FAIT DU SOIR Neuf mois après le drame aux Plantiers, ils font revivre la scierie Teissonnière
Moins d'un an après un drame qui a ébranlé les Cévennes et bien au-delà, la scierie Teissonnière, théâtre d'un double assassinat, a repris du service grâce au courage de Fiona, l'épouse du défunt propriétaire, et de ses deux jeunes employés.
Neuf mois après le drame, tous les Gardois gardent en mémoire le double meurtre survenu brutalement par une matinée de printemps à la scierie Teissonnière (relire ici). Habituellement bercés par la quiétude qui caractérise cette bourgade cévenole, les quelque 250 Plantiérois ont retrouvé une forme d'apaisement, le premier édile communal, Bernard Mounier, s’échinant à panser les plaies en bichonnant "le jour d’après".
Ce mercredi matin, à son initiative, il recevait en mairie la préfète du Gard, Marie-Françoise Lecaillon, et la sous-préfète du Vigan, Saadia Tamelikecht. Si la presse n'a pas eu accès à ce temps d'échange confidentiel d'une demi-heure durant lequel ont été évoqués les projets communaux, elle a été invitée à emboîter le pas du trio lorsque ce dernier s'est rendu trois kilomètres plus bas à la scierie Teissonnière.
"Ça ne tenait qu’à moi d’essayer"
Si elle reconnaît que ce déplacement sur les lieux du drame n'était "pas anodin", la préfète du Gard dit l'avoir abordé par "le prisme de la vie d'une entreprise". "C'est aussi un moyen pour l'État d'apporter son soutien à cette femme", a toutefois complété Marie-Françoise Lecaillon. Cette femme n'est autre que Fiona Teissonnière, épouse de Luc, tué de deux balles dans la tête par l'un de ses employés le 11 mai 2021.
Mère de deux enfants (23 et 26 ans), la Plantiéroise a mis un terme provisoire à son activité de préparatrice en pharmacie pour reprendre bien malgré elle les rênes de la scierie depuis septembre dernier, relançant ainsi l'activité qui perdure aujourd'hui. "Ça ne tenait qu’à moi d’essayer de refaire vivre l’entreprise. Se casser la figure n’était pas grave en soi", a d'abord indiqué la mère de famille, avec toute la dignité qui la caractérise.
Bien qu'ayant reçu le soutien des habitants des Plantiers et de bon nombre d'organismes dont la chambre de commerce et d'industrie (CCI), Fiona Teissonnière attribue ce rebond à deux hommes. Le premier se prénomme Vincent, et est désigné comme l'unique survivant de la tuerie de mai dernier. Le jeune homme, qui n'avait que 19 ans au moment des faits, n'a pas tergiversé lorsqu'il s'est agi de remettre en marche la scierie.
Le second s'appelle Jonathan, solide gaillard d'1m85, lequel avait déjà été employé de l'entreprise Teissonnière il y a quelques années. "Au vu du lien que j'entretenais avec Martial et Luc (les deux victimes, Ndlr), c’était obligatoire pour moi de revenir. Dès que j’ai pu parler à Fiona, je lui ai fait comprendre que j’étais prêt. Je n’ai pas hésité une seconde !", rejoue le jeune homme.
Ensemble, Jonathan et Vincent, par ailleurs cousins germains, forment un duo de choc. "On avait déjà bossé tous les deux en 2018. On savait que ça allait coller car on se complète bien. Lui gère la partie mécanique et moi essentiellement le sciage du bois de châtaignier qui est très particulier, les devis et les factures", expose le premier cité.
Confiante pour l’avenir de l'entreprise familiale mais malgré tout dans "l’expectative" dans la mesure où elle ne "connaît pas vraiment le métier", Fiona Teissonnière ne cache pas sa satisfaction en voyant les deux employés s'affairer. "Ça m’aurait fait trop de peine de voir mourir cette scierie qui fête ses 30 ans cette année", admet l'épouse du défunt patron.
Et, même si le chiffre d’affaires a logiquement "légèrement chuté" après la tragédie plantiéroise, les perspectives sont plutôt réjouissantes pour la scierie dont le carnet de commandes s'avère "bien rempli jusqu’au mois de juin". D'autant que dans un élan de "solidarité", de nouveaux clients locaux se sont mis à faire appel à la société Teissonnière, au point que l'embauche d'un troisième salarié à temps partiel ne devienne inéluctable.
Parce que l'équilibre est encore fragile, le maire des Plantiers, qui dit avoir accompagné "très discrètement" la reprise de l'activité de la société en mettant ses qualités d'ancien chef d'entreprise au service de Fiona Teissonnière, veillera au grain. "On est les héritiers d'une compétence qui était concentrée sur un seul homme. Luc savait acheter le bois, le sécher, le stocker, le travailler et le vendre. Il était multitâches. Quand cette personne disparait, en l'occurrence de manière brutale et accidentelle, la transmission n'a pas pu s'effectuer, ce qui complexifie la pérennité de l'outil."
Après quoi, Bernard Mounier a désigné le poids lourd qui stationne près de l'entrée de la scierie depuis des mois sans en bouger d'un iota. "Par exemple, ce camion serait précieux pour le transport du bois. Mais aucun des deux employés n'a le permis adéquat." Plus pour longtemps ! Vincent, le "miraculé" des Plantiers, épargné par le tueur, envisage de le passer en 2023, année de ses 21 ans, âge légal pour ce type de permis.
"J'ai envie de voir mes Cévennes avec le pélardon et l'oignon doux. J'ai aussi envie de les voir garder leur savoir-faire en matière de bois de châtaignier", revendique Bernard Mounier, tout heureux de s'apercevoir que la transmission est en marche. De là-haut, Luc et Martial apprécieront assurément.
Corentin Migoule