FAIT DU JOUR Crise : le boom des jeux d'argent et de hasard
Un jackpot minimum de 13 millions d’euros. La Française des jeux invite à jouer le vendredi 13 décembre. Mais les organisateurs de jeux d’argent et de hasard n’ont pas besoin de draguer de nouveaux clients. Même si les annonces de plans sociaux s’enchaînent, les gens jouent. Vraiment. Deux Gardois font partie des gagnants du tournoi de poker Winamax de Montpellier. 800 joueurs étaient attendus. Il y en a eu 944. « On va faire plutôt un bon chiffre d’affaires sur les paris cette année », estime Antoine Maubon, président de l’association des courses du Gard-hippodrome des Courbiers. Le casino des Fumades a reversé 1 million d’euros de royalties à la mairie en 2023. « C’est la moitié du budget communal », reconnaît Geneviève Coste, maire. Qui joue ? Pourquoi ? Les joueurs sont-ils vraiment gagnants ou bien est ce que ces jeux sont d’une certaine façon « une taxe sur les pauvres » comme l’explique le sociologue Thomas Amadieu ?
« C’est le droit de rêver »
Ils veulent changer de vie d’un coup de baguette magique, gratter un billet pour boucler le mois. Jeux à gratter, à tirer, paris, poker… ils jouent pour conjurer la crise ou pour vivre des sensations fortes.
Un monsieur présente son ticket de jeux à gratter. Tristan Almayrac, propriétaire du tabac-presse le Saint-Michel, le passe dans la machine. Elle émet un borborygme. C’est mauvais signe. Le joueur achète aussitôt un autre ticket. « Le quatrième, c’est le bon », assure-t-il. Cet homme s’installe sur une tablette près de l’entrée de ce commerce de la rue Pierre-Semard. Loto, "Parions sport"… Sur la porte sont affichés les gains Française des jeux obtenus dans ce commerce. D’autres écriteaux envoient des messages de prévention et rappellent que les jeux sont interdits aux moins de 18 ans. Le monsieur fait une opération blanche : il a gagné 20 euros, mais en avait dépensé 20. Il a été moins chanceux que le joueur qui a gagné 500 000 euros le 12 novembre avec des tickets achetés dans ce tabac-presse.
Un ticket à 500 000 euros
Cet heureux gagnant qui n’avait pas prévu de passer par là, a gratté ses deux tickets X20 à son domicile. Sur l’un d’entre eux, le coefficient multiplicateur 20 apparaît face à la somme de 25 000 euros. Le communiqué fourni par la Française des jeux, précise que cette somme lui permettra d’acquérir « son cocon familial » et de « préparer l’avenir de ses enfants ».
« On ne sait pas de qui il s’agit mais c’est génial », se réjouit Tristan Almayrac qui a repris ce tabac-presse nîmois avec sa compagne Jennifer Rodrick, il y a deux ans et demi. Il n’a pas le temps d’en dire plus. Une mamie se présente. Elle ne veut pas de ticket à gratter. Elle essaie, en vain, de négocier pour qu’on lui avance un paquet de cigarettes. Elle promet : demain, elle le remboursera.
Les prix alimentaires, de l’énergie sont très hauts. Solvay à Salindres, Royal Canin à Aimargues… les annonces de plans sociaux se succèdent dans le Gard. Mais la Française des jeux se porte bien, extrêmement bien. Quand on épluche les bilans de l’Autorité nationale des jeux, les chiffres positifs s’amoncèlent. Le produit des activités de loterie, grattage et tirage, a augmenté de 4% au premier semestre 2024. Les jeux de tirage ont eu +6,7 % de chiffre d’affaires.
Pourquoi les gens jouent alors que la France connaît une période d’inflation inédite ? « C’est le droit de rêver, répondent Tristan et Jennifer. Quand vous voyez un gain à 500 000 euros avec un ticket à 5 euros, cela fait rêver. Quand les personnes âgées jouent au loto, elles disent que si elles gagnent, elles le donneront à leurs petits-enfants. »
Hausse des participants aux tournois de poker
Combien de Gardois jouent aux tickets à gratter et autres loteries de la Française des jeux ? Impossible de le savoir. L’Autorité nationale des jeux n’a pas publié de chiffres. Par contre, en 2023, elle a comptabilisé dans le département 32 592 parieurs sportifs et 17 914 joueurs de poker en ligne. Le week-end du 16 novembre, Winamax, qui fait partie des sept opérateurs agréés de poker en ligne, a organisé un tournoi, dans la vie réelle, à Montpellier. Ils attendaient 800 joueurs. Il y en a eu 944, c’est-à-dire 36% de plus que lors de leur précédent tournoi montpelliérain de janvier 2023.
