FAIT DU JOUR Les troubles du sommeil, un sujet de santé "sous-considéré" ?
Ce vendredi 17 mars, sera célébrée la 23e journée internationale du sommeil. Sujet délaissé des campagnes de prévention, il a pourtant un rôle-clé sur notre santé. Nous avons rencontré la docteure en sciences de l'information et de la communication, Élisa Wrembel, qui a travaillé trois ans et demi sur les troubles du sommeil et comment y remédier avant qu'ils ne s'aggravent. Elle a soutenu sa thèse il y a tout juste un mois.
Après un master à l'université Paul-Valéry, à Montpellier, Élisa Wrembel a décroché une offre de contrat doctoral au sein du laboratoire Projekt, à l'université de Nîmes. Ce laboratoire fait de la recherche-projet et se tourne vers les innovations sociales par le design. Élisa Wrembel, elle, a travaillé sur les troubles du sommeil. Sa thèse s'inscrit dans un projet de recherches qui existe depuis 2016 "Som'health", né d'un partenariat avec le CHU de Nîmes.
Objectif Gard : Quand avez-vous démarré votre thèse ?
Élisa Wrembel : J'ai commencé le 1er octobre 2019. C'est un contrat doctoral financé par la région Occitanie et l'université de Nîmes. Avec la pandémie au milieu, j'ai eu une prolongation de quelques mois, j'ai terminé le 13 février 2023 et j'ai soutenu le lendemain, 14 février. C'est long mais ça passe vite. Mon travail était croisé entre l'IMT Mines d'Alès et l'université de Nîmes.
Votre thèse s'intitule "Mieux communiquer sur les risques par le codesign de dispositifs de prévention : application au sommeil et à la santé mobile". Expliquez-nous ?
Le projet de recherche au départ s'intéressait à comment mieux accompagner les insomnies, en intégrant des objets connectés. Je me suis appuyée sur ce qui avait fait mais ma thèse ne porte pas sur la partie prise en charge médicale mais sur l'avant : la prévention primaire, la sensibilisation auprès de la population. Le premier axe de la thèse c'est de travailler avant que cela devienne trop grave, voire chronique. Il y a un intérêt à avoir un meilleur accès aux informations de santé publique sur l'hygiène de sommeil.
C'est quelque chose qui n'est pas assez mis en avant aujourd'hui dans les campagnes de prévention ?
Oui, il y a très peu de choses qui ont été faites en santé publique sur le sommeil. C'est largement sous-considéré en comparaison à d'autres sujets comme l'obésité ou la nutrition. Le sommeil a tendance à être soit oublié, soit traité en périphérie d'autres sujets comme un symptôme, mais rarement comme un sujet à part entière.
D'où l'intérêt de cette journée internationale du sommeil...
C'est l'INSV (Institut national du sommeil et de la vigilance) qui l'organise. Cette année, ils ont choisi comme thème les croyances, l'éco-anxiété et la désinformation sur l'hygiène de sommeil. Sur cette question, il faudrait diffuser de l'information aux citoyens pour qu'ils évitent les mauvaises habitudes.
Un stand d'information au CHU Carémeau
Ce vendredi 17 mars, un stand d'information sera installé dans le hall du CHU Carémeau de 9h à 16h, à l'occasion de cette 23e journée internationale du sommeil. Cette opération est organisée par l'Institut national du Sommeil et de la Vigilance (INSV) en partenariat avec le service des Troubles du sommeil du CHU. Tous deux ont choisi pour thématique "sommeil : croyances, santé mentale et éco-anxiété".
Beaucoup de fausses informations circulent sur le sujet ?
Ce ne sont pas vraiment des "fake-news" mais des idées reçues comme "il faut dormir au moins 8h par jour". Il y a aussi de mauvaises habitudes comme le fait d'aller se coucher à 18h parce qu'on a mal dormi pendant 2 ou 3 jours, ou de grosses siestes de 2h l'après-midi qui vont rogner sur la nuit. Au final, ça décale le rythme de sommeil. Quand on ne connaît pas les mesures d'une bonne hygiène de sommeil, on peut vite mettre en place des routines qui sont nocives.
On imagine qu'en réalité, les besoins en sommeil ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
Oui, c'est très individuel. Pourtant, dans certains couples, un des conjoints peut ressentir de la culpabilité quand elle voit que sa moitié dort plus ou moins que lui. Cela peut aussi susciter un sentiment de différence et amener à se dire qu'on n'est pas normal. C'est le ressenti de chacun qui est important.
Dans votre thèse, vous avez travaillé sur la prévention des troubles du sommeil. Sait-on ce qui les fait apparaître ?
Il y a plein d'explications possibles. Cela peut être déclenché par un stress ponctuel, par un changement d'environnement... Il y a aussi des facteurs qui vont accentuer les chances de souffrir de troubles du sommeil. Cela peut découler du comportement personnel mais aussi ce qui est systémique où on peut rarement intervenir. Par exemple, les conditions et horaires de travail, un environnement bruyant... La plupart des gens en horaires postés souffrent de troubles du sommeil.
