FAIT DU JOUR Gestes funéraires et culture de la vigne : Nemausus se dévoile fouille après fouille
L'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) est spécialisé dans notre passé commun. Sous les couches séculaires d'un chantier nîmois situé rue de l'Abattoir ont été révélées de bien jolies et antiques découvertes.
Les fouilles sont primordiales pour connaître notre histoire. À défaut d'être programmées, elles sont bien souvent préventives et permettent ainsi de sauver et de consolider notre passé avant d'y ajouter le béton futur. À chaque chantier existe une possibilité de renouer avec l'histoire, l'Inrap n'est qu'un trait d'union qui nous relie à elle.
L'Inrap a présenté le mobilier exhumé lors de cette fouille dirigée par Marie Rochette. Mais c'est Jean-Yves Breuil, directeur adjoint scientifique et technique de l'Inrap, qui plante le décor. Pour les vingt ans de sa structure, il connaît la pertinence de ses confrères et leur savoir-faire fait partie de l'excellence visée par l'établissement. "Ici, nous sommes dans un lieu double. Vous avez la direction inter-régionale Paca, Corse et Occitanie de l'Inrap, mais aussi un centre de recherche où travaillent une soixantaine d'archéologues qui sont déployés dans le Gard, la Lozère et la partie orientale de l'Hérault."
Si une visite du site n'a pu se faire en bonne et due forme, les archéologues racontent ce qu'ils font à présent. Une fois les découvertes mises au jour, il faut les analyser, les étudier, les comprendre pour en rendre compte. "Nous devons construire un rapport et monter l'histoire du site en question. Nous avons fouillé près de deux mois et l'étude peut prendre près de deux ans. Le chef d'orchestre est Marie Rochette", poursuit Jean-Yves Breuil.
Les fouilles de la parcelle du 1, rue de l'Abattoir ont débuté le 11 avril dernier et se sont achevées le 26 juin. Cinq archéologues, en plus de Marie Rochette, ont examiné le terrain avant que la construction prévue par l'aménageur Urbat ne soit élevée. "Nous sommes au sud de la cité antique, en plein Haut-Empire, c'est à dire entre la fin du premier siècle avant notre ère et le deuxième siècle après J.C. Le terrain se situe à 50 mètres du rempart antique et à 100 mètres de la porte du Cadereau, ce secteur est encore mal connu. Cette fouille nous a permis de mettre en évidence des espaces cultivés mais aussi des secteurs liés au funéraire", note Marie Rochette. Ici, les principaux accès à la ville romaine se faisaient par la porte dite du Cadereau ou d'Espagne à l'ouest, donc, et par la porte de France à l'est.
Des traces de mises en culture ont été retrouvées, ce sont d'ailleurs les plus anciens vestiges retrouvés. Elles sont parfois recoupées par des tombes plus récentes, donc leur datation est antérieure au 1er siècle de notre ère. On voit un espace dédié à la vigne avec des fosses et deux champs bien distincts ainsi qu'une étroite zone qui peut évoquer du provignage.
Mais la partie la plus dense de ces fouilles concentrait 50 structures funéraires du Haut-Empire qui ont été mises au jour. Pour Julie Grimaud, archéologue qui a participé à la fouille, "l'enjeu opérationnel est de comprendre le fonctionnement du site. Les tombes se répartissent certainement en plusieurs groupes. Des inhumations sont très différentes. Certains corps ont la tête vers le Sud, d'autres au Nord ou à l'Est. L'un est inhumé sur le dos quand un autre l'est sur le ventre. Il y a des cercueils ou des fosses plus simples. Certains ont du mobilier, des balsamaires (des verres, NDLR) ou des monnaies ce qui est très caractéristique de l'époque. On retrouve aussi des dépotoirs."
Ce qui est moins logique, en tout cas plus intrigant, même si en France (à Poitiers, NDLR) une sépulture semblable est connue, les archéologues sont restés surpris par une tombe en particulier. "Dans une grande fosse de plus de trois mètres de long, un défunt a été déposé sur le côté gauche, redressé et appuyé par son bras gauche, comme s'il participait à un banquet. Il devait être maintenu par d'autres éléments organiques dont nous n'avons plus la trace", poursuit Julie Grimaud.
Le crâne, ainsi que d'autres dépôts, avaient déjà été prélevés. On ne sait pas quand, mais forcément entre le moment de l'inhumation et le jour de cette nouvelle découverte du XXIe siècle. Peut-être au moment de la construction de la maison qui précédait le chantier actuel ? Cette tombe renfermait de gigantesques clous qui posent question quant à leur destination. Un si gros cercueil paraît difficile à envisager. Les restes d'une litière mortuaire ? D'une véritable banquette en bois massif ? Peut-être. Les études le diront sans doute.
Autres questions, celles des puits. Au nombre de trois et partiellement fouillés (sur trois mètres seulement, NDLR), ils ont livré des ossements de faune mais aussi des restes humains encore en connexion. Ces puits sont-ils simplement des fosses funéraires ou ont-ils un lien avec l'agriculture établie sur le secteur ?
S'ensuivront des études anthropobiologiques sur les défunts qui en présentent l'intérêt puis les spécialistes seront amenés à mieux comprendre le fameux creusement de la grande fosse qui a accueilli le corps en position de banquet. Imaginons que nous sommes donc au Haut-Empire, cet espace est finalement proche de l'enceinte, loin du centre-ville, mais quand même à deux pas la cité. Ici, il y a eu beaucoup d'inhumations mais aussi des crémations et des dépôts secondaires. Des vases ossuaires, des urnes en plomb contenant des os brûlés ont été retrouvés avec des lampes à huile à côté. L'espace est confus et ardu à comprendre.
Pour limiter les doutes, de nombreux spécialistes viendront étudier les objets et déverrouilleront de nombreux questionnements. "On a prélevé la totalité du sédiment à l'intérieur d'un coffrage funéraire et on a retrouvé ce qu'on pense être des pignons de pin brûlés. Cela nous permet aussi de mieux comprendre les gestes funéraires qui accompagnaient les défunts", explique Julie Grimaud.
"Affiner la question pour que la réponse apportée soit la plus adaptée à la reconstruction d'une histoire humaine", tel est le but de ce genre de fouilles, selon Jean-Yves Breuil. Une prochaine campagne programmée chez un particulier aura bientôt lieu du côté de Nages et, d'ici la fin de l'année, l'Inrap pourrait bien annoncer son arrivée sur un futur chantier qui serait la continuité de ceux qui ont permis de grandes découvertes dans le secteur haut de l'avenue Jean-Jaurès...