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Publié il y a 3 mois - Mise à jour le 30.07.2024 - Pierluca Leandri et Morgane Lespinasse - Lucas Manouvrier - 7 min  - vu 537 fois

LE DOSSIER Ils ont choisi le “Finistère gardois”

Des familles sont arrivées au printemps dernier dans ce village de 245 habitants.

- © Lucas Manouvrier

Les Cévennes gardoises constituent un terrain propice à l’installation d’éleveurs. Les plaines exemptées de populations et des pollutions favorisent notamment la pratique en plein air. À Campestre-et-Luc, au fin fond du Gard, plusieurs agriculteurs se sont récemment installés.

Pas une maison à l’horizon. Entre les forêts de châtaigniers et les vastes plaines se dévoilent les Cévennes gardoises. Ici, la nature est reine et les espaces désertiques, certes verdoyants, donnent des airs de Far West. Une terre qui offre aux agriculteurs un cadre de travail unique. À l’horizon se dessine enfin Campestre, à la pointe de ce « Finistère gardois ». Ce village a connu une augmentation significative de son nombre d’habitants. Campestre-et-Luc est passé de 108 habitants en 2015 à 145 en 2021 selon l’Insee. Pour y aller, il faut le vouloir. Le trajet est long, environ deux heures depuis Nîmes, loin de l’axe Montpellier-Marseille. Le village est accessible uniquement par des routes sinueuses et étroites ; les commerces de proximité sont à trente minutes de route.

À la recherche de tranquillité

À l’entrée du village, un petit panneau indique le chemin pour rejoindre la Chèvrerie du Travessou, située 200 mètres plus loin. La famille Broussal, arrivée il y a quelques mois, a repris l’exploitation caprine en avril dernier. Il fallait saisir cette opportunité pour réaliser un rêve de toujours, quitte à tout plaquer du jour au lendemain pour reprendre l’affaire. Franck, Caroline, et leurs deux jumelles