. « Il se met debout devant nos ruches. Il coupe l’abdomen et la tête des abeilles et prend le thorax », décrit celui qui est élu au conseil municipal d’Arrigas. Quand elles sentent sa présence, les abeilles se terrent, entraînant la mort de la colonie. Stéphane Libéri raconte l’arrivée dans le port de Bordeaux du premier nid de frelons. Il était caché dans une palette de poteries chinoises. La bestiole est officiellement identifiée en 2005 dans le Tarn-et-Garonne.
Stéphane Libéri qui préside à l’époque la fédération apicole de la région Languedoc-Roussillon, va en Chine observer comment ces frelons se comportent. Il repère qu’ils sont friands de marécages, achète 10 000 pièges et dresse une frontière dans l’Aude pour qu’ils ne fondent pas sur la Camargue. L’insecte bifurque vers la montagne noire. « On a dû déménager nos pièges », reconnaît-il. Stéphane Libéri poursuit la bataille et invite la population à proposer un cocktail « sirop, bière et vin blanc » pour les piéger.
En Chine, ils ont des variétés d’abeilles qui le font fuir : elles montent en température en se regroupant à 500 abeilles. Même si les variétés locales ne se sont pas capables de se défendre, Stéphane Libéri est intarissable sur ses abeilles noires cévenoles qui produisent le miel des ruchers troncs. Un miel qui s’est retrouvé sur la table de l’Élysée, sur celle du restaurant Alexandre à Garons et aux Émirats arabes unis. À Arrigas, au conseil municipal, Stéphane Libéri est en charge de la Sécurité. « C’est un ambassadeur pour Arrigas, note le maire Régis Bayle. Je l’appelle le ministre des Affaires étrangères. »