Publié il y a 2 h - Mise à jour le 20.09.2024 - Propos recueillis par François Desmeures - 11 min  - vu 511 fois

FAIT DU JOUR Christian Cataldo, directeur de l'hôpital d'Alès : "Aujourd'hui, l'hôpital ne répond pas à tous les besoins de la population"

Christian Cataldo, directeur du Centre hospitalier Alès-Cévennes depuis le mois de mai

- François Desmeures

Directeur adjoint de l'hôpital alésien de 1997 à 2006, Christian Cataldo a remplacé Roman Cencic à la direction générale en mai dernier et obtient quelques succès en matière de recrutement. S'il reste beaucoup à faire pour un fonctionnement satisfaisant, dans un contexte national de difficultés, Christian Cataldo détaille ses orientations, entre réévaluation du projet de modernisation des urgences, réorganisation du bloc opératoire ou étoffement de l'offre du centre de Ponteils-et-Brésis.

Christian Cataldo, directeur du Centre hospitalier Alès-Cévennes depuis le mois de mai • François Desmeures

Objectif Gard : Vous avez quitté l'hôpital d'Alès en 2006, après avoir lancé des restructurations. Qu'est-ce qui a changé en près de vingt ans ?

Christian Cataldo : Évidemment, les locaux. Quand j'étais ici, j'ai été chargé de tous les projets immobiliers. J'étais donc directeur des ressources logistiques, techniques, des systèmes d'information, référent des Ehpad et de la psychiatrie. J'ai restructuré la blanchisserie, les cuisines, les cinq Ehpad, le bâtiment de psy - puisque je suis ancien infirmier psy, à l'origine. Puis, j'ai lancé le projet de cet hôpital, qui était le premier HQE de France (haute qualité environnementale, NDLR). Et je suis parti quand le projet a été ficelé, au moment des appels d'offre. J'étais venu pour trois ans, je suis resté près de dix ans. Quand je suis revenu, j'ai eu le plaisir de voir que le bâtiment avait été plutôt bien conçu, que les utilisateurs en étaient contents. Ce qui a changé, aussi, c'est que l'établissement est sur une zone qui explose en population, en besoins sanitaires, avec un vieillissement de la population, une précarité... On prévoit 10 000 habitants de plus en cinq ans. Donc ce qui change, c'est la périphérie de l'hôpital et les crises successives qu'il a connues, que ce soit le Covid ou le manque de médecins, qui n'existait pas de façon aussi forte. 

"Si, demain, on recrute vingt médecins de plus, ils seront saturés en très peu de temps"

Selon vous, pour répondre à la croissance de la population, l'hôpital a été bien dimensionné ou bien il faut déjà penser à un agrandissement ?

Aujourd'hui, très clairement, l'hôpital ne répond pas à tous les besoins de la population. Si, demain, on recrute vingt médecins de plus, ils seront saturés en très peu de temps. L'hôpital arrive à un premier souffle où il va falloir le remoderniser, parce qu'il a quand même douze ans. Il va falloir qu'on réinvestisse dans la partie technique, le matériel, le mobilier, etc. Des secteurs comme les SSR (soins de suite et de réadaptation), la rééducation, ont été moins bien lotis ces dernières années, ils sont importants pour "l'aval" de l'hôpital, pour pouvoir libérer de la place et prendre les gens en charge. Mais malgré les recrutements qu'on a fait, l'établissement ne parvient pas encore à ouvrir toute sa capacité en lits. Quand je suis arrivé en mai, il y en avait une soixantaine de fermés. On en a rouvert 40 ou 45. On a toujours une instabilité sur dix ou vingt lits parce qu'on n'arrive pas à compléter nos équipes médicales. Et si on est dans une période de congés, qu'on connaît un arrêt-maladie ou un départ en grossesse, on le sent tout de suite. Avant de demander des lits supplémentaires, il faut savoir si on utilise comme il faut les lits qu'on a. Peut-être faut-il réfléchir à avoir, sur le territoire, un SSIAD (service de soins infirmiers à domicile) ou une HAD (hospitalisation à domicile) pour travailler aussi sur l'extérieur et l'amont. Puis, travailler avec la ville et la clinique pour savoir si on peut organiser différement le flux. Parce qu'aujourd'hui, l'hôpital subit de plein fouet le fait qu'il y a de moins en moins de médecins. Si demain, il y a des médecins en ville, a-t-on besoin d'étendre l'hôpital ? Je n'en suis pas sûr. En même temps, je pense que l'augmentation de la population posera obligatoirement, un jour, la question du dimensionnement de l'hôpital. 

"Côté urgences, on est dans une situation meilleure que la moyenne"

La Fédération hospitalière de France estimait l'an dernier à 2 milliards d'euros ce qu'il allait manquer aux hôpitaux en 2024. Par rapport à d'autres établissements, que manque-t-il le plus à l'hôpital d'Alès ?

