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Publié il y a 5 mois - Mise à jour le 18.06.2024 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 2658 fois

LE DOSSIER Le Gard, champion olympique des fêtes votives : « Le coût des assurances pour les manadiers a été multiplié par cinq »

La famille Aubanel possède deux élevages : la manade Aubanel Baroncelli et la manade Aubanel Pierre et fils. Elles sont installées sur six domaines différents : les Saintes-Maries-de-la-mer, Saint-Gilles, le Cailar, Mauressargues, Lunel et Aigues-Mortes.

- © Nicolas.Lottin

Bérenger Aubanel, vice-président de la fédération des manadiers

Objectif Gard, le magazine : André Brundu, maire d’Aubord, estime que le plus gros danger menaçant les fêtes votives, est les assurances. Est-ce que certaines manades ont été lâchées par leurs assurances ?

Bérenger Aubanel : Nous avons 110 manades au sein de la fédération des manadiers. Parmi elles, 32 ne font que des abrivado et des bandido. Deux manades, une en Provence et une autre dans l’Hérault, ont perdu leur assurance. Elles avaient trop de sinistres et n’ont pas trouvé d’autre assurance. Ce n’était pas des sinistres corporels graves, mais surtout des sinistres matériels. Ces deux manades ne peuvent plus faire leurs activités de bandido ou d’abrivado. Elles se sont recentrées sur les ferrades, les journées en pays, les séminaires. Une manade qui ne fait plus d’abrivado, perd la moitié de son chiffre d’affaires.

Le coût des assurances a-t-il augmenté ?

Depuis 2019, on a un phénomène d’augmentation des assurances car elles ont recalculé leur modèle économique face au risque. Le coût des assurances pour les manadiers a été multiplié par cinq. Les manades paient en moyenne entre 7 000 et 10 000 € annuels d’assurance alors que nous sommes payés un peu moins de 1000 € pour une journée de spectacle. Ce n'est pas le fait de faire des abrivado qui est le déclencheur de cette hausse. Ce qui a conditionné cette augmentation des assurances, c’est le coût des sinistres. Sur cinq ans, Groupama a payé 5 M€.

Cette hausse des assurances est-elle due à une augmentation des accidents graves ?

Sur les 5 M€ versés par Groupama, 7,5 % correspondent à des accidents corporels et graves, lors d’abrivado et de bandido. 7,5 % concernent des accidents ayant eu lieu lors de taureau-piscine, lors d’évènements dans les arènes ou sur des manades. 84,94 % portent sur des dégâts matériels comme des accidents de voiture par exemple. Merci Groupama de maintenir notre métier car si les assurances disparaissent, on est fini. Les manadiers sont indispensables à la Camargue. Les taureaux entretiennent le milieu.

Comment les manades parviennent-elles à s’en sortir ?

On a augmenté nos tarifs de 25 %. On a fait des réunions avec des élus qui ont compris que nous étions sous oxygène. Aujourd’hui, les spectateurs ont la chance d’avoir un spectacle gratuit, mais il ne devrait pas l’être. Ce spectacle est devenu banal. Il faut beaucoup de soins, d’investissement pour faire un taureau d’abrivado et ce n’est pas du tout valorisé. On est soumis à une TVA à 20 % alors que celle sur les cirques est à 2,1 %. On a écrit à Bruno Lemaire.

La sénatrice Vivette Lopez avait déposé une proposition au sénat pour faire évoluer la loi. Qu’en pensez-vous ?

On aimerait que quelqu’un qui se mette en danger accepte le risque d’être sur un parcours. Si vous avez un chien et que quelqu’un vient l’embêter et qu’il réagit mal, c’est vous, qui, en tant que propriétaire serait sanctionné. C’est pareil pour les taureaux. La responsabilité est portée par le propriétaire.

Est-ce qu’il n’y aurait pas des mesures de prévention à prendre pour sécuriser les abrivado et bandido ? Cela permettrait de rassurer les assurances.

