Publié il y a 2 ans - Mise à jour le 15.09.2022 - pierre-havez - 8 min  - vu 10515 fois

ASSISES Assassinat de Jonquières en 2018 : Le petit frère de l'accusé craque...

Ouverture du procès d'assises de Youssel Al Madany et Nohame Jarnouj pour l'assassinat du jeune Ismaël, en mai 2018 à Jonquières (Photo : Yannick Pons) - Yannick Pons

Youssef El Madany et Nohame Jarnouj s’assoient, ce jeudi 15 septembre, dans le box des accusés de la salle d’audience de la cour d’assises du Gard. Ils seront jugés pendant quatre jours pour l’assassinat d’Ismaël El Khayari, 22 ans, dans la nuit du 21 au 22 mai 2018 à Jonquières-Saint-Vincent près de Beaucaire.

Youssef, pull noir et regard inquiet, est soupçonné d’avoir tué d'une balle dans la tête Ismaël ce soir-là, aux alentours de 23 heures, en faisant feu à plusieurs reprises en direction d'un groupe de jeunes à la suite de plusieurs altercations entre deux bandes rivales du village. Touchée à la tempe, la victime était morte à son arrivée à l’hôpital. Nohane, chemise noire et œil sombre, sera lui jugé pour complicité, pour avoir aidé Youssef à prendre la fuite pour échapper à la justice.

17H15 : Après Farid, le plus jeune frère de Youssef, Abdelilah, tente à son tour de défendre son frère. Il jure qu'un autre de leur ami a été blessé d'un coup de couteau. Abdelilah prétend alors avoir tout fait pour dialoguer et calmer le jeu avec les frères El Khayari. Mais ce sont eux, et en particulier Ismaël, qui les provoquent et les menacent. « Ismaël a dit à un collègue que si Youssef voulait ses clefs, il avait qu'à venir les chercher ! Ils ont ont voulu faire les voyous. Ils étaient armés sous leur t-shirt. Et c'était pas des petits calibres : un flash-ball ou une mitraillette ! », assure encore Abdelilah, contre toute évidence. Le juge le regarde étonné. « Vous voyez des pistolets mitrailleurs et vous ne prévenez même pas votre frère ? » Abdelilah continue avec aplomb. « Il m'a dit de sortir de la voiture, j'ai pas cherché à comprendre ! », rétorque Abdelilah. Les enquêteurs trouveront des traces de poudre sur les vêtements d'Abdelilah, qui fera de longs mois de détention provisoire dans ce dossier. « À aucun moment, j'ai vu Youssef avec une arme ! », proteste-t-il encore envers et contre tout.

L'avocat de la parti civile, Cyril Malgra (Photo : PH)

« Mourir pour une histoire de clef, c'est la honte...»

« Qu’est-ce qu’il faisait de ses journées votre frère ? Il voyageait, en Hollande ou aux Pays-Bas. Et que faisait-il là-bas ? Il faisait du trafic de stupéfiant ! Et vous ne l’avez jamais vu avec une arme non plus ? », lui demande sévèrement Cyril Malgras, l’avocat de la famille de la victime. Abdelilah secoue la tête à gauche et à droite. « Vous n’étiez pas à la bagarre ce jour-là, et alors que les témoins n’ont pas vu de sang, vous, dix minutes plus tard, vous jurez que votre frère est en sang ? », poursuit l’avocat avec insistance.

Abdelilah craque à son tour. Pendant la procédure le frère cadet de l’accusé a tenté de faire croire que les frères El Khayari étaient de gros trafiquants de drogues et qu’ils menaçaient son frère pour une histoire de dettes. Au téléphone avec Youssef, en prison, il a juré qu’il allait les descendre un par un. « Vous savez pas tout, ce sont eux qui ont cherché la merde. Ce sont pas des anges ! Certes mon frère a fait une connerie irrattrapable. Mais ils ont menacé mes sœurs en les suivant en voiture pendant que j’étais en prison !, s'énerve-t-il. Mourir pour une histoire de clef, c'est la honte...»

Le petit frère de l'accusé sur le grill...

16h30 : L’interrogatoire du petit frère de l’accusé, Farid, t-shirt beige et pantalon gris, tourne au vinaigre. « Il y avait eu cette histoire de clefs. Mais moi, j’étais au courant de rien à ce moment-là. Au moment de rompre le jeûne, il m’a demandé les clefs de ma voiture. J’ai même pas vu qu’il avait le visage marqué. Ce n’est que plus tard que j’ai su qu’il s’était pris la tête avec les frères El Khayari », se borne-t-il à déclarer. Le président reste sur faim. « C’est tout ? ». Le jeune hausse les épaules. « Posez-moi des questions… » Le ton monte un peu avec le juge Emmanuelidis qui lui fait observer qu’il oublie un certain nombre de détails de la soirée. Alors que ses frères déclarent avoir vu des armes ou entendu tirer en l’air, Farid, lui, n’a rien vu, ni entendu. « Pourquoi vous y retournez avec votre grand frère ? Vous n’avez pas peur, alors que Youssef et les autres viennent de se faire casser la gueule ? » Farid ne paraît pas impressionné. « Oui, c’est normal, car la situation s’était calmée », répond-il.

