UN JOUR, UN HÉROS La vie de la ville d'un réboussier dévoué
Né en 1947, Jean est le fils de deux réfugiés espagnols poussés hors des frontières de la péninsule ibérique et installés en 1946 à Ventabren, au nord-est de Nîmes. "Je pense que j'ai été conçu ici. Mon père était lieutenant dans les Forces Française Intérieures, il n'a jamais pu vivre tranquille, il s'est caché toute sa vie des milices et est mort à 54 ans. en exil...".
Marqué par cette histoire, Jean veut certainement être à la hauteur de ses parents et de son frère. Car n'oublions pas le frangin, un certain Wladimir, Wlad pour les intimes est décédé en juin 2011. Adjoint sous les municipalités Jourdan, Clary, il avait aussi été conseiller d'opposition sous Bousquet. Un personnage emblématique de Nîmes qui a son square à la jonction de la Croix de Fer et de Garrigues Nord.
La mère de Jean Guiu, résistante comme son père, l'était à Saint-Félix de Pallières. Torturée puis naturalisée car son militant de mari avait acquis la croix de guerre (argent) sur le champ d'honneur. Le couple se retrouve après bien des péripéties et la famille prend enfin forme. "Nous n'étions que quelques familles, quand j'étais jeune, à vivre à Ventabren. Il y avait des familles, des marginaux, des idéalistes, un peu de tout! Nous vivions presque en autarcie au mazet et j'allais à l'école à la Croix de Fer. On jouait dans la garrigue. Ce qui est important à savoir, c'est que mes parents, immigrés, ont reçu un accueil fantastique de la part des habitants du quartier. A l'époque et pour dire qu'il y avait quelqu'un dans le mazet, chaque bâtisse avait une hampe pour lever le drapeau. Il y avait le drapeau blanc des royalistes, celui des républicains, les communistes...".
La cour des miracles? Non, l'utopie humaine
L'essentiel dans ces anecdotes, c'est le vivre-ensemble. Un mot, une rengaine qui s'est galvaudée au fil des décennies. Pas à Ventabren... Pourquoi? Le quartier a su garder son esprit "village". "Quand j'étais jeune, je me souviens que j'aimais déjà mon quartier! J'ai toujours voulu y revenir... J'y ai d'ailleurs fait ma maison sur la parcelle de mes parents! Pasteur, curé, marginaux, tous se retrouvaient à la guinguette Laugier pour faire la fête, entendre l'accordéon, boire de l'absinthe. Il y avait de la solidarité, de l'humanisme. Je regardais ça et ça me plaisait".
A 14 ans, Jean Guiu devient aide moniteur puis moniteur avant d'entrer dans la vie active. "Ado, j'allais au collège au Mont Duplan et au lycée à Daudet. Mon père est mort en 1965 et comme mon frère, qui avait dix ans de plus que moi, était parti de la maison, j'ai dû travailler pour aider ma mère. J'ai commencé aux Salaisons d'Ardèche mais j'ai très rapidement tenté La Poste pour être auxiliaire facteur avant de devenir facteur en 1968". Là aussi, on pourrait croire que les idées du monsieur vont l'embarquer dans le combat à la mode. La révolution qui n'a pas eu lieu... Que nenni, mais l'histoire se terminera quand même mal! Alors dans l'armée, son passage sous le drapeau a été écourté. Un mois aux arrêts, la faute à ses lectures, l’Écume des jours de Boris Vian. Et oui, les choses changent! A La Poste, il devient finalement formateur "multicartes" et prend sa retraite en 2002.
Militant syndical et politique, Jean Guiu a toujours fait passé ses idées après le bien-être du quartier. Sa double nationalité acquise (ou rendue) depuis peu grâce à la loi sur la mémoire historique, il se rappelle ses premiers pas d'adulte responsable dans le quartier. "J'ai construit ma maison en 1979 et je suis entré au Conseil d'Administration du Comité de quartier. En 1986 j'étais Président et depuis..." C'est encore lui! "Il y a des gens extraordinaires, aussi bien de Droite que de Gauche. Nous travaillons ensemble pour le bien-être du quartier, on ne doit pas s'attendre à la reconnaissance, on agit par bénévolat et non par intérêt. Ici, on a encore les valeurs de l'après-guerre".
Un réboussier qui discute ou dispute le bout de gras de son quartier
Il est certain que cet esprit solidaire, cet élan d'humanisme, se ressentent encore. On l'a bien vu lors des nombreuses batailles qui auraient pu changer la vie du quartier. Voie urbaine nord, stade Jean Bouin, élargissement des voies d'accès... Que des batailles gagnées par le bon sens mais aussi grâce à l'écoute des élus. Après Jourdan, Bousquet, Clary ou Fournier, Ventabren est encore là, presque authentique, presque figé dans le temps. Plus de 300 familles y vivent et une centaine est adhérente au Comité de quartier. "Les familles viennent d'elles-mêmes, au moindre problème, elles savent où nous trouver, c'est une des forces de notre quartier, tout le monde se connaît".
Mais Jean Guiu a aussi été le Président de la Société de Chasse de Nîmes et le vice-président de l'Union des Comités de Quartier de la cité des Antonin. "Evidemment, mon entourage est la base de ma vie! Sans cette aide quotidienne, je ne sais pas ce que j'aurais pu faire!" conclut Jean Guiu. A tout seigneur tout honneur.
Un héritage pas forcément facile à porter et à faire vivre. "L'exemple de mon père et celui de ma mère... C'est plutôt dur à porter mais mon frère m'a montré l'exemple. Ma femme me dit souvent que nous sommes des vaincus, mais des vaincus qui sont debout! Nous n'étions pas riches mais mes parents auraient donné leur chemise pour les voisins et les gens qui en auraient plus besoin qu'eux. J'ai peu connu mon père mais j'avais 300 "tontons" qui venaient se cacher chez nous!".