LE DOSSIER Cévennes : cet internat où on se met au garde-à-vous (Partie 2)
Ils ronchonnent à propos des livres trop longs à lire, s’emportent contre les emplois du temps trop chargés. Chaque année en septembre, la très grande majorité des ados de 17 ans retournent au lycée. Mais que deviennent ceux qui ont décroché ? Après avoir lâché un bac pro commerce, Yanis a cumulé des petits boulots. Arthur, Andréa ou Sirine possèdent un baccalauréat. Mais ils ont dévissé en BTS ou dans l’enseignement supérieur. Déboussolés, déscolarisés, parfois empêtrés dans des situations familiales compliquées, ils ont tous choisi volontairement d’intégrer l’Epide à La Grand'Combe. Dans cet internat de la deuxième chance, les 17-25 ans portent un uniforme, chantent la Marseillaise le vendredi. Mais, surtout, ils comblent leurs lacunes scolaires, passent leur permis et construisent des projets d’insertion.
Lit en batterie ou au carré
À 10h30, Camille se met de côté. Tout le monde se prépare pour la « revue des chambres ». Yanis et Cyprien rangent vite le souffleur et grimpent vers le deuxième étage de l’internat. Ouf, tout est nickel dans leur chambre. Les draps de dessus et de dessous ont été chacun roulés et placés en croix sur le lit avec le traversin par-dessus. « C’est le lit en batterie », montre Yanis. Cyprien ouvre l’armoire : elle est soigneusement rangée et il n’y a pas le moindre grain de poussière sur le dessus. Cyprien l'avoue : il a a pris l’habitude de l’ordre et, cet été, quand il est rentré chez ses parents, il s’est senti obligé de ranger tout son placard. À l’Epide, il a même changé de look. « La première semaine quand je suis arrivé ici, j’avais les cheveux longs. Ce n’est pas autorisé. En fin de semaine, je suis allé chez le coiffeur », ajoute-t-il. Il n’est pas pour autant nostalgique de sa tignasse. « Ce sont des habitudes pour pouvoir travailler, argumente Yanis. Il faut que cela fasse propre pour qu’on ait toutes nos chances lors d’un entretien d’embauche ». Il se lance dans des conseils sur comment étendre ses vêtements pour qu’ils ne soient pas froissés quand la sonnerie de son smartphone l’interrompt. Le gymnase n’a pas été nettoyé. Les volontaires qui devaient le faire sont absents cette semaine. Les corvées doivent être réparties sur d’autres volontaires qui sont bel et bien présents. Yanis a été désigné. Il part en courant.
Revue des chambres
11h05, une cadre crie dans le couloir : « En place, monsieur Fehr arrive. » Yanis revient au sprint. Le gymnase est propre. Il se positionne dans un coin de la chambre. Arthur arrive aussi au pas de course : son nettoyage des douches vient d’être validé. Cyprien se place dans le couloir. Théoriquement, il doit y avoir un volontaire au garde-à-vous devant chaque chambre. Mais cela chahute un peu. « Messieurs, on se calme ! » Une grosse voix perce les tympans et ramène radicalement le calme. Ces cordes vocales puissantes sont celles de Frédéric Fehr. Ce gaillard qui a une carrure de deuxième ligne de rugby est chef du service des moyens généraux. Le vendredi matin, c’est lui qui contrôle chaque chambre. Cyprien prend sa respiration et lui récite le discours de présentation : « Pour la chambre 2005, garde-à-vous ! Volontaire pour l’insertion monsieur Vetz. Chambre prête pour la revue, à votre disposition monsieur. » La visite est rapide. Rien ne dépasse. C’est bon. Les trois garçons peuvent enfiler leur tenue civile. La semaine est terminée. Ils peuvent manger et rentrer s’ils le souhaitent chez leurs parents.
Chez les filles, Andréa se détend aussi. Elle a fait son lit au carré, pas besoin de le mettre en batterie, car elle reste ce week-end. Sa colocataire de chambre, qui est une réfugiée ukrainienne, s’autorise même une coquetterie : elle sort son fer à friser et modèle de savantes anglaises dans son carré noir.
Salma Boutchich, 18 ans, un casque rose sur les oreilles, est assise dans la cour, pas loin de la place centrale. Elle ne prendra pas de bus. Elle reste à La Grand'Combe ce week-end. Sa famille vit à la zup sud à Nîmes. « C’est plus calme, plus cool ici, sourit-elle. Sans l’Epide, je ne serais pas ce que je suis devenue ». « Harcelée », elle avait laissé tomber un bac pro commerce. Déscolarisée, elle a passé deux longues années chez elle. Elle veut devenir monitrice éducatrice. Très bientôt, c’est elle qui sera mise à l’honneur un vendredi matin au centre de la place, après la Marseillaise. Le 2 octobre, elle va débuter un service civique à Nîmes. Mais elle ne compte pas tout de suite faire ses adieux à l’Epide. Elle sera encore « en contrat de soutien » pendant trois mois, c’est-à-dire logée à l’Epide, le temps de trouver son propre logement.
68% de taux d’insertion
Les Epide existent depuis 18 ans. Ils dépendent des ministères en charge du travail et de la cohésion des territoires. Il y a 20 Epide en France. Celui de La Grand'Combe a ouvert le 31 janvier 2022. « Nous sommes le quatrième Epide en France au niveau du taux d’insertion », indique Catherine Pech, la directrice. Emploi, formation… L’Epide gardois affiche 68% de taux d'insertion.
Pour intégrer un Epide, il faut avoir entre 17 et 25 ans et être volontaire. Jeunes filles et jeunes hommes signent un contrat de 9 mois renouvelable maximum jusqu’à 24 mois. Des conseillers les aideront à définir deux projets.
À La Grand'Combe, 33% des volontaires sont des femmes. Certains pensionnaires fuient les quartiers gangrénés par le trafic de drogue, d’autres quittent des villages déconnectés de tout. Environ 37% viennent des quartiers prioritaires de la ville et environ 40% des zones de revitalisation rurales.
L’Epide cévenol accueille aussi, depuis cet été, des jeunes ayant le statut de réfugiés. Il y a actuellement quatre Ukrainiens et deux Afghans. En plus de l’accompagnement classique, ils sont pris en charge par une association pour l’apprentissage du Français. Tous, employés comme volontaires, portent le même uniforme. L’idée est que quand ils enfilent cette tenue, les volontaires se préparent au monde du travail. « Il y a beaucoup de métiers où les gens portent une tenue de travail : dans les fast food, les supermarchés…, énumère Dominique Girette, responsable du recrutement. Cela permet aussi de détricoter les codes du quartier qui leur sont souvent imposés pour construire leur propre identité. Cela ritualise. Ils sortent de leur ancien monde ».