Publié il y a 30 jours - Mise à jour le 03.03.2025 - Anthony Maurin - 5 min  - vu 1045 fois

TOROS Roca Rey au cinéma, on y va !

Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey (Photo Dulac distribution)

Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey, ici dans le coche de cuadrilla (Photo Dulac distribution)

En salle le 26 mars, Tardes de soledad d’Albert Serra sera projeté au cinéma le Sémaphore à Nîmes.

Le Péruvien n'abdique jamais, mais n'est pas parvenu à couper une second oreille en avril 2017 à Arles (Photo Archives Anthony Maurin).

À travers le portrait d’Andrés Roca Rey, actuelle star incontournable de la corrida, Albert Serra dépeint la détermination et la solitude qui distinguent la vie d'un torero. Par cette expérience intime, le réalisateur de « Pacifiction » livre une exploration spirituelle de la tauromachie, il en révèle autant la beauté éphémère et anachronique que la brutalité primitive. Quelle forme d'idéal peut amener un homme à poursuivre ce choc dangereux et inutile, plaçant cette lutte au-dessus de tout autre désir de possession ?

Roca Rey, habité (Photo Anthony Maurin).

Originaire du Nord de la Catalogne, pas franchement aficionado, Albert Serra. Récemment, le Master de Documentaire à Barcelone lui demande de réaliser, avec les élèves, un documentaire. « Seule la corrida m’a semblé à la hauteur, constituée d’une tradition assez folle, hors du temps et controversée, capable de donner lieu au type de documentaire qui m’intéresse. Et je savais que les possibilités sonores et visuelles offertes par le numérique permettraient de construire une approche entièrement nouvelle. »

Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey (Photo Dulac distribution)
Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey, ici dans le coche de cuadrilla (Photo Dulac distribution)

C’est alors qu’il faut choisir l’incarnation. Roca Rey est bien sûr choisi, mais le réalisateur aimerait tracer un chemin en parallèle avec un autre torero. Cependant et voyant rapidement que le Péruvien est habité par quelque chose, le cinéaste se ravise et file une trame 100 % Roca Reyesque ! « Nous l’avons suivi de façon intermittente pendant deux ans, voyageant au gré des autorisations, choisissant les arènes et les corridas qui nous semblaient le mieux convenir au projet… D’un point de vue logistique, c’était assez complexe. À force, ce monde à part aurait pu ne nous sembler que banal ou dégoûtant. Mais notre fascination pour lui n’a pas cessé de croître. »

Andrés Roca Rey revient à Nîmes, là où il a pris son alternative avant de révolutionner la tauromachie actuelle (Photo Anthony Maurin).

À 28 ans et des brouettes, Andrés Roca Rey est arrivé voilà dix ans dans le monde taurin comme un ovni. Devenu depuis le numero uno, il est la locomotive qu’il fallait après Jose Tomas. « Roca Rey est le seul capable, aujourd’hui, de remplir une grande arène et de déclencher les passions du public. Il est particulièrement réputé pour son courage : comme on le voit dans le film, à chaque fois qu’il est blessé, il retourne immédiatement dans l’arène. Il a aussi la particularité d’accepter le compromis. Quel que soit le toro, son engagement est total. Il ne refuse pas d’affronter un toro qu’il jugerait indigne de lui, ou trop dangereux et visant plus l’homme que le drapeau. D’un point de vue cinématographique, c’est évidemment très fort. Cela renforce la tragédie. »

Pecho de Roca Rey (Photo Anthony Maurin). • Anthony MAURIN

La tauromachie apparaît de moins en moins dans le cinéma, encore moins pour un film qui va sortir dans les salles obscures un peu partout dans le monde. On a l’habitude de la corrida de deux manières. « Soit la retransmission live pour la télévision, donc totalement au service du spectacle. Soit la fiction faisant appel, tantôt à un acteur qui n’est pas torero, tantôt à un torero qui n’est pas acteur. Mon intention était très différente. Dès la naissance du projet, j’ai eu l’intuition de pouvoir montrer des choses jamais vues, des plans très serrés, des inserts sur le regard du toro… »

Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey (Photo Dulac distribution)
Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey ici à l'hôtel (Photo Dulac distribution)

