L'INTERVIEW François Noël : "Le théâtre de Nîmes encore inaccessible à un certain public"
François Noël occupe la place de directeur du théâtre de Nîmes depuis 2003. Après presque vingt ans de bons et loyaux services, le sexagénaire quittera ses fonctions pour se diriger vers un horizon qui se dessine à peine. Mais avant ce jour, François Noël a encore du pain sur la planche puisqu'il prépare d'ores et déjà la saison 2023-2024. Souvenirs, anecdotes, perspectives, le directeur se prête au jeu de l'interview.
ObjectifGard : Bientôt 20 ans que vous occupez le poste de directeur du théâtre de Nîmes. Qu'est-ce qu'il en ressort ?
François Noël : Beaucoup de choses, vous vous doutez bien. Mais je dirais que l'exigence artistique, la qualité des projets ont été mes seuls mots d'ordre. Le tout en assumant de faire une programmation subjective puisque je programme ce que j'aime. Le but étant ensuite de le partager avec le public.
Vous ne vous êtes jamais dit : "j'adore ce spectacle, mais le public aimera-t-il ?"
Je ne suis pas le seul de mon espèce, je ne suis pas plus bête, ni plus malin qu'un autre, je suis à peu près dans la moyenne. Je pense que le public est tout à fait en mesure de recevoir des choses que je trouve excellentes et même si cela semble parfois exigeant. Le public est tout à fait capable de se satisfaire de choses peut-être différentes. Nous avons mené des projets bien particuliers, insensés, en marge de la saison. Comme le Café Müller et Le Sacre du printemps, par exemple, aux arènes de Nîmes en 2016. Ou Un homme qui dort joué en septembre 2014 dans le Temple de Diane aux Jardins de la Fontaine. J'avais choisi des horaires très particuliers, pour être en relation avec le texte, à 6h le matin et à 21h. C'est-à-dire au lever et au coucher du soleil. À la représentation de 6h, c'était magnifique car les conditions ont permis d'entendre et de voir ce spectacle de manière particulière. À 6h, on n'a pas encore vécu de journée, on est neuf de la nuit, les oreilles n'ont pas été parasitées par tous les bruits de la journée, de même que la vision. Malgré les horaires, le public était au rendez-vous. Il faut savoir aller chercher la curiosité du public.
C'est votre dernière saison en tant que directeur du théâtre de Nîmes, nous y reviendrons. Mais si vous aviez dû continuer, quelle évolution auriez-vous souhaité pour le théâtre ? Est-ce qu'il n'y a pas un tournant à prendre ?
Très clairement. Repenser l'endroit (la salle Bernadette-Lafont) devient une nécessité, même d'un point de vue architectural avec tout un travail d'ouverture à faire sur la place. Malgré tout, ça reste encore un lieu inaccessible pour un certain type de public. Il faut davantage l'ouvrir, changer tous nos codes d'accueil du public, de billetterie etc. Un travail que nous avons commencé cette saison en proposant des billets à 10 € pour les moins de 26 ans. Il faut rendre ce lieu très facile d'accès, très démocratique. C'est un peu ce que j'ai commencé à faire en proposant beaucoup de représentations la saison dernière, de façon à ce qu'on puisse avoir des places même si on décide de venir au dernier moment.
C'est tout de même prendre le risque de programmer à perte.
On programme toujours à perte, de toute façon. Plus ou moins, mais ce risque-là, il s'estime, il se calcule, il s'anticipe. Nous ne sommes pas du tout dans le même cas que les cinémas qui se trouvent face à une concurrence un peu acharnée avec les plateformes de vidéos. Ce que nous proposons, c'est du théâtre vivant, ce n'est pas le même rapport. Le public revient dans les salles de théâtre, même si ça a été compliqué au départ dû au protocole d'accueil. Le virage à prendre, c'est de démocratiser le plus possible le théâtre. Cette année, nous proposons la pièce La Saga de Molière, hors les murs, dans des centres sociaux de la ville entre autres(*). Pour donner envie aux populations qui ne nous connaissent pas ou ont un préjugé à notre sujet, il faut aller vers elles.
Un projet de réaménagement de la salle Bernadette-Lafont est-il en cours ?
Non, j'y avais pensé mais il faut travailler avec des architectes, des gens dont c'est le métier. C'est la première étape, la principale, avant d'aller chercher des finances. Quoi que les finances aujourd'hui, ça va être compliqué à trouver !
Vous avez présenté le programme de la saison 2022-2023, et cela dans un contexte particulier car vous quitterez vos fonctions le 31 janvier 2023.
J'avais pour objectif de poursuivre jusqu'à la fin du mandat de Jean-Paul Fournier, parce que je lui suis reconnaissant. Il se trouve qu'il y a eu cette baisse des subventions de la Ville alors que j'étais dans une période de reconquête de public, en sortie de covid. C'était particulièrement malvenu. Mais aujourd'hui, si tout s'est apaisé - on m'a assuré de plusieurs manières différentes que le budget reviendrait à la normale - je n'ai pas de regret d'avoir pris cette décision. Il est temps d'arrêter, ça fait 20 ans que je suis là. J'ai des propositions déjà, je n'ai encore répondu à aucune. Je vais prendre le temps de la réflexion, mais je ne vais pas m'arrêter de travailler. Je vais continuer à faire ce que je sais faire de mieux, mais pas dans le cadre d'une grosse maison.
Savez-vous qui vous remplacera ?
Nous avons reçu une vingtaine de candidatures, dont la grande majorité est de bonne qualité. C'est important et ça l'est d'autant plus que le théâtre n'est pas épargné en matière de crise du recrutement. De nombreux lieux ont du mal à trouver des candidats, à pouvoir faire une sélection.
Quel profil recherchez-vous ?
Une personne expérimentée, on ne peut pas prendre cette maison en étant débutant. Il faut avoir au minimum dirigé une maison et avoir une pratique de la programmation. Ce volume de candidats, je pense qu'on le doit à la notoriété du théâtre de Nîmes. La ville de Nîmes est certes attirante, mais ça ne suffit pas. Il faut que l'outil soit désirable, aujourd'hui il l'est de par le travail que j'y ai fait, en toute simplicité.
De quelle manière ces candidatures vont-elles être étudiées ? Quel est le processus ?
Quatre institutions participent au recrutement du nouveau directeur : l'association théâtre de Nîmes, la ville de Nîmes, la Direction régionale des affaires culturelles et la région Occitanie. Une présélection de 4 ou 6 candidats à parité, sera faite dès demain (elle a eu lieu le vendredi 23 septembre, NDLR). À charge pour eux d'écrire un projet pour le théâtre de Nîmes, de donner une orientation générale au projet. Puis, ils seront reçus à un oral le 2 décembre pour présenter leur projet. S'il y a un consensus immédiat, nous connaîtrons le nom du ou de la prochain(e) direct(rice)eur. La prise de poste est au 1er février.
Peut-être que le festival flamenco pourrait présenter une difficulté particulière à votre successeur, en fonction de ses connaissances sur le sujet ?
Le festival de flamenco est inscrit dans le cahier des charges du théâtre de Nîmes. On ne peut pas passer à côté. C'est indispensable de le maintenir, aujourd'hui, c'est un incontournable. Ça peut effectivement présenter une difficulté.
Propos recueillis par Stéphanie Marin