Publié il y a 2 h - Mise à jour le 27.11.2024 - François Desmeures - 6 min  - vu 225 fois

FAIT DU JOUR À Monoblet, la relance de soie cévenole voit fleurir des débouchés

Michel Costa, tombé dans la soie dès sa jeunesse et qui tient à perpétuer ce savoir-faire aritisanal

- François Desmeures

La filière manque encore d'investissement et ne produira que du haut de gamme. Mais l'après-Covid ouvre une fenêtre de tir à l'inépuisable référence de la soie en Cévennes, Michel Costa, qui tente depuis plus de 50 ans de donner un avenir à ce passé riche et glorieux. Après l'installation de Sericyne il y a une dizaine d'années, la soie cévenole a repris du poil de la bête et se trouve renforcée par la volonté de développer des filières plus locales et par les dernières découvertes sur le mûrier blanc. Cévennes en soie a l'ambiton de réaliser ses premières ventes en 2025.

Michel Costa, tombé dans la soie dès sa jeunesse et qui tient à perpétuer ce savoir-faire aritisanal • François Desmeures

Derrière ses yeux perçants et son indétrônable moustache, Michel Costa vit pour la soie. Celle des Cévennes, qu'il a tenté de relancer dès les années 70, très peu de temps, finalement, après la fermeture de la dernière filature, Maison Rouge à Saint-Jean-du-Gard, en 1965. "Ma grand-mère et ma mère étaient fileuses de soie. Quand j'étais petit, il y avait toujours un élevage dans la famille", confie-t-il. 

Maison Rouge a fermé et "les derniers élevages financés par la coopérative d'Alès l'ont été en 1968. Pendant trois ans, les cocons ont continué d'être achetés et expédiés en Italie". Mais l'air du temps en a déjà décidé autrement. Et l'économie de la soie européenne n'a pas résisté aux coûts réduits des "textiles artificiels" et à la féroce concurrence asiatique (japonaise, puis chinoise à partir des années 70). 

Une machine japonaise à tisser des années 80, avec 20 filières, quand les machines industrielles en comptent 400... • François Desmeures

Michel Costa se prend de passion pour la matière et sa production et n'imagine pas que les Cévennes pourraient perdre le savoir-faire qui a bâti un semblant de richesse longtemps attendue. Dès les années 70, le néo-instituteur, formé à la soie par André Schenk de la "station d'Alès" (la coopérative), embauche ses élèves volontaires, et ceux de ses collègues, en installant des vers à soie chez eux pendant la période où ils se nourrissent. Il suffit alors de disposer d'une pièce régulièrement aérée, et surtout d'un mûrier blanc à  proximité. Car dans le laps de temps où le ver à soie prend 10 000 fois son poids initial, il est particulièrement vorace. 

"J'ai été appuyé par les immigrés de l'utopie"

Michel Costa, sériciculteur

"J'ai été appuyé par les immigrés de l'utopie", énonce poétiquement Michel Costa aujourd'hui, en soulignant l'importance, dans la passation du savoir, des néo-cévenols venus pour une forme de retour à la terre et aux savoirs qui y sont liés. "Ils voulaient aussi relancer cet artisanat. Ils étaient jeunes, pour la plupart, avec un bon bagage et souvent contestataires." Et, à l'époque, leurs enfants peuvent composer une part importante des salles de classe, selon les villages. Fédérateur, le projet de Michel Costa aura sans doute eu sa part dans le fait qu'à Monoblet, l'insertion des nouveaux habitants aura semblé moins compliquée qu'ailleurs. 

Une bassine de filature italien, que l'association est allée racheter en Inde • François Desmeures

Mais la filière n'a, alors, "pas de débouchés économiques, c'est un artisanat très marginal. Et puis, tout ce qui touchait à l'environnement n'était pas vraiment à la mode, dans les années 70-80. Les gens préféraient acheter moins cher. Finalement, un mouvement assez important s'est développé et est allé droit dans le mur. Et nous avec." Michel Costa a néanmoins continué à suivre le fil de soie. Son ex-femme et sa fille aînée ont même investi la filature de Gréfeuilhe, à Monoblet, lieu emblématique d'une tentative de relance dès les années 70 (également occupée par Sericyne ensuite). Soieries des Cévennes et sa marque, Eyos, en sont nés, même si la production reste confidentielle.

Et même si le "monde d'après" le Covid n'a pas vu le jour, la maladie a chamboulé quelques idées reçues et "insufflé" une nouvelle dynamique. On parle désormais de rappatriement de la production, de conserver savoir-faire et artisanat. "Aujourd'hui, en France et dans le monde entier, il y a quand même la volonté de combattre le réchauffement climatique et de consommer plus local, constate Michel Costa. Et il existe des politiques en faveur de la relance de filières comme le lin, le chanvre, la laine, etc." Même si Michel Costa est conscient que la relance "reste à des niveaux artisanaux"

D'un statut associatif à une coopérative

Qu'importe, c'est bien cette échelle qui intéresse Cévennes en soie, l'association à l'origine de la relance, qui regroupe des éleveurs de vers à soie et des adhérents liés à la filière. "On a une réunion le 6 décembre, en vue de constituer une SCIC" (société coopérative d'intérêt collectif). Une étape administrative de la relance. Qui s'appuie aussi sur des données scientifiques nounvelles : "Pas mal de centres de recherches se sont penchés sur le mûrier. Il se trouve que c'est un arbe riche en anti-oxydant, en vitamine C ou encore en acides aminés." Du mûrier blanc, on tire aussi des farines sans gluten. "L'arbre contient 20% d'azote, il pourrait même remplacer la viande pour les végétariens, s'enthousiasme Michel Costa. On peut en faire des pâtes, des gâteaux, de la farine, etc." 

