Publié il y a 1 an - Mise à jour le 26.02.2023 - Anthony Maurin - 6 min  - vu 570 fois

FAIT DU JOUR Gabriel de Luetz, Gardois proche de Soliman le Magnifique

L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien)

L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien)

- L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien)

L'ambassadeur nîmois du XVIe siècle a marqué les esprits de son temps, a laissé une empreinte marquante de son passage auprès de Soliman le Magnifique mais a été oublié de l'histoire de France.

Connaissez-vous le marquis des Îles d’or ? Cette même personne était aussi proche que possible d’un certain Soliman le Magnifique. Déjà, connaissez-vous les Îles d’or ? C’est pas le Pérou, aucun cité dorée mais l’or réside dans la beauté du paysage au soleil levant. Les Îles d’or sont donc les îles d’Hyères, Porquerolles et Port-Cros pour les plus connues. L’île Bagaud, celle du Levant et quelques îlots rocheux au large de Giens viennent compléter l’appellation.

Gabriel de Luetz baron et seigneur d'Aramon peint par Titien en 1542
Gabriel de Luetz baron et seigneur d'Aramon peint par Titien en 1542. • Gabriel de Luetz baron et seigneur d'Aramon peint par Titien en 1542

En tout cas c’est bel et bien grâce au roi Henri II, en 1550, que ces îles arrivent dans le giron de notre personnage historique du jour. Peu de temps après les avoir reçues du roi, un comte et baron Allemand, Christophe, comte de Rogendorff, cède sa récente acquisition à notre Nîmois Gabriel de Luetz, ambassadeur français auprès de l'Empire ottoman. La boucle est bouclée !

Pourquoi ce don ? Pour remercier notre Nîmois de l'avoir fait libérer des geôles turques, rien que ça. Ainsi en février 1552, Luetz porte le titre de "Marquis des Îles d’or". Pour l’anecdote, il eut le droit d'ajouter à ses armes sept fleurs de lys d'argent sur fond d'azur.

Coup de main suprême, pour peupler les lieux, le roi les décrète "terre d'asile pour les condamnés de droit commun". Bon, vous imaginez que cette décision n’a pas eu que de bons côtés mais elle a existé. Gabriel de Luetz meurt en 1553 ou 1554, en Provence. 

Qui est Gabriel de Luetz ?

Né à Nîmes en 1508, Gabriel de Luetz est baron et seigneur d’Aramon (et de Vallabrègues). On n’en sait pas beaucoup plus mais il semble s’être marié en 1526. Ce dont on est sûr, c’est qu’il a grandement participé au développement de la curiosité humaniste en Orient et donc, à l’installation de la Renaissance en France.

L'Empire ottoman est à l'apogée de sa puissance à la fin du xvie siècle.
L'Empire ottoman est à l'apogée de sa puissance à la fin du xvie siècle. • L'Empire ottoman est à l'apogée de sa puissance à la fin du xvie siècle.

Comment en est-il arrivé là ? En 1546, alors âgé de 38 ans, Gabriel de Luetz est nommé ambassadeur par François Ier auprès de l’Empire ottoman. Et de son plus haut représentant, Soliman le Magnifique.

Gabriel de Luetz est un choix audacieux mais pertinent. Le Nîmois connaît déjà l’Empire et cette partie du globe pour y avoir conclu, sous le regard du pape Paul III, une alliance liant le royaume français en difficulté à l’immense Empire ottoman. En effet et après la lourde défaite de Pavie en 1525 durant laquelle les armées de François Ier se font dévorer par celles de Charles Quint, le roi français a demandé une aide à Soliman le Magnifique.

L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien)
L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien) • L'ambassadeur français près la Porte Ottomane, Gabriel de Luetz, est présent au siège de Tripoli en 1551, ainsi qu'aux campagnes ottomanes ultérieures (Tableau de Titien)

Toulon sera la première ville à en profiter car les Ottomans, avec à leur tête Barberousse, viennent se reposer dans cette rade après les premières batailles communes en Méditerranée. C’est d’ailleurs de cette présence turque à Toulon que l’on tient la première représentation de cette ville.

