ÉDITORIAL Juges et partis
Si l'on a pu longuement gloser sur la supposée lenteur de la justice et que le débat ne sera pas clos de sitôt, voilà bien un reproche que l'on ne fera pas à la justice populaire et pas non plus à ce qui se dessine comme une toute nouvelle "justice politique". La justice des partis. Si au pays de la Révolution française il se conçoit aisément que l'ire populaire, abondamment nourrie sur les réseaux sociaux en tous genres, débouche sur des décapitations virtuelles en série, tous azimuts et sans autre forme de procès, on comprend moins la propension actuelle de certains politiques à s'ériger en juge et à condamner leurs semblables à grands coups de sentences irrévocables. Prêts à tuer politiquement pairs et maires au nom de grands principes qu'ils ont parfois eux-mêmes érigés et qu'ils seront peut-être amenés à transgresser - que celui qui n'a jamais bu jette la première bière ! -, d'aucuns enfilent sans vergogne l'armure et l'épée du chevalier blanc pour prétendument nettoyer les écuries de la République en employant des méthodes que ne renieraient pas certains services secrets de pays par nous désignés comme totalitaires (espionnage de la vie privée, complotisme, coups tordus, etc.) ou en créant des commissions dédiées qui sont autant de comités Théodule aux allures d'Inquisition. Avec l'effet pervers que l'on se perd désormais dans les nébuleuses et les circonvolutions de la forme sans s'attacher au fond d'un débat politique qui gagnerait pourtant à s'apaiser et à s'éclaircir. Ceux-là seraient bien inspirés de laisser tomber les polémiques et les petites phrases pour laisser la justice, la vraie, celle qui prend son temps, faire son chemin et son travail. Et de s'atteler à faire le leur. À défaut de quoi, ils ne feront que renforcer la défiance, déjà bien prégnante et solidement ancrée désormais, que nourrissent les électeurs en particulier et les Français en général vis-à-vis de la classe politique dans son ensemble. Ce qu'on appelle se tirer une balle dans le pied en se présentant dans une position intenable : celle de juges et partis.
Philippe GAVILLET de PENEY