Il y a plusieurs aspects dans la question. D'abord l'aspect économique et financier : l'hôpital d'Alès connaît des déficits, depuis quelques années, qui sont relativement importants, ce qui pose des problèmes de fonctionnement et de trésorerie. Deuxièmement, l'hôpital connaît un déficit de recrutements, surtout en médceins, quelques paramédicaux, mais pas plus qu'ailleurs. J'ai connu des territoires où il y avait encore moins de médecins qu'ici. À Aubenas ou dans les Landes, c'était compliqué... Ici, on a 170 médécins au total, avec les internes. Je pense que, pour stabiliser les équipes, il faudrait être à 180 ou 190. Je pense à la psychiatrie, la pédo-psychiatrie, qui font face à un problème national. Paradoxalement, dans des secteurs très tendus ailleurs - la radiologie, la réanimation, l'anesthésie, la chirurgie - on n'a pas de manque. Maternité et pédiatrie, si on pouvait recruter une personne de plus, on serait content. Côté urgences, on est dans une situation meilleure que la moyenne. Il faudrait qu'on soit 24 ou 25, aujourd'hui on est 19,5... On va avoir deux départs en retraite et un autre départ, on aura des recrutements avant la fin de l'année mais on risque d'être un peu tendus en octobre. On s'organise en équipe territoriale, avec Nîmes et Bagnols, pour s'aider entre nous. On s'est fixé comme objectif d'être à l'effectif convenable en mai et on devrait l'atteindre, on a des gens qui veulent nous rejoindre. 

"Si je recrute des médecins et que l'activité suit, l'hôpital d'Alès va se redresser"

Politiquement, on vit une période d'incertitude et une fois le gouvernement nommé, les décisions budgétaires risquent d'être prises très rapidement. Ne craignez-vous cette urgence de fin d'année pour les budgets de l'hôpital ?

La partie budgétaire est un souci majeur de cet hôpital. Mais mon souci majeur, aujourd'hui, c'est de répondre aux besoins des populations, de recruter des médecins. Si je recrute des médecins et que l'activité suit, l'hôpital d'Alès va se redresser. Il n'y a pas d'antinomie, bien au contraire. Financièrement, un médecin qu'on recrute nous rapporte largement plus que son salaire. Il répond aux besoins des populations et stabilise l'hôpital. L'objectif est de redresser les finances, mais ce ne sont pas elles qui doivent diriger la stratégie de l'hôpital. On travaille avec les médecins, on a créé des commissions de projet. Quand on fait des projets, on réfléchit ensemble à combien ça nous coûte, combien ça nous rapporte, quel besoin est couvert...

"Je suis inquiet parce que je pense que le modèle écononmique des Ehpad est à bout de souffle"

Du point de vue de l'entreprise, vous investissez pour en tirer des recettes...

L'objectif est d'investir sur un besoin - et il ne faut pas se tromper sur le besoin - qui permette à l'hôpital de répondre à sa problématique financière. Souvent, en fin d'année, on a effectivement des aides complémentaires en fonction des résultats, des surcoûts qu'on a eus, etc. Il est donc important pour nous d'en avoir cette année encore... Mais le plus compliqué, dans le temps, ce seront les Ehpad. La qualité de prise en charge s'est améliorée. Mais ici, la qualité du recrutement médical n'améliore pas les recettes. C'est une charge. Tant pis, il faut recruter des gens ! Mais je suis inquiet parce que je pense que le modèle économique est à bout de souffle, il faudra un jour une décision politique pour savoir ce qu'on fait. Parce que les déficits sont récurrents, s'accumulent. On nous dit qu'il faudra rajouter du personnel un jour... Comment ? Et avec quelles finances ? Les Ehpad de l'hôpital sont pleins à 99,9 %. Sur ce territoire, avec les besoins de la population, ça va augmenter. 

En 2023, on a craint de voir les urgences de la clinique Bonnefon fermer totalement. Avez-vous rencontré les dirigeants de la clinique et vous ont-ils rassuré sur l'avenir de leurs urgences ? 

J'ai rencontré deux fois la directrice de la clinique, on travaille en très bonne intelligence et coopération. Aujourd'hui, les urgences ne sont ouvertes que la journée, je crois. Je ne connais pas leur décisions stratégiques mais on ne m'a pas évoqué une fermeture des urgences. Plutôt une réflexion sur les modalités de maintien d'une organisation là-bas. Laquelle ? Je n'en sais pas plus. De notre côté, on va essayer l'an prochain, avec les effectifs recrutés, d'avoir les deux SMUR (structures mobiles d'urgence et de réanimation) qui sortent. On n'en a qu'un aujourd'hui à 100 %, le second ne sort que quand il peut. Ça apportera aussi plus de sécurité. 

