PORTRAIT Christian Salendres, pour l’amour de Dieu et des Cévennes
Nommé chevalier de l’ordre national du Mérite en 2006, le natif de Saint-Martial vient tout juste d’être promu au rang d’officier. Cévenol dans l’âme, ordonné prêtre il y a 41 ans, le sexagénaire est un homme apprécié, investi pour la préservation du patrimoine, et qu’on n’oublie pas de consulter quand il s’agit d’évoquer l’histoire du Pays Viganais. Rencontre.
Quand on saisit notre téléphone pour alerter le père Christian Salendres de notre souhait de le rencontrer, c’est un homme enjoué qui accepte la proposition sans l’ombre d’une hésitation, se montrant même arrangeant en dépit des délais raccourcis que nous lui proposons. Non pas que l’homme soit enclin à montrer sa ''trombine'' à tout va dans les médias, mais parce qu’il ne dit jamais non lorsqu’il s’agit de parler de son ''pays''. Locataire du presbytère attenant à l’église du Vigan en qualité de curé responsable de l’ensemble paroissial, Christian Salendres nous a ouvert les portes de son ''bureau'' lors d’une après-midi pluvieuse.
Les amabilités dites, la récente décoration du natif de Saint-Martial, nommé officier de l’ordre national du Mérite, prenait place dans la conversation. « Ça m’a surpris même si j’avais été un peu alerté au mois d’octobre quand la préfecture m’a demandé d’envoyer un CV. Ça fait plaisir même si ça ne changera pas mon ordinaire de vie et le bonheur que j’ai d’être là. Après, je préfère ça qu’un coup de pied au derrière (rires). » Plus qu’une nomination, il s’agit là d’une promotion puisque le curé avait été fait chevalier en 2006. « Il faut être à la hauteur de ce qu’on reçoit mais je ne veux pas que ce soit un hommage autour de ma personne, car ce que je suis, je le suis de tout mon cœur. Je ne me force pas », promet Christian Salendres.
Une vocation remise en question
Celui qui aimerait « que les gens prennent conscience de l’aspect patrimonial de ce lieu qu’est
l’église », est aussi « l’un des rares prêtres qui parlent encore l’Occitan. » Responsable de
l’ensemble paroissial du Vigan depuis 2006, le père Salendres célèbre en effet plusieurs messes par an en "langue d’oc". Un attachement à la sauvegarde du patrimoine local, qu’il soit « physique, oral ou écrit », auquel il attribue sa récente décoration : « Ce qui m’a valu cette récompense, c’est sans doute ce que je donne au-delà de ce que je suis invité à donner par ma fonction de prêtre. »
Car ce passionné d’art, d’histoire et de généalogie est devenu « une banque de données », véritable « personne ressource » concernant ces thématiques. « Il y a peu de thèses ou de livres sur l’histoire du Pays Viganais qui se fassent sans que je sois consulté », prévient le père Salendres, sans qu’on ne décèle dans ses propos une once de suffisance. Ainsi, le sexagénaire, qui fêtera ses 70 ans cette année, voit régulièrement son nom inscrit dans les pages ''Remerciements'' des livres d’auteurs locaux. Les Cévennes catholiques : histoire d’une fidélité, de Robert Sauzet, est l’une des collaborations lui procurant le plus de fierté.
Plus récemment, le curé a aussi été sollicité dans plusieurs numéros de Cévennes magazine. Un savoir qu’il tient d’une adolescence peu commune, passée en partie le nez dans les archives de la mairie de Saint-Martial. « Le secrétaire me laissait faire, il savait qu’il pouvait me faire confiance », se souvient l’homme d’église. S’il admet volontiers que la vie de prêtre « n’est pas tous les jours facile », le Cévenol n’en demeure pas moins un homme heureux. Ce dernier se souvient aussi d’une jeunesse faite de tourments, lorsqu'à mi chemin d’un cursus post-bac qui devait le mener au sacerdoce, sa vocation s’est trouvée confrontée à une exigence morale.
« J’avais la foi, j’étais heureux de marcher vers ma destinée car j’avais grandi dans un univers catholique. Mais je me suis aussi rendu compte que j’étais sexué. Or je savais que si je voulais vraiment devenir prêtre il fallait que je reste célibataire. Tout a alors été remis en question. » En plein Grand Séminaire à Marseille, le Saint-Martialais quitte la cité phocéenne et file retrouver une bande de copains à Annecy. Un bol d’air frais dans les Alpes qui va durer trois ans, de 1973 à 1975, et durant lequel Christian Salendres occupe un poste d’agent hospitalier.