Florent Gély, fonctionnaire, n’était pas présent au tournoi de Montpellier, mais cet habitant du Gard rhodanien compte bien s’inscrire à celui d’Aix-en-Provence programmé en mars 2025. Ce passionné n’est pas surpris que les gens jouent malgré la crise : « C’est l’appât du gain puis il y a aussi le côté addictif. C’est comme pour les fumeurs, vous avez beau augmenter les prix du tabac, ils fument quand même. » Cet homme qui pratique le poker depuis 2005-2006 ajoute aussi que, depuis une dizaine d'années, l’accès au poker s’est « démocratisé ». Même si les tournois les plus prestigieux peuvent être facturés 100 000 euros, aujourd'hui « on peut jouer à partir de 50 euros à des tournois de poker dans les casinos », ce qui a dopé la fréquentation.
Lui a commencé avec des parties entre amis en misant entre 2 et 10 euros. Puis, il est allé jouer au poker en casino. Depuis 2011-2012, il est membre du club de poker bagnolais « Pok du Rhône ». Avec ce club, il participe à un championnat en ligne Winamax qui lui permet de décrocher une entrée gratuite à un tournoi de poker au grand casino de Madrid. « Normalement l’entrée coûte 500 euros. » Il part une semaine là-bas en 2022 et en revient avec 1000 euros de gains.
Ascenseur émotionnel
Mais quand il fait la différence entre ce qu’il gagne et ce qu’il perd, est-ce qu’il est vraiment gagnant ? « Quand je fais le calcul, je suis largement positif, assure-t-il. Je ne suis pas un flambeur. Quand j’ai gagné 1000 euros, je ne suis pas aussitôt aller les rejouer. On a une mauvaise image du poker où on y va pour laisser son argent, ses terres, sa maison… c’est tellement encadré que ce n’est pas possible sauf si c’est une maladie. » Peut-on jouer au poker sans argent, comme à la belote ? Non, rétorque-t-il. « Il faut qu’il y ait un enjeu, une carotte. Il faut travailler sur les émotions de l’adversaire, sur sa peur de perdre. » Il aime l’espèce d’adrénaline, « l’ascenseur émotionnel » ressenti en jouant au poker : « On peut avoir un très bon jeu et là, on est au sommet. On est quasiment sûr de gagner puis l’adversaire sort un meilleur jeu. On passe d’une super joie à une grosse déception en quelques secondes et inversement. »
Chiffre d’affaires en hausse sur les paris hippiques
D’autres s’exaltent sur les courses de chevaux. « On va faire plutôt un bon chiffre d’affaires sur les paris cette année, avec un retour au niveau d’avant covid », estime Antoine Maubon, président de l’association des courses du Gard-hippodrome des Courbiers. Trot, galop, plat, obstacle… 82 courses réparties sur dix journées ont été organisées cette année dans cet hippodrome nîmois, voisin de la route de Beaucaire. Pour assister aux journées de course appelées « réunions », il faut verser 5 euros. On est ensuite libre de parier ou pas. Grosso modo, en fonction de la météo, du calendrier, les réunions hippiques nîmoises attirent entre « 500 et 1500 spectateurs ». « On a toute la gamme des parieurs. Ceux qui parient 2 euros pour s’amuser et ceux qui peuvent aller jusqu’à 100 euros sur chaque course », décrit-il. Côté paris, il se joue entre « 10 et 35 000 euros ». Les jours de réunion, on peut miser sur les chevaux qui s’affrontent sur la piste mais aussi sur d’autres courses PMU.
« Les sociétés de courses sont des associations loi 1901 à but non lucratif, insiste Antoine Maubon. Les gens ne le savent pas, mais c’est un organisme de pari mutuel et une grande partie de l’argent joué revient à la filière et à l’industrie du cheval, pas à des actionnaires. » Les sénateurs en ont conscience. Le 21 novembre dernier, lorsqu’ils ont examiné le projet de loi de finances de la sécurité sociale, ils ont adopté un amendement pour renforcer la fiscalité des jeux d’argent et de hasard. Mais les paris hippiques, physiques ou en ligne sont exemptés pour « préserver une filière fragile ».
EN CHIFFRES
• Jeux en ligne. 32 592 Gardois font des paris sportifs, 17 914 jouent au poker et 5300 s’adonnent aux paris hippiques, selon des données 2023 de l’ANJ.
• Les jeux d’argent et de hasard sont interdits aux mineurs. Mais plus d’un quart des jeunes de 17 ans indiquent avoir joué à un jeu d’argent de hasard dans l’année et 4% y a joué de façon hebdomadaire selon les données 2022 de l’observatoire français des drogues et toxicomanie. Près d’un joueur de 17 ans sur 10 présente « un score évocateur de jeu problématique ».