"On n'a pas la capacité, aujourd'hui, à mettre 11 millions d'euros dans les urgences"

Il existait encore, l'an dernier, un projet de réaménagement des urgences à 10 millions d'euros. Est-ce toujours d'actualité ?

Alors... Le projet des urgences avait été validé à hauteur de 3,5 millions, au départ. Il a été revalorisé à 5 millions... puis après, à 8... Et à l'ouverture des plis, on était à 11 millions. Quand je suis arrivé, j'ai clairement dit à tout le monde qu'on n'a pas la capacité, aujourd'hui, à mettre 11 millions d'euros dans les urgences. On a une aide, évidemment, mais l'emprunt de départ, qui devait être de 2 millions, passait à 9... ! Ce n'était pas possible. On s'est remis autour de la table avec les urgentistes, on a trouvé un projet plus compact qui correspond à leurs demandes. On est en train d'instruire le dossier techniquement, avec une assistance à maîtrise d'ouvrage, pour lancer les consultations à partir de l'année prochaine. On est sur une estimation de quatre millions d'euros, qui ira plus vite dans la livraison et permettra l'installation d'une unité utile en cas d'accident de type Seveso ou nucléaire, afin d'accueillir des patients à Alès avec du matériel spécialisé. On profite de ce projet pour améliorer la prise en charge. 

Que devient la Maison médicale de garde qui jouxte les urgences ?

C'est un autre sujet parce que, normalement, l'hôpital ne doit pas la financer. Aujourd'hui, ils sont installés dans nos locaux. Une réunion va avoir lieu avec eux, l'ARS, la CPTS, pour savoir où elle sera positionnée. Dans le projet des urgences, on récupère l'actuelle maison médicale mais il faut savoir où positionner la nouvelle. La réflexion est en cours, notamment sur les modalités de financement et le timing. Mais elle sera évidemment sur le site de l'hôpital. 

Le centre hospitalier de Ponteils-et-Brésis • François Desmeures

Au centre hospitalier de Ponteils-et-Brésis, la possibilité de voir s'installer un scanner était évoquée. Est-ce toujours d'actualité ?

On a déposé deux dossiers d'autorisation, l'un à Alès pour une IRM, et l'autre à Ponteils pour un scanner. On attend le résultat. Si on a l'accord, il nous faudra deux ans pour mettre en oeuvre le projet. À Ponteils, ce ne sera pas un scanner d'urgence mais un qui donne les résultats en 48 heures. Il devrait rendre un grand service à la population. Il donnera aussi une attractivité médicale à l'hôpital, des médecins pourraient venir s'il y un scanner. On veut repositionner l'hôpital de Ponteils comme un centre hospitalier avec des spécialités qui devraient répondre aux besoins des populations. 

Un projet de maison pour adultes handicapés aurait été évoqué dans ce beau bâtiment surdimensionné, vous confirmez ?

On a deux réflexions sur Ponteils. La première est un projet de travail avec les ESAT (établissement et service d'accompagnement par le travail), comme la Cézarenque à Concoules, de créer dans notre Ehpad une zone pour accueillir les handicapés vieillissants. Quand les personnes arrivent à un certain âge dans les ESAT, il n'existe pas vraiment de lieu pour les accueillir. Dans un premier temps, cela pourrait concerner six ou huit lits dans l'Ehpad, qui est sous-occupé. Si ça fonctionne, on déposera un dossier d'extension. Mais plus largement, on a choisi une assistance à maîtrise d'ouvrage pour réfléchir sur "ce beau bâtiment surdimensionné" et son avenir. Est-ce qu'on le garde ? Est-ce qu'on le coupe en deux ? Est-ce qu'on le rase ? 

"Mon objectif n'est pas de rayer l'hôpital de Ponteils. Mais si on n'y fait rien, dans dix ans, il n'y aura plus de décision à prendre."

Pour vous, est-ce une chance de disposer d'un hôpital décentralisé ou est-ce un "boulet" en raison de ses coûts de fonctionnement ?

Je pense que c'est une chance d'avoir un hôpital dans l'arrière-pays. Surtout si on se conforte à Alès, on va pouvoir offrir des services là-bas : consultations en gériatrie, en orthopédie, etc., plutôt que de descendre à Alès et faire une heure de route. Alors même qu'ici, on est saturés. Ça permettra aussi de travailler avec le sud Lozère, qui connaît des difficultés de recrutement, comme l'Ardèche. On tisse des liens avec ces territoires-là pour voir comment éviter ces flux et les traiter plus en amont. On veut rouvrir des lits de Ponteils qui sont fermés, pour ouvrir un SSR de gériatrie. 

Mais le bâtiment en lui-même, que comptez-vous en faire ? Il est menacé ?