On a fait un plan qualité. On a créé un label sous l’égide de la charte des traditions pour des abrivado de qualité. On n’appelle plus les abrivado « spectacle de rue » mais « spectacle de tradition ». On a référencé nos cavaliers dans les manades pour qu’ils soient tous formés. On essaie de diminuer le temps de spectacle de une heure à 30 à 40 minutes. On veut réduire le temps d’immobilisation du taureau. On lisse un peu le risque. On a réécrit les conditionnalités en matière de sécurité, de bien-être animal et au niveau sanitaire. Ce travail est fait avec le cabinet du préfet du Gard.

Accident d'une voiture de fête en octobre 2018 lors de la fête votive d'Aigues-Mortes.  • © DR

Une histoire mouvementée : la fin des voitures de fête

 

L’accident d’une conductrice qui pilotait, alcoolisée et sous stupéfiants, une voiture de fête avec 21 personnes à son bord, a mis fin en 2018 à cette tradition.

Certaines fêtes votives se terminent au palais de justice. Le 7 février 2023, le tribunal de Nîmes juge une jeune femme pour « blessures involontaires ». Cinq ans auparavant, le 8 octobre 2018, elle conduisait un « véhicule de fête » lors de la fête votive d’Aigues-Mortes. Ce jour-là, des passagers sont installés dans la voiture, sur la carrosserie. Le véhicule, bondé, accueille 21 personnes. Au premier virage, l’accident survient. De nombreux blessés sont évacués par hélicoptère. C’est le compagnon de la jeune femme qui aurait dû prendre le volant. C’est lui qui avait signé un contrat encadrant la course.

« On avait un parcours fermé. On le privatisait pour les voitures de fête, un peu comme un circuit. Les gens pouvaient circuler tout en étant assuré, précise Pierre Mauméjean, maire d’Aigues-Mortes. Il y avait une charte entre les conducteurs et la mairie ». Le conducteur avait signé la charte le 18 octobre. Mais, alcoolisé, il avait finalement passé les clés à sa copine, à peu près dans le même état. La conductrice a écopé de 18 mois avec sursis. Son compagnon a été sanctionné par 6 mois de prison avec sursis. Les voitures de fête ont été définitivement interdites.

« Je les ai faites les voitures de fête. Mais on était plus conscient. Je suis bien content que ce soit arrêté, témoigne Pierre Caladou, qui tient le restaurant Le Galion à Aigues-Mortes. Les jeunes d’aujourd’hui sont plein de cocaïne. C’est moins cher qu’avant. Ils prennent de la drogue, cela les fait boire ». La conductrice condamnée l’an dernier était en effet sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants.

© Corentin Corger

La bouvine et les associations animalistes

Est-ce que les défenseurs du bien-être animal sont une menace pour les fêtes votives ? Début janvier 2023, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, des personnalités politiques et des associations animalistes demandent la réglementation des pratiques entourant la bouvine. Le texte fustige la castration à vif des jeunes taureaux, le marquage au fer rouge ou le lâcher de taureaux dans les rues lors des ferias. Quelques semaines plus tôt, le député LFI Aymeric Caron avait déposé, puis retiré, une proposition de loi visant à interdire les corridas.

11 000 défenseurs des traditions manifestent à Montpellier en février 2023. André Brundu était présent. Lui ne considère pas les associations animalistes comme une grosse menace : « Cela nous a fait faire des progrès comme le fait d’utiliser des crèmes apaisantes lors du marquage des veaux. » Chiffres de la dernière feria de Nîmes à l’appui*, il ajoute même « qu’il n’y a jamais eu autant de monde aux corridas ». Alexis Chabriol reconnaît que la menace des associations animalistes « s’est un peu estompée », mais il reste vigilant face à des associations qui « maîtrisent très bien les réseaux sociaux. On ne prend aucune menace à la légère ». L’union des jeunes de Provence et du Languedoc, créée en 2015 pour défendre les fêtes votives qui commençaient à réduire leur durée, rassemble 3 000 membres.

Sabrina Ranvier

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