Les cocons de fils de soie • François Desmeures

"On n'avait pas cette connaissance auparavant, insiste Michel Costa. En plus de l'alimentaire, on peut imaginer développer des produits para-médicaux. Il existe beaucoup de laboratoires à Montpellier pour la transformation, et on a commencé à travailler avec une petite société sur Paris qui fait des savons et des crèmes (à retrouver très bientôt ici). Enfin, on essaie ausi de prôner le mûrier comme puits de carbone : c'est un des arbres qui en consomment le plus, avec l'eucalyptus." Mais contrairement à ce dernier, il n'est pas inflammable et a prouvé qu'il résiste particulièrement bien à la sécheresse. 

Des dizaines d'hectares de mûriers à replanter

Le premier frein à la relance est donc à, scruter du côté de la terre, des vergers, qui "ont quasiment tous disparu, il ne reste plus que des arbres isolés, constate Michel Costa. Il faudrait replanter des dizaines d'hectares pour la filière. D'autant qu'il faut deux ans avant de pouvoir récolter les feuilles." Michel Costa estime à 30 000 € le coût d'un hectare planté, "comme la vigne".

Un champ de mûriers blancs récemment planté, à quelques centaines de mètres de Cévennes en soie • François Desmeures

Sauf que, dans un cas, on dispose d'aides à la plantation et la rentabilité est censéer venir rapidement (même si la filière viticole traverse une crise profonde). Dans l'autre, c'est un pari. Mais qui peut rapporter gros. "On est de pionniers. Aujourd'hui, le plus gros de la production va à Sericyne (relire ici, en fin d'article). Leurs besoins de développement font qu'ils prennent les trois-quarts de la production." L'association recherche donc activement de nouveaux éleveurs. "Mais il y a tellement de terres incultes... Rien qu'à Monoblet, on pourrait planter 30 hectares sans problème. Et avec un hectare de mûriers, on peut tirer 600 kilos de cocon, vendu aujourd'hui 50€ le kg. Soit, 30 000 € de revenus par hectare, si on a la vente du fil."

Pour l'instant, les quelques fils que produit Cévennes en soie partent exclusivement vers Eyos, à la filature de Gréfeuilhe, ou à l'Arsoie, à Sumène. "On tente des associations avec d'autres fibres naturelles, comme le lin, la laine ou le genêt. Début décembre, on va faire des essais avec la laine de la Raïole des Cévennes, en travaillant avec des fileurs de l'Aveyron." Michel Costa imagine un mélange 90% laine et 10% soie. 

François Desmeures

Côté textile, donc, les débouchés peuvent assurer un revenu important aux éleveurs, si la mayonnaise prend. "On est à 500 € le kilo de fil, contre 100 € pour la Chine. On travaille forcément sur du haut de gamme", traduit Michel Costa, qui a bien vu les marchés débusqués par Sericyne. Cévennes en soie pense donc d'abord produire "des carrés, des écharpes, des bandanas, dès début 2025, sous le nom Cévennes en soie". Des marques de luxe françaises, qui suivent le travail de l'association depuis longtemps, se montrent déjà intéressées. Le développement de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) incite aussi les grosses entreprises à investir localement. 

François Desmeures

"On a la capacité de produire entre 50 et 60 kilos de fil par an, explique Michel Costa au milieu de ses différentes machines du mas des Manhans, le bien-nommé. On espère entre 100 et 200 kilos l'an prochain." L'associaiton espère aussi obtenir des aides, alors que les investissements ont toujours été réalisés sur les fonds propres des membres. Michel Costa a pu s'entretenir d'un éventuel coup de pouce avec Jalil Benabdillah, vice-président de la Région Occitanie en charge de l'économie. Il espère de l'aide de l'État ou de l'Europe pour donner un coup d'envoi important.

La filature de Gréfeuilhe, à Monoblet, lieu emblématique de la relance de la soie en Cévennes • François Desmeures

Convaincu, le Parc national des Cévennes aide l'association à hauteur de 6 000 €, le Piémont cévenol a ajouté 3 000 €. Cévennes en soie estime l'investissement nécessaire, pour sécuriser la filière, à un peu plus de 100 000 €. Finalement assez peu pour retrouver un artisanat local et de haute valeur ajoutée dans une région où l'activité baisse, donner une destination à des terres qui reviennent en friche, trouver de nouveaux débouchés alimentaires ou textiles et participer à la lutte contre les incendies, tout en s'adaptant au réchauffement climatique...

Le 15 novembre, Michel Costa (2e en partant de la gauche) a rencontré le vice-président de la Région, Jalil Benabdillah (à droite), à Bagard • François Desmeures

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