Article réservé aux abonnés
Publié il y a 7 mois - Mise à jour le 16.04.2024 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 233 fois

LE DOSSIER Puits Ricard : « Il faisait 40 degrés par endroits »

Alain Tassera avec un marteau piqueur. Né le 18 juin 1945, il est entré à la mine en 1962. Il milite pour que tous les anciens mineurs révoqués lors des grèves de 1948 et 1952 soient réhabilités.

- Sabrina Ranvier

Alain Tassera, entré à la mine à 16 ans, connaît les moindres recoins de la Maison du mineur, aménagée dans la salle des pendus de cet ancien puits grand-combien.

« Il est lourd, non ? » Sourire aux lèvres, Alain Tassera tend un marteau piqueur en métal. Les bras peu entraînés ploient en effet très vite sous le poids de l’outil. Malgré ses 78 ans, cet ancien mineur le soulève aisément et le pointe vers le haut comme s’il s’attaquait à une paroi. « Il pèse 7 kilos et demi et on le portait à bout de bras, toute la journée ». Ce Cévenol passe devant des bleus de travail, des bottes. « On s’est bagarré pour les avoir ces bleus et on a aussi lutté pour obtenir de vraies chaussures de sécurité ». Il attrape une chaîne métallique et fait descendre un panier en métal : « On y mettait nos affaires du jour. »

Sabrina Ranvier

Salle des pendus

Des centaines de paniers sont suspendus au plafond. Cette salle, inscrite aux Monuments historiques, comme l’ensemble des installations du puits Ricard, était la salle des « pendus » ou « salle des lavabos ». Sur le côté, on voit encore les douches où les mineurs se frottaient le dos les uns aux autres, pour chasser une tenace poussière noire. Le puits Ricard a fermé en 1978 après un incendie. Les installations voisines et notamment l’ancien lavoir des mines ont été dynamités en 1989. Les deux bâtiments restants, la salle des lavabos et celle des machines, abritent depuis 1993 la Maison du mineur. Aujourd’hui gérée par Alès Agglo, elle a été fondée par l'association des amis du musée du mineur.

Alain Tassera poursuit la visite. Il montre des appareils de secours respiratoires, puis pose sa main sur un boisage de galerie. Un éclat de fierté traverse son regard : « C’est un boisage anglé. Je peux vous dire qu’il a été bien fait. »

Fils d’une Cévenole et d’un Kabyle, il est issu d’une famille de mineurs. Son père avait d’abord ouvert une cantine pour nourrir les gueules noires. En 1948, il a choisi la mine. Le statut de mineur garantissait l’accès gratuit aux soins.

Alain Tassera se forme à la mine école d’Alès, l’actuelle mine témoin. Il alterne les cours à Rochebelle et la pratique au quartier école du puits des Oules. C’est un des deux majors du CAP mineur en 1962. Le maître mineur du puits de Laval le repère. « Je faisais de la taille, de l’avancement, du foudroyage… Il faut être polyvalent quand on est mineur ».

Dégagement instantané

En 1971, Laval ferme, il est muté à Ricard. « Le premier jour, dans mon cabas, ma femme m’avait mis une barre de chocolat dans un papier aluminium. Quand je l’ai ouvert, il commençait à couler. Il faisait 40°C par endroits. Vous étiez assis sur une planche et vous couliez de l’eau ». La température augmente de 1 degré tous les 30 mètres. Le puits Ricard en fait 801. Dans certaines zones, des mineurs travaillaient en slip. Les puits sont classés en fonction de leur niveau de grisou. Ricard était considéré comme « puits à dégagement instantané ». « Cela pouvait faire boum d’un coup », résume Alain Tassera avant de désigner les appareils qui permettaient de mesurer le grisou, de la lampe de mineur au moderne grisoumètre.

En 1975, le maire des Salles-du-Gardon décède. Alain, alors conseiller municipal, le remplace. Au début des années 1980, il devient délégué mineur, « c’est un délégué du personnel et délégué hygiène et sécurité ». Ce militant CGT participe activement aux luttes de Ladrecht, des Oules.

Ce chevalement métallique se dresse devant le pôle mécanique à Alès. C'est celui du puits Fontanés. Le chevalement en béton du puits Destival se situait juste à côté. Il a été dynamité en 2002. • Sabrina Ranvier

Crassier en combustion

Après la fermeture du puits en 1986, il finit sa carrière au jour. Il démantèle les voies sur le carreau, sert de chauffeur, va couper des arbres sur un crassier à Champclauson touché par un incendie. Le feu couve sous terre. Il revoit cette flamme sortie du sol après qu’un collègue ait coupé un arbre. Il se souvient d’un autre qu’ils ont rapidement soulevé car son pied était rentré dans le sol qui commençait à s’affaisser : « On l’a vite tiré, la botte avait fondu en-dessous. » Dans tous ses postes, il milite pour que tous travaillent dans de bonnes conditions. Mais à 47 ans, il fait valoir ses droits à la retraite anticipée. Il prend du temps pour gérer son village dont il quitte la mairie en 2008.

