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Publié il y a 1 an - Mise à jour le 11.11.2023 - Sabrina Ranvier - 4 min  - vu 483 fois

FAIT DU JOUR Ferdinand Sammouth, vétéran du débarquement de Provence

« Mon grand-père Ferdinand va fêter ses 100 ans le 11 novembre 2023. »

- Sabrina Ranvier

« On le surnomme le warrior dans la famille. Il a eu un covid long, sans symptômes. Ce n’était rien du tout à côté de ce qu’il a vécu pendant la guerre », sourit Andéa Sammouth. Son grand-père, Ferdinand, fête ses 100 ans ce samedi 11 novembre 2023. 

Ferdinand Sammouth est un grand gourmand. Il adore les gâteaux chocolat noisette et ses yeux pétillent quand on évoque les repas préparés à la maison de retraite. C’est un mélomane qui apprécie toutes les musiques : le jazz, le rock, le blues et même le rap d’Eminem qu’Andéa, sa petite-fille, lui faisait écouter en lui posant un casque sur les oreilles. Ce natif de Tunisie possède d’ailleurs une grande collection de 33 tours. Mais, dans sa chambre à Clair soleil à Nîmes, il a préféré emmener un objet provenant d’une autre de ses collections : une maquette d’une jeep de l’armée américaine de 1943. Ferdinand aura 100 ans le 11 novembre 2023. Il a débarqué en Provence, sur une plage de Saint-Raphaël le 15 août 1944. Il avait 21 ans et c’était la première fois qu’il venait en France.

Ferdinand Sammouth rejoint l'armée française à 19 ans. Il a servi dans le 3e bataillon des zouaves portés. Il débarque en Provence à 21 ans.  • © collection privée famille Sammouth

Films de guerre, bandages

Il est retourné sur cette plage à plus de 90 ans. « Il a reconnu. C’était émouvant », se souvient Andéa. Aujourd’hui, c’est elle la gardienne des médailles de Ferdinand. Il tient à ces distinctions. Quand on veut les photographier, ce presque centenaire les positionne délicatement. Quand Andéa était petite, son grand-père lui prêtait ses médailles : « Enfin il me prêtait celles qui avaient le moins de valeur et je les portais autour du cou. » Les parents de cette fine brune, aujourd’hui retraités, étaient commerçants. « J’ai grandi avec mon papi qui me gardait les après-midi. Au lieu des dessins animés, il me faisait voir des films de guerre au grand dam de ma mère, sourit cette jeune trentenaire qui tient une épicerie fine aux halles de Nîmes. Je me mettais même un bandage autour du bras comme lui. » Ferdinand dissimulait son bras sous une bande blanche pour masquer la vilaine cicatrice laissée par une balle à expansion "dum dum". Avec tendresse, Andéa caresse le bras de son grand-père et retrace le parcours de cette munition qui avait tout cassé à l’intérieur le 21 novembre 1944. Depuis, ce droitier ne peut plus se servir de son bras droit. La guerre a aussi emporté une grande partie de son audition.

Du port de Sousse aux champs de bataille de Colmar

Andéa a tout noté pour tout garder en mémoire. Ferdinand porte un nom à consonance anglaise. Sa famille originaire de l’île anglaise de Malte, s’installe au bord de la Méditerranée, à Sousse, en Tunisie. Le jeune homme passe son certificat d’études, s’amuse à faire des concours de plongeons dans le port avec ses copains, fait des petits boulots. « À 19 ans, l’armée française est venue le chercher. Ils ont tapé à la porte et il s’est porté volontaire pour sauver l’Europe contre les Allemands », relate sa petite-fille. Il s’entraîne deux ans au Maroc, à Casablanca. L’armée française, qui n’a plus de moyens, lui fournit une chaussure pointure 40 et une autre pointure 43. Ce sont les Américains qui les équipent d’uniformes.

Le 15 août 1944, Ferdinand débarque à Saint-Raphaël. « C’était la nuit », décrit-il. Des Allemands les attendent, il passe à travers les tirs. Sa division rejoint Colmar dans le but d’atteindre Berlin. « On était trois dans le char. On a mis deux semaines à monter », résume-t-il. « Le char blindé Bayard roulait sur des corps, c’était déjà l’horreur », ajoute sa petite-fille à qui il a souvent raconté cette histoire. Elle sort une photo : c’est une statue de vierge placée au coin d’une rue à Colmar. « Nous sommes très croyants, c’est la vierge que mon grand-père a imploré de le sortir de cet enfer en novembre 1944. »

Le 21 novembre, on l’envoie en mission à la place d’un camarade malade. À Mulhouse, il tombe en embuscade avec son ami Amor. Il reçoit une balle dans le bras droit mais refuse d’abandonner son poste. « Il a tiré du bras gauche en s’appuyant sur Amor. En atteignant les chenilles du char allemand, il l’a bloqué », décrit sa petite-fille. Amor lui fait un garrot. Un chirurgien lui sauve son bras. Il passe six mois en convalescence. Mais, dans la semaine qui suit sa blessure, tous ses camarades, dont son ami Amor, perdent la vie.

Ferdinand Sammouth a obtenu la croix de guerre avec palme. « Chargé de surveiller le mouvement d’un char ennemi, a été pris sous le feu de ses armes automatiques, tandis qu’il se rendait à son poste d’observation. Malgré sa blessure grave, refusant tout secours, ne s’est replié qu’après avoir accompli sa mission », écrit le Journal Officiel du 12 juin 1947. • © Sabrina Ranvier

Lui revient en Tunisie, grand invalide de guerre. Le journal officiel du 12 juin 1947 annonce que Ferdinand Sammouth, soldat de 2e classe, membre du 3e bataillon des zouaves portés est décoré de la croix de guerre avec palme. « On lui a proposé trois choix : lui donner un chalutier, une licence de camionneur terrassier ou une propriété viticole. » Il opte pour la troisième option et gère 33 hectares à Bouarcoub.

Ses yeux sourient quand on lui parle de sa rencontre avec la grand-mère d’Andéa, croisée dans la rue. Son visage se ferme un peu quand on prononce le nom de Bourguiba, premier président de Tunisie. Le pays, qui était un protectorat français, obtient son indépendance le 20 mars 1956. Habib Bourguiba, communiste, nationalise les terres. Ferdinand et son épouse d’origine sicilienne, et leurs deux fils, ont entre 24 et 48h pour quitter le domaine.

Ils partent en France, reconstruisent une vie à Montpellier. Ferdinand a été naturalisé français par décret après la guerre. Il devient gardien de supermarché tandis que son épouse travaille dans les ambulances.

En 1975, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. Son fils aîné est décédé dans un accident de moto. Ferdinand a toujours vécu avec son fils cadet, Alain, à Montpellier. La famille a ensuite fait un passage à Saint-Raphaël avant de s’installer à Nîmes.

Ils ont dû se résoudre à trouver une place en Ehpad pour Ferdinand. « Toute notre vie, on a gardé papi avec nous. Il a commencé à tomber une fois, deux fois, trois fois… C’était plus serein pour tout le monde qu’il aille en milieu médicalisé », explique Andéa.

La famille Sammouth : Ferdinand à droite, Adrienne, et son fils Alain. • © collection privée famille Sammouth

Ses parents viennent le voir tous les deux ou trois jours. Elle passe une à deux fois par semaine. Ce mardi 24 octobre, le directeur entrouvre la porte de la chambre de Ferdinand et confirme qu’il y a bien une salle réservée pour ses 100 ans. La famille de Ferdinand prévoit un immense gâteau avec une génoise chocolat noisette et un beurre pâtissier. Ils ont convié le directeur, les autres résidents. Andéa a contacté l’Onac (Office national des anciens combattants et des victimes de guerre), la Mairie et même l’Élysée. En espérant que, peut-être, ils rendent un hommage à son grand-père comme ce qui a été fait pour les vétérans du débarquement de Normandie.

Sabrina Ranvier

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