« Je me suis demandé si dieu existait vraiment ou si tout ça n’était qu’une vaste blague. Cette question ne m’a jamais laissé tranquille », confie l’éloquent sexagénaire, que l’on pourrait écouter des heures sans interruption. Réflexion faite, le Viganais d’adoption a fait le choix
de retourner sur les bancs du Grand Séminaire, davantage dans l’esprit d’étayer et de fortifier sa foi que de devenir prêtre. « Ça a été une angoisse métaphysique très forte, mais qui a été salutaire. Plus j’ai avancé dans l’étude, plus ça s’est éclairci. »
Se réinventer pour s'adapter au contexte sanitaire
Car bien qu’ayant hérité d’une foi transmise par son environnement familial, restait encore à se l’approprier. Il prend alors l’exemple d’un puzzle qu’il aimait tant enfant : « C’est comme si je l’avais défait puis reconstruit. C’est toujours le même, mais c’est moi qui l’ai construit. Je l’ai fait mien ! » Quelques mois plus tard, le Cévenol était ordonné prêtre. À peine réinstallé, le voilà à nouveau invité à quitter son village natal pour le Gard Rhodanien, suite à sa nomination au titre de vicaire paroissial et aumônier des lycées de la ville de Bagnols-sur-Cèze entre 1979 et 1984. Un exil de cinq ans sur lequel ne s’est pas attardé le père Salendres, préférant l’évocation de son retour en Pays Viganais, au moment de devenir curé doyen à Saint-André-de-Majencoules.
20 ans plus tard, en 2006, il est nommé curé de l’ensemble paroissial du Vigan, poste qu’il occupe encore aujourd’hui. À une différence près : « J’avais pris la succession d’un curé qui n’avait à sa charge que trois paroisses. Mais peu à peu les curés des paroisses voisines sont morts et je me retrouve aujourd’hui avec 16 paroisses. » Suite au décès du père Coulet survenu au mois de décembre dernier, Christian Salendres se retrouve, « pour la première fois », seul sur cet ensemble, avec une organisation qui l’oblige à « réduire la voilure » en ce qui à trait aux messes dominicales.
La pandémie et l’alternance de confinements et de couvre-feu qu’elle offre l’a aussi contraint à se réinventer. « Avec le soutien d’un bénévole féru de numérique, on a enregistré des messes diffusées ensuite sur le site de l’ensemble paroissial », explique l’officier de l’ordre national du Mérite, qui propose également, quand la situation sanitaire le permet, une messe le dimanche en fin d’après-midi pour faciliter l’accès aux jeunes.
« Je souffrais de voir ce désamour pour ce Pays »
Plutôt rare dans le milieu où le turnover est d’habitude plébiscité, le père Salendres jouit d’une fidélité au même territoire rarement égalée. « Plus j’avance, plus j’ai la conviction que les choses essentielles se vivent dans la durée. Et ça va à l’encontre de nos sociétés actuelles où il faut sans arrêt zapper », prophétise celui qui a trop d’amour propre pour « servir la même soupe tous les dimanches. » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, les dernières nouvelles me donnent raison puisqu’à Rome, une lettre du Pape François dit que le berger doit sentir la bonne odeur de son troupeau pour bien exercer. »
S’il croit fermement que dieu existe sans pouvoir le prouver « comme un et un font deux », le curé désigne « l’expérience intérieure, une expérience ineffable qui irrigue votre vie », pour expliquer sa foi. Le sexagénaire n’a pas plus de mal à justifier son amour viscéral pour son
Pays Viganais : « Pendant toute mon enfance je n’ai vu que des gens qui le quittaient. Je souffrais de voir ce désamour pour ce Pays. À l’époque, un prêtre qui était nommé en Cévennes, c’était presque une punition. » Mais parce qu’il aime « prendre le contre-pied des idées reçues », il a choisi d’y établir l’œuvre de sa vie.
Une identité qui l’ouvre à la différence
Pour autant, comme le chantait Brassens, Christian Salendres n’est pas « un imbécile heureux qui est né quelque part.» « Le fait d’être moi-même enraciné me donne une identité qui m’ouvre à la différence. Si vous saviez comme je suis heureux de rencontrer des gens qui me parlent avec amour de leur terre natale », rebondit le curé qui, en plus d’une heure d’entretien, n’a jamais regardé sa montre. Un rendez-vous à l’issue duquel nous avons tenté de mesurer la côte de popularité du Saint-Martialais en interrogeant quelques Viganais qui profitaient d’une interruption de la pluie et de l’apparition d’un rayon de soleil.
« Adorable », « serviable », et « philanthrope » sont les qualificatifs qui revenaient le plus. « Le jour où il partira, il laissera un grand vide », prédisait une vieille dame. Jules Chamoux, conseiller municipal du Vigan, par ailleurs premier délégué régional de l'association des jeunes élus de France, parle d’un homme « apprécié de sa communauté de fidèles », « capable d’ouverture d’esprit et de dialogue avec ses confrères responsables des cultes musulman et protestant. »
Si nul n’est prophète en son pays, le père Salendres ne s’y connaît pas d’ennemi. Et ça tombe bien ! À bientôt 70 ans, l’officier de l’ordre national du Mérite ne projette pas ailleurs. « Ce que je souhaite, c’est de passer plus de temps avec mes neveux et finir les dernières années de ma vie dans ma maison d’enfance à Saint-Martial, tout en restant à la disposition totale des prêtres du coin, en étant dégagé de mes charges administratives. » Qui pourrait le lui refuser ?
Corentin Migoule