Une quinte de toux l’interrompt. « Je suis reconnu à 35 % de silicose. J’ai un dossier qui vient de partir pour aggravation », lâche-t-il. On ne peut pas chasser la silice qui bouche les alvéoles pulmonaires. Les mineurs silicosés touchent une indemnité, qui « ne fait pas les choux gras ».

Même si son médecin lui impose parfois du repos, Alain Tasséra milite toujours. Avec Francis Iffernet, il veille à ce que l’on ne touche pas aux droits des anciens mineurs notamment en matière de soins.

À l’étage de la Maison du mineur, plusieurs écrans sont installés. Marc Laforêt, ami d’Alain Tasséra, y monte des documentaires sur les mineurs révoqués, la résistance… Ils sont diffusés dans les villages avec le dispositif « hors les murs, la Maison du mineur voyage ». Alain note les dates de diffusion. Il souhaite que l’héritage des mines perdure : « Il reste une mémoire de solidarité et de combat, de ne jamais plier les genoux. »

La mine témoin gérée par Alès Agglo propose visites classiques (photo) ou théâtralisées, chasses aux trésors, randonnées autour du Crassier... Lundi 23 septembre, elle accueillera en collaboration avec le Cratère une représentation de Germinal. L’Agglo veut renouer en 2024 avec la fête de la Sainte Barbe en proposant notamment des conférences, un documentaire, une visite spécifique... • Sabrina Ranvier

Voyage au cœur des galeries avec la mine témoin

Rouverte en juillet 2020 après d'importants travaux, elle accueille près de 20 000 visiteurs, de février à octobre.

« Accrochez-vous ». Casques vissés sur la tête, une dizaine de personnes se serre dans une cage d’ascenseur ce jeudi 21 mars. Un rideau noir se referme. Des bruits de tôle s’échappent. La descente est rapide. On a l’impression de s’enfoncer dans les entrailles de la terre. À l’arrivée, les visiteurs sont accueillis par un bruit sourd de ventilation. Il fait frais, à peine une dizaine de degrés. « Cette mine-témoin était une école, explique Laura, la guide. Il faut imaginer la France en 1945. Le pays est en ruine. Usines, trains, bateaux… Tout fonctionne au charbon. Les mines sont nationalisées et on ouvre des centres de formation ». La mine école d’Alès accueille les élèves à 14 ans pour passer un CAP mineur. Fermée en 1968, elle devient musée dans les années 1980.

200 ans de chasse au charbon

À l’intérieur défile l’histoire des mines. On frémit en croisant un pénitent du XVIIIe siècle qui brûlait le grisou vêtu d’une tunique de cuir bouilli. On est soulagé en voyant apparaître en 1810-1815, la lampe de sûreté. Dans une galerie, on croise un solide cheval de trait. Laura montre une image : dans les années 1800, quand les ascenseurs n’existent pas encore, les équidés étaient descendus dans les puits de mines à la verticale le long d’un gros godet, le cuffat. Dans une galerie voisine, une famille travaille, couchée dans une galerie. La scène date d’avant 1874, date à laquelle le travail des femmes au fond a été interdit. Arrive l’après Seconde Guerre mondiale, où le mineur devient héros national, premier ouvrier de France. « On va imprimer le mineur sur le billet de 10 francs, précise Laura. Mais cette gloire va durer 3 ou 4 ans ». Le charbon est rattrapé par le pétrole, le gaz, puis le nucléaire. Dans les galeries de la mine témoin, on croise une haveuse dont le disque dentelé découpait les parois, une machine installée dans certaines mines dans les années 60.

Pour faire oublier les histoires de grisou, de galeries soufflées par des explosions de poussières, Laura pointe le positif : « Les anciens mineurs parlent de la fierté à exercer ce métier, de la fraternité. » Les ados, bougons au moment d’entrer dans la galerie, repartent en souriant. Ils ne râlent même pas en découvrant que l’ascenseur est à peine descendu de 7 mètres. La sensation de vitesse était due à un simulateur.

Sabrina Ranvier

A la une

Voir Plus

En direct

Voir Plus

Studio