Le président marque une pause avant d’enchaîner. « Mais votre rôle ne s’arrête pas là, car vous l’aider ensuite à aller chercher 1 500 euros chez quelqu’un… », lâche-t-il, soudainement. Farid est déstabilisé. « C’est qui lui ? Je l’ai jamais vu de ma vie, jamais contacté, je le jure. Confrontez-moi à lui ! », lance-t-il bravache au président. Celui-ci le prend au mot. « Très bien, je vous convoque de nouveau pour demain, conclut Eric Emmanuelidis. Et puis vous lui envoyez aussi des portables en maison d’arrêt ? » Farid semble une nouvelle fois surpris. « Non jamais, sinon pourquoi je n’ai jamais été convoqué ? » Le juge le regarde sévèrement. « Car c’était sur écoute, et en général on garde ce genre d’éléments au dossier ! », lâche-t-il, avant de lire une conversation au cours de laquelle, Youssef, en détention, lui demande de lui fournir un portable. « J’ai rien à me reprocher, j’ai changé de vie… », conclut Farid, coincé.

15h45 : Le grand frère de l’accusé s’avance à son tour à la barre. Après un récit dans lequel il tente de justifier la légitime défense de son frère, il louvoie et répond systématiquement à côté aux questions du président. « Il a été trouvé chez vous un couteau de chasse et aussi dans le meuble de la cuisine, à gauche de l’évier, une hache, et aussi dans le coffre de votre voiture une batte de baseball. À quoi sert-elle ? », l’interroge à son tour Cyril Malgras.

- « Je l’ai acheté comme souvenir », répond le quadragénaire, en veste de survêtement noire et rouge.

- « Ah bon ? En général, on ramène un maillot de football comme souvenir sportif de Madrid… », conclut l’avocat de la famille de la victime.

À son tour, Hugo Ferri, l'un des avocats du complice présumé de Youssef, Nohame Jarnouj, pointe les incohérences de son discours. En garde à vue, le frère de Youssef avait en effet d'abord déclaré qu'il avait entendu son frère récupérer une arme puis qu'il était parti « tuer » son adversaire, avant de se reprendre... Sur la défensive, ce dernier répète que son frère n’a fait que riposter avant de finalement lui avouer « j’ai tiré, j’ai fait une connerie ! »

« Mon client est tombé dans un guet-apens ! »

15h : L'accusé conteste avoir proféré des menaces contre les deux frères El Khayari, après la bagarre.« Je les ai croisés en allant acheter des cigarettes au tabac, et là, j’ai pris une patate et j’ai entendu “couteau, couteau !“, prétend Youssef El Madany. Mais je ne les ai pas menacés. Il y avait plein de jeunes autour. Puis, j'ai vu les frères El Khayari se dépêcher de partir pour aller déposer une main courante et m’attendre ensuite avec des armes quand je viendrai chercher mes clefs... »

L'avocat de Youssef El Madany, Bernard Hini, aux assises du Gard, jeudi 15 septembre 2022 (Photo Yannick Pons) • Yannick Pons

Son avocat Bernard Hini se lève. « Mon client est tombé dans un guet-apens puisque les frères El Khayari ont entre-temps pris le soin de s’armer ! », intervient-il triomphalement. Le président calme les ardeurs de l’avocat. Il s’adresse à l’accusé. « Hormis une batte de base-ball, aucun témoin n’évoque d’arme ou de couteau. Mais à peine êtes-vous arrivé devant chez eux pour venir chercher vos clefs, que vous êtes attaqué à coups de pieds ou de poings », pointe Eric Emmanuelidis.

Mais Youssef maintient que les frères El Khayari étaient armés jusqu’aux dents. « Ils avaient des battes de base-ball et de longs sabres chinois qui ne coupent pas, mais qu’ils ont utilisés pour briser les vitres de la voiture. Il n’y a qu’à regarder les photos de la voiture ! Il y avait même des rochers, je m’en souviens très bien, décrit-il. Mais les autres ont peur de parler ou ne veulent pas enfoncer le clou car ils ont déjà perdu un frère... On veut me faire passer par un assassin, mais c’est pas vrai. Il y a eu un mort, il faut dire la vérité. »

« Vous m'avez pris à deux comme des putes, on n'en restera pas là ! »

14h : Alors que l’on doit entendre plusieurs témoins cet après-midi, l’un d’eux s’est décommandé par peur de représailles… Pascal, 31 ans, policier municipal à Beaucaire est intervenu lors de la première altercation entre Youssef et deux des frères El Khayari, dans l’après-midi, vers 17 heures. « Ils étaient deux contre un et l’accusé avait du sang sur lui. Quand on les a séparés, l’un des deux continuait à le frapper, tente de se rappeler le policier. Puis, en partant, M. El Madany a lâché : “vous m’avez pris à deux, comme des putes, ne vous inquiétez pas, je vais vous retrouver. On n’en restera pas là !“ »