Idem pour le son, chose primordiale au cinéma. Pour le son, ils ont utilisé des micros-cravate. Roca Rey en portait un sur chaque épaule, tout comme chaque membre de son entourage. Même le cheval du picador en portait un, au niveau des pattes… Chaque corrida était captée par trois ou quatre caméras. Au final : 600 heures de rush. « Nous avons filmé des plans du public, mais nous avons décidé de ne pas les garder au montage. La corrida a un côté folklorique assez banal que je voulais éviter, notamment parce qu’il va à l’encontre ce qu’elle peut avoir de sacré. À Séville, les spectateurs sont bien habillés, silencieux et très concentrés. À Madrid, ils sont vulgaires et souvent saouls. Ils font tellement de bruit qu’on se croirait au cirque, à Rome : les cris, le sang, la violence…, tout y est. L’autre raison pour laquelle j’ai préféré laisser le public hors champ est qu’un des sujets du film, c’est l’intimité, être toujours au plus près de Roca Rey. Dans l’arène, mais aussi dans la voiture, et jusque dans sa chambre. Montrer le public aurait anéanti cette intimité. »

Andrès Roca Rey, Péruvien et torero de génie revient dans les arènes où il a pris son alternative (Photo Anthony Maurin) • Anthony MAURIN

Si vous ne l’avez pas encore remarqué, Andrés Roca Rey est différent. « À la différence de ce qu’on voit partout aujourd’hui, Roca Rey ne surréagit pas, jamais. Il avance à un rythme plus lent que la normale. Non seulement dans l’arène, mais aussi dans sa vie quotidienne. Cette différence de rythme apparait comme très poétique et donc très cinématographique. »

Dans un monde dans lequel la communication est cadenassée et souvent appauvrie, le maestro a souhaité autre chose. Voir plus grand. « Tardes de soledad n’existerait pas sans la collaboration totale de Roca Rey et de son entourage. Ils nous ont vraiment ouvert toutes les portes, nous avons pu filmer partout et tout le temps sans aucun filtre. Nous avons même pu entrer dans la chambre où il s’habille et se prépare avant d’aller dans l’arène, en compagnie de celui qu’on appelle « le garçon des épées. » Mon intention n’était pas de le trahir. Je trouvais que nous avions atteint quelque chose d’assez fort. Mais si j’avais pour moi la raison esthétique, Roca Rey avait pour lui la raison morale. ».

Tardes de soledad avec Andrés Roca Rey (Photo Dulac distribution)
Tardes de soledad dans l'intimité d'Andrés Roca Rey (Photo Dulac distribution)

Si ce film vous intrigue suffisamment pour déclencher chez vous l’envie d’acheter un billet au Sémaphore, sachez toutefois que la violence y est présente. Logiquement. Même Andrés Roca Rey lui-même a trouvé les images violentes. « La violence est nécessaire, c’est elle qui apporte la transcendance. En plaisantant, j’ai dit à Roca Rey que sans violence, cela reviendrait à assister à un spectacle du Cirque du Soleil. C’est montrer la violence qui permet de toucher à la vérité, pour employer un mot auquel a souvent recours son entourage. J’ai quand même coupé certaines images trop violentes, notamment celles d’un toro vomissant abondamment du sang à cause d’un coup d’épée mal placé. La violence ne vient pas de moi, elle appartient à la corrida. C’est un film qui, entre autres choses, parle du courage et de la mort. La corrida nous montre qu’il existe encore des situations où il est impossible de négocier, qu’il y a des moments où l’homme comme l’animal doit affronter seul la mort. »

Corrida de Rocio de la Camara pour la despedida de Thomas Joubert, Andrés Roca Rey et Adriano (Photo Anthony Maurin)
Andrés Roca Rey et son premier toro combattu à Saint-Gilles (Photo Anthony Maurin)

La corrida qui, selon le réalisateur, vit une sorte de crépuscule, apporte selon lui de la violence, comme vu plus haut mais aussi un côté métaphysique ou spirituel, un aspect du quotidien, de l’ordinaire, on y croise de l’humour, voire l’ironie et bien sûr du ridicule.

Andrès Roca Rey à l'issue de son premier duel en tant que matador de toros (Photo Anthony Maurin). • Anthony MAURIN

« C’est un film qui donne de l’espace pour réfléchir. J’ai veillé à ce que chaque élément se répète, sans véritable progression dramatique, la construction obéit plutôt à un cycle. À la fin, Roca Rey salue. Il s’apprête à quitter l’arène après une corrida qui n’a pas été extraordinaire. Il sort par une porte, demain, il entrera par une autre. Le rituel reprendra bientôt. Circularité de l’arène, comme celle, éternelle, de la vie et de la mort. »

Cette coproduction d’Espagne de France du Portugal dure 2h05 et est interdit au moins de 12 ans avec avertissement.

Anthony Maurin

Gard

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