Mon objectif n'est pas de rayer le bâtiment. Mais si on n'y fait rien, dans dix ans, il n'y aura plus de décision à prendre : le bâtiment sera obsolète, on ne pourra plus le maintenir. L'idée est de mener un audit complet du bâtiment, qui fait 8 000 m2. Si on le réduit à 4 000 m2, est-ce que l'économie générée permettra de payer tout ou partie du projet ? Avec des énergies renouvelables à la place du fuel. Cela pourrait redonner de l'attractivité à l'hôpital. Donc, soit on rase tout et on reconstruit ; soit on est en capacité de restructurer le bâtiment, d'en garder un bout ; soit on peut - je ne sais pas - créer des logements pour accueillir des internes ou des infirmiers ; soit un projet plus global de territoire pour installer des services publics dans les locaux, comme La Poste ou autre... Ce sont des réflexions qui dépasent le seul horizon de l'hôpital. 

Quand aurez-vous les premières pistes sur l'avenir de l'hôpital de Ponteils ?

L'audit devrait être rendu en début d'année prochaine - avec celui de l'Ehpad de Génolhac d'ailleurs. Les différentes hypothèses seront présentées au conseil de surveillance. Le projet prendra cinq ou six ans mais l'avenir de Ponteils serait scellé pour 25 ans. 

L'entrée de l'hôpital d'Alès • François Desmeures

Vous n'aviez pas forcément laissé un bon souvenir aux syndicats ils y a vingt ans, il semble qu'ils reconnaissent que votre arrivée s'accompagne de celle de médecins.

(Il rit) Je rappellerais juste la situation dans laquelle se trouvait l'hôpital d'Alès quand je suis arrivé en 1997 : on ne pouvait pas acheter un bout de scotch, il n'y avait plus de respirateur, tout s'effondrait. Il a fallu faire des restructurations, parfois tendues. Quand je suis arrivé, on m'a dit "Vous êtes le 18e directeur des services éco en neuf ans, vous ne tiendrez pas six mois". J'y suis resté dix ans. Je leur ai dit "Vous ne me connaissez pas. On mènera toutes les restructurations. Vous allez avoir une cuisine neuve, une blanchisserie neuve, etc." Depuis vingt ans on leur promettait cette cuisine, quatre ans après elle était faite. Ils ont eu des moments difficiles, parce qu'il a fallu diminuer les effectifs et restructurer. Mais quand je recroise les syndicalistes de l'époque, ils me disent que j'ai fait du bon boulot. Ici, c'est montagnard, c'est rugueux. Il faut respecter les partenaires sociaux, ne pas leur mentir, traiter avec eux les sujets sans écarter leurs réflexions. On a renoué le débat et les objectifs ont clairement été donnés : développer l'hôpital. Il y aura sûrement quelques passages difficiles, notamment quand on va vouloir développer le bloc opératoire jusqu'à 20 heures. Mais c'est pour que l'hôpital recrute et se développe. 

"On a arrêté une politique, avec la communauté médicale, sur la rémunération. Parce qu'il est hors de question de payer les gens 25 000 € par mois."

Mais comment avez-vous fait pour recruter des médecins récemment alors que le manque paraissait s'aggraver ces dernières années ?

J'ai récupéré directement la direction des affaires médicales parce qu'il faut montrer l'importance qu'on accorde aux médecins et à l'intérêt du recrutement. On a créé une petite équipe, à trois, et on cherche partout, on est des chasseurs de médecins (il sourit). Ensuite, on a arrêté une politique, avec la communauté médicale, sur la rémunération. Parce qu'il est hors de question de payer les gens 25 000 € par mois. On est dans les normes, ce qui fait qu'on a arrêté la surenchère. Enfin, on a créé une commission de projets : quand on reçoit les médecins, on ne leur vend pas des difficultés, on leur vend des projets. On travaille sur les conditions de vie au travail des médecins. Les jeunes ont plus tendance à parler de leur vie personnelle et à la mettre en avant. C'est de la dentelle, on s'adapte aux problématiques de chaque personne, de chaque service. Tout en gardant la valeur hospitalière : un médecin ne viendra pas s'il refuse de prendre des astreintes. Mais on fait du clé en main, au cas par cas. On est là pour les accompagner. Et puis, on a réussi à faire revenir des médécins, qui étaient soit en retraite soit partis, pour consolider les équipes au moins un an ou deux. On a pris aussi quelques médecins étrangers qui ont acquis leurs diplômes français, qui nous apportent beaucoup. Les CHU de Nîmes et Montpellier nous ont aidés à être retenus dans un programme de recherche pour faire de la recherche à Alès, en lien avec les CHU. Le bouche-à-oreille commence à être meilleur. 

Propos recueillis par François Desmeures

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