Ambassade et savoir-vivre

Cette nouvelle alliance rééquilibrant largement les rapports de force en Europe entre la France et l’Espagne de Charles Quint lui fait pousser des cris d’orfraie.

La flotte de Barberousse hivernant dans le havre à Toulon en 1543, par Matrakçı Nasuh. En bas à droite, on voit la Tour royale, alors récemment construite.La flotte de Barberousse hivernant dans le havre à Toulon en 1543, par Matrakçı Nasuh. En bas à droite, on voit la Tour royale, alors récemment construite.La flotte de Barberousse hivernant dans le havre à Toulon en 1543, par Matrakçı Nasuh. En bas à droite, on voit la Tour royale, alors récemment construite.
La flotte de Barberousse hivernant dans le havre à Toulon en 1543, par Matrakçı Nasuh. En bas à droite, on voit la Tour royale, alors récemment construite.

En 1547 notre bon seigneur gardois est donc envoyé par François Ier (il meurt cette même année) vers Soliman qui va mener une guerre contre la Perse. Il prend la succession de Jean de la Forest. Gabriel de Luetz joue ainsi un rôle assez important pour s’attirer les faveurs de l’empereur ottoman en lui distillant des conseils stratégiques et militaires, surtout sur l’artillerie et l’emplacement des pièces importantes lors d’un siège.

À partir du 2 mai 1548 et jusqu’en 1549, il suit les troupes ottomanes et cette période sera magnifiquement retranscrite par le secrétaire de Gabriel de Luetz, Jean Chesneau dans son Voyage de monsieur d’Aramon. Le 28 juillet 1548, l’ambassade de Luetz fait de lui le premier français à entrer dans Tabriz, capitale de la dynastie safavide. Le seigneur d’Aramon y voit de nouvelles mosquées et le beau palais du Shah que les troupes de Soliman vont mettre à sac. Il choisit la prise d’un "château merveilleusement fort" par le siège pour dévoiler ses talents de stratège artilleur.

Humanisme et curiosité pour le Levant

C’est aussi là que l’on découvre un Nîmois à son aise dans cette région alors méconnue de l’Europe occidentale. Mieux que cela, il noue un réel lien avec le patron local qui restera dans l’histoire et qui vivra en sa compagnie de bien jolies choses car si Soliman se replie sur Alep, Gabriel de Luetz poursuit son aventure et assume parfaitement son rôle de mécénat confié par le roi. Si on se souvient de la Campagne d’Égypte d’un Bonaparte, essayons de nous rappeler de l’ambassade de Gabriel de Luetz auprès des membres actifs de la Sublime Porte.

Les pères de l'alliance franco-ottomane, François Ier (à gauche) et Soliman le Magnifique (à droite), peints séparément par Titien vers 1530.
Les pères de l'alliance franco-ottomane, François Ier (à gauche) et Soliman le Magnifique (à droite), peints séparément par Titien vers 1530. • Les pères de l'alliance franco-ottomane, François Ier (à gauche) et Soliman le Magnifique (à droite), peints séparément par Titien vers 1530.

Avec lui, le Nîmois opte pour des spécialistes et des personnes qui pourront faire avancer les connaissances. Il part au cœur de l’Empire ottoman avec de nombreux scientifiques comme le naturaliste Pierre Gilles d’Albi, le voyageur Nicolas de Nicolay, le botaniste Pierre Belon ou encore l’évêque Jean de Monluc… Résultat des courses ? Une masse de nouvelles données, un regard neuf sur le monde qui défile et une meilleure compréhension de ce dernier. La Renaissance, en partie grâce à cela, est pleinement entrée en France.

Cette ambassade, nécessairement fastueuse pour marquer les esprits locaux, aura coûté cher mais Gabriel de Luetz ne se soucie pas de cela. Ce qu’il veut, c’est imposer une nouvelle relation et prendre ce qu’il y a de bon à prendre d’une culture aussi lointaine que celle des Ottomans.

Et moi, et moi, et moi...