L'avocat de Youssef, Bernard Hini intervient pour atténuer la portée de ces mots. « S'agissait-il de réelles menaces de mort de sa part ou de simples mots lancés à la cantonade, après une bagarre ayant tourné en sa défaveur ? », veut-il savoir. Le policier hoche la tête. « Oui, c'était plutôt ça », confirme-t-il. Mais le coéquipier de Pascal, Jean-Noël, arrivé juste après son collègue, affirme n'avoir vu que deux protagonistes dans la bagarre. « Vous avez ceinturé deux individus, et aucun des deux n’était Ismaël », conclut à son tour l’avocat de la famille de la victime, Cyril Malgras. À la fin de l’altercation, après que les deux parties ont refusé de porter plainte, Youssef s’en va de son côté, le visage contusionné, tandis que les frères repartent en voiture.

12h : On apprend que son complice présumé Nohame purge déjà une peine de 4 ans pour une tentative de meurtre. L’ancien boxeur, qui aurait aidé Youssef à fuir après les tirs mortels, est décrit de son côté comme « narcissique, très sûr de lui, d’une intelligence acérée, et dans la transgression des codes sociaux, en raison de l’absence d’image paternelle. Il se positionne sur le plan favorable, comme voulant aider un ami et pacifier la situation, sans remise en cause », décrit l’expert psychiatrique qui l’a vu.

« On ne peut exclure que cela se reproduise »

11h45 : À son tour, l’expert psychologue Adeline Paoli décrit un accusé méfiant, impulsif, avec des difficultés relationnelles et une tendance à la victimisation. « Sa première incarcération semble avoir créé une rupture franche dans son parcours, faisant naître une défiance envers la justice et le société, précise l’expert psychologue. Sur le plan social, ses relations sont superficielles marquées par la défiance et la suspicion. Il a des difficultés à prendre en compte l’autre et à accepter la frustration. » L’avocat général Bertrand Baboulenne demande à l’expert si l’accusé peut être qualifié de sociopathe. « Il doit travailler sur son impulsivité et son agressivité. On ne peut exclure que dans une situation similaire, il n’y ait pas de risque que cela se reproduise », répond la psychologue.

L’avocat général Bertrand Baboulenne lors du procès d'Assises de l'assassinat de Jonquières, jeudi 15 septembre 2022 (Photo Yannick Pons) • Yannick Pons

11h : Christine Perrot, l’enquêtrice de personnalité, décrit le parcours de l’accusé. Aujourd’hui âgé de 32 ans, Youssef est le 7d’une fratrie de 11 enfants. Il a une sœur jumelle. Après avoir grandi au Maroc, il rejoint la France à l’âge de 8 ans, à Beaucaire. Mais après une scolarité où il décroche en lycée professionnel, Youssef connaît ses premiers déboires avec la justice dès l’âge de 20 ans. Après plusieurs courtes peines pour des violences, outrages ou trafic de stupéfiants, il est condamné à trois ans de prison, à 25 ans, pour des vols et des violences. Mais il semblait avoir laissé cette jeunesse tumultueuse derrière lui, depuis sa rencontre en 2016, avec la mère de son enfant. Éloigné de ses anciennes fréquentations, il avait commencé à travailler dans un snack et comme ouvrier agricole. Il se décrit lui-même comme réservé, timide et renfermé, rencontrant des difficultés à aller vers les gens, « ce qui interroge à la lecture de son casier judiciaire », fait remarquer l'enquêtrice.

10h : Le président Éric Emmanuelidis résume les faits de cette soirée fatale. Il rappelle qu’à l’origine, une première altercation intervient entre l’accusé et l’un des frères El Khayari, devant le bureau de tabac du village, un peu plus tôt. Au cours de la dispute, Youssef perd ses clefs de voiture. Il retourne alors voir les frères El Khayari pour tenter de les récupérer. Mais l'accusé assure avoir fait feu pour se défendre. « Les faits je les reconnais. Lors de la première dispute, avec mon frère, on a eu peur qu’ils nous tombent dessus, explique Youssef, à la barre. Et puis, je suis revenu avec Nohame et une arme pour les calmer et leur faire peur, c’est tout ! Mais ils étaient alignés, ils ne m’ont même pas laissé le temps de m’expliquer ni rien. Ensuite, c’est allé trop vite : on a d’abord vu l’un des frères avec un couteau, puis son autre frère a fait feu le premier. Moi j’ai seulement riposté, avant de partir. C’est seulement le lendemain matin que j’ai appris qu’il y avait eu un mort… » En fuite à Montpellier où il se cache dans un coffre de voiture pendant une nuit, Youssef part ensuite en cavale à Roquebrune, où il sera finalement interpellé quelques jours plus tard.

Pierre Havez

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