NÎMES Le comédien François Morel : "En se mettant à la place de quelqu'un d'autre, tout est possible"
Après la première hier, mardi 4 octobre, François Morel et son équipage seront de nouveau sur les planches du théâtre de Nîmes ces mercredi et jeudi soir. L'ex-Deschiens signe avec l'écrivain cinéaste, Gérard Mordillat, et le compositeur multi-instrumentaliste, Antoine Salher, une conférence chantée : "Les marins sont tous des chanteurs". Interview.
ObjectifGard : Le théâtre de Nîmes vous accueille pour trois représentations entre le 4 et le 6 octobre. Quel est votre rapport avec le théâtre de Nîmes et notamment avec François Noël (le directeur du théâtre, NDLR) dont vous avez scandé le nom hier soir lors de la première ?
François Morel : Avec François Noël, c'est un rapport amical et de fidélité qui dure depuis de très longues années puisque je l'ai connu quand il était directeur technique dans la compagnie de Jérôme Deschamps. Et peut-être même avant d'ailleurs, quand il était directeur technique à Sète, et que nous avions présenté un spectacle, Les Frères Zénith, en 1989. À chaque fois que j'ai fait un spectacle, ça l'a intéressé, il l'a programmé. On a une bonne relation amicale et professionnelle, de confiance. C'est extrêmement précieux. Nos métiers sont faits sur des relations humaines, donc c'est important.
« Tous les marins sont des chanteurs », c’est d’abord une histoire de rencontre avec un poète inconnu mort en mer en 1900, Yves-Marie Le Guilvinec ; après la découverte d’une brochure datée de 1894 dans un vide-greniers à Saint-Lunaire. Est-ce que vous ne nous mèneriez pas un peu en bateau ?
Si ! (Rires) Une autre journaliste, sans me traiter de menteur, m'a fait remarquer que lors de la représentation à laquelle elle a assisté, c'était la date anniversaire de la mort d'Yves-Marie Le Guilvinec.
Exactement comme moi hier soir !
Justement, elle m'a demandé si le soir suivant serait encore la date d'anniversaire de la mort d'Yves-Marie Le Guilvinec. J'ai répondu : oui. Et c'est ainsi tous les soirs. C'est une invention pure. Mais le fait de se déplacer fait parfois écrire des choses différentes. Mon ami, Gérard Mordillat dirigeait avec Odile Conseil, un festival de films consacrés à la mer au Havre. Il m'avait demandé de conclure ce festival en venant chanter quelques chansons de marins. Ce qui m'a un peu inquiété car je n'avais pas ce genre de chansons. Mais en y réfléchissant, j'ai essayé d'en écrire une... Tous les marins sont des chanteurs. Antoine [Sahler, NDLR] a écrit une musique tout de suite. Ça nous a amusés et le fait de se dire que c'est un type qui a vécu il y a un siècle qui a écrit cette chanson, ça permet de parler, par exemple, de SOS Méditerranée de façon un peu détournée, de la façon dont on doit se comporter sur la mer...
L’immigration, la condition des femmes etc, sont également des sujets abordés.
Je pense qu'en mon nom propre, je n'aurais jamais osé aborder ces sujets-là. Qui suis-je pour le faire ? Mais en se mettant à la place de quelqu'un d'autre, tout est possible. Comme un comédien, quand il joue un rôle, ce n'est pas tout à fait lui mais c'est aussi une partie de lui qu'il utilise. C'est un peu de cette façon-là que j'ai travaillé en me disant : "Qu'est-ce qu'aurait dit un type en 1890, des gens qui sont en mer, qui périssent en mer ?" Est-ce qu'on les laisse crever ? Est-ce qu'on leur tend la main ?
L'imaginaire est-il tout de même nourri de recherches précises sur le sujet, de références historiques ?
Ce spectacle a été écrit à trois. Je pense que Gérard Mordillat est le plus sérieux sur le plan historique parce qu'il a fait des documentaires, des recherches régulières. Nous, Antoine et moi, nous sommes plus fantaisistes, l'un travaillant sur la musique, l'autre sur les textes. Bien qu'Antoine a eu envie d'en écrire un ou deux, il a fait "La pêche à la morue" par exemple qui permet de parler de la surpêche, un problème vraiment actuel.
On vous découvre aussi danseur et de danse bretonne qui plus est. C’est d’ailleurs même frustrant de devoir rester assis dans son fauteuil…
(Rires) Ah oui, c'est vrai ? Il faut venir me rejoindre. Il faudrait presque faire un fest-noz après. Ça pourrait se faire, ce serait marrant.
En sortant de la salle, j’ai entendu un spectateur s’étonner : "C’est la quatrième fois qu’on le voit sur scène, et ce n’est jamais le même registre, on est toujours surpris". Un effet de surprise conscient ou non ?
Oui, mais c'est aussi pour moi, je n'ai pas envie de faire le même spectacle. Alors c'est plus compliqué maintenant, je me demande ce que je vais bien pouvoir faire pour le prochain. Je ne sais pas très bien. Mais ce qui est aussi agréable c'est qu'on n'est pas toujours le même nombre sur scène. Là, nous sommes plus nombreux. Et le fait de faire venir une chorale à la fin c'est hyper agréable, de voir du monde sur scène. On perd presque cette notion-là au théâtre, on voit de nombreuses pièces avec une ou deux personnes. Je pense que les gens disent que c'est à la fois différent mais tout en me retrouvant, avec à chaque fois des trucs où on se marre, d'autres où on se marre moins. J'aime le mélange des genres. Mais en réalité, je fais surtout ce que je peux !
Comme François Cluzet, François Damiens ou Kylian Mbappé, vous faites votre entrée dans le petit Larousse 2023. Comment avez-vous réagi lorsque vous l’avez appris ?
Un copain m'a appelé pour me le dire, j'ai cru qu'il se trompait. Et puis non. Franchement, j'étais assez fier. Parce qu'en plus, ce n'est pas un truc qu'on demande. J'ai 63 ans, ça veut dire que j'ai quand même bossé plutôt pas mal, puisque c'est reconnu. En fait, j'ai pensé à ma grand-mère, parce qu'elle nous offrait le dictionnaire Larousse à nos 10 ans. Ça n'a peut-être plus le même impact aujourd'hui, mais j'étais content, assez fier. En plus je suis sur la même page que Yolande Moreau, je trouve que je suis en très bonne compagnie.
Propos recueillis par Stéphanie Marin