Est-ce que notre modèle de société accroît les facteurs pouvant causer des troubles du sommeil ?
On va vraiment vers un modèle de société tourné vers la performance. On nous pousse à être actifs la journée. Dans nos valeurs occidentales, on va considérer quelqu'un qui fait la sieste ou qui dort beaucoup comme fainéant. Le sommeil n'est pas valorisé. On aurait plutôt tendance à louer une personne qui dit qu'elle n'a pas beaucoup dormi pour finir un travail la nuit. L'offre de loisirs, le télétravail créent aussi des stimulations qui sont de plus en plus importantes et rentrent dans la sphère privée. Elles dégradent énormément les représentations qu'on a du sommeil et de son importance. Le sommeil a tendance à être considéré comme une perte de temps ou une variable qu'on va ajuster en fonction de ce qu'on a à faire. Mais surtout pas comme un temps réservé sur lequel on ne va jamais gratter.
À terme, cela peut devenir problématique ?
Mal dormir, c'est quelque chose de banalisé. Je me suis beaucoup entretenue avec des médecins. Ils m'ont dit que les gens attendaient vraiment d'avoir un quotidien insupportable pour parler de leurs problèmes de sommeil à leur généraliste. Les médecins prescrivent parfois des médicaments, mais certains les prennent plus longtemps que ce qui est indiqué. (...) Le mieux serait de se tourner vers ce qui est préconisé en premier lieu, les thérapies cognitives et comportementales. Mais ce n'est pas remboursé contrairement aux médicaments.
Les conseils pour mieux dormir
Avant d'en arriver à la thérapie ou aux médicaments, voici quelques bons conseils pour favoriser son sommeil : seulement dormir dans son lit (ne pas y manger, y travailler...) ; avoir des horaires de sommeil régulier, surtout le matin et même le week-end; éviter de manger et les écrans juste avant de dormir; éviter les excitants après 16h; éviter les siestes de plus de 20 minutes la journée; bien s'exposer à la lumière du jour; pratiquer une activité sportive mais pas trop tard dans la journée; écouter son corps et aller se coucher si on sent qu'on baille, qu'on est fatigué; se lever en cas d'insomnie de plus de 20 minutes la nuit et faire une activité peu stimulante.
Est-ce que les troubles du sommeil ont tendance à augmenter ?
Oui, ça a beaucoup augmenté avec la pandémie de covid-19. Pendant le confinement, l'anxiété a dégradé le sommeil de la population en France. C'est logique, on a tous été enfermés avec des changements de routine. Alors que l'insomnie touchait plus des personnes adultes et âgées, un nouveau public est apparu avec la pandémie, avec des jeunes, des étudiants, qui n'avaient jamais souffert de ça. Le sommeil se dégrade aussi de plus en plus, car on vit dans un contexte de plus en plus anxiogène.
Pourquoi est-il important de prendre soin de son sommeil ?
Cela joue sur beaucoup de facteurs : la concentration, la mémoire, la fixation d'hormones... Le sommeil est un point central dans l'équilibre autant physique que mental. Il existe des liens entre le manque de sommeil et la maladie mentale, la dépression, l'anxiété. Mais aussi des liens avec les maladies cardiovasculaires, avec le diabète, l'obésité... Un manque de sommeil ou un sommeil de mauvaise qualité va être facteur de risque de maladies diverses et d'une dégradation générale. On peut vite tomber dans un cercle vicieux : ça va aller moins bien au travail, on se dévalue, ça va amener à des états d'anxiété même de dépression, on va stresser et donc encore moins bien dormir.
Dans votre thèse, vous avez également travaillé sur un prototype d'application de sensibilisation aux troubles du sommeil ?
Oui, elle prend la forme d'un mini-agenda du sommeil où chacun rentre ses horaires de coucher, lever et les activités qu'il a fait pendant la journée. L'objectif, c'est d'arriver à faire un lien entre les deux. Le sommeil, ce n'est pas juste la nuit, c'est très lié à ce qu'on fait la journée. Ça s'appréhende sur 24h. Il y a une nécessité de connaître son fonctionnement individuel, certains profils sont plus du soir, d'autres du matin. Ça peut changer au cours de la vie. (...) J'ai aussi conçu des supports de communication types, avec des médecins, des patients, des associatifs... C'est pas évident en terme de stratégie de communication car plus on parle des troubles du sommeil et des risques, moins on dort (rires).
Est-ce que cette application, ces supports à l'état de prototypes sont amenés à être diffusés plus largement ?
On est allé assez loin dans la conception. L'application est fonctionnelle mais pas en libre accès, car il y a tout un travail à mener sur la protection des données derrière. Mais ça a été testé avec des personnes de tous les profils.