Il prend ainsi la route avec un improbable cortège. Avec les scientifiques, on recense, pour les seuls français, 80 personnes, 40 chameaux, 18 mulets, 12 chevaux de somme qui transportent les bagages et, chose qui étonnera les autochtones par leur rareté chez eux, une litière à deux mulets ! C’est une première pour un ambassadeur français de voyager en de pareilles circonstances. Tout est fait pour que l’on se rappelle ces choses.

Le Voyage de Monsieur d'Aramon par Jean Chesneau, le secrétaire de Gabriel de Luetz
Le Voyage de Monsieur d'Aramon par Jean Chesneau, le secrétaire de Gabriel de Luetz • Le Voyage de Monsieur d'Aramon par Jean Chesneau, le secrétaire de Gabriel de Luetz

On se rappellera aussi des éléphants. Gabriel de Luetz a dégoté un éléphant, petit, qu’il voulait offrir à Henri II, successeur de François Ier. Le pachyderme trépasse et c’est Pierre Gilles qui va en réaliser l’autopsie ou plutôt la dissection, probablement la première pour un savant occidental. Contrairement à ce qu’en disaient les anciens ou encore le grand Strabon, l’éléphant a bel et bien des articulations aux pattes !

Même si l’efficacité stratégique de cette alliance demeure faible, on ne parle pas suffisamment de l’acquisition d’un savoir simple, celui de connaître l’autre, sa culture, ses envies, ses craintes… Pour anticiper ses choix et pour élargir notre champ de vision et d’opinion. C’est ici qu’est certainement inventé en premier le véritable dialogue entre ces deux parties du monde.

Diplomatie à la française

Mêler culture, science, stratégie, humanisme, courtoisie et politique sont les marques de la diplomatie à la française et Gabriel de Luetz en a été l’un des plus grands représentants. C’est surtout pour ces raisons qu’il s’entend bien avec Soliman le Magnifique. Après Alep, Gabriel de Luetz se laisse tenter par le Terre sainte et l’Égypte qui sont sous l’emprise de l’Empire ottoman qui est à son apogée politique, économique, culturelle et militaire.

De Luetz visite Jérusalem comme le représentant d’une puissance alliée, il est escorté de janissaires (les soldats de l'infanterie ottomane, NDLR) et est reçu en grande pompe sans payer l’entrée au Saint-Sépulcre (ce qui crée de la jalousie). Il obtient aussi de faire arrêter les abus pratiqués par les locaux sur les moines franciscains du mont Sion.

Lettre de François 1er remise au Drogman Janus Bey le 28 décember 1546 et délivbrée par Gabriel de Luetz d'Aramon
Lettre de François 1er remise au Drogman Janus Bey le 28 décember 1546 et délivbrée par Gabriel de Luetz d'Aramon • Lettre de François 1er remise au Drogman Janus Bey le 28 décember 1546 et délivbrée par Gabriel de Luetz d'Aramon

En janvier 1550, après un séjour en Syrie, Gabrien de Luetz rentre au bercail stambouliote. Vous connaissez la suite et fin avec son arrivée aux Îles d’or… Pas tout à fait car en 1551, Henri II l’envoie, depuis Marseille avec trois galères, rejoindre la flotte des Ottomans à Tripoli. Il a pour mission d’y stopper le siège de la ville tenue par l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem. Gabriel de Luetz arrive trop tard, les troupes du pacha Sinân Pacha font tomber les chrétiens mais l’ambassadeur joue une ultime fois son rôle et obtient la grâce des vaincus. Vous vous en doutez, Charles Quint et le nouveau pape Jules II n’apprécient que moyennement cela et diront de Gabriel de Luetz qu’il a contribué à mettre dans le giron de Soliman cette cité catholique.

À la fin de l’année 1551, le Gardois, qui connaît parfaitement les us et coutumes ottomanes et orientales, rejoint la cour de Soliman à Edirne. Fin de l’histoire !

La signature de Gabriel de Luetz d'Aramon
La signature de Gabriel de Luetz d'Aramon • La signature de Gabriel de Luetz d'Aramon

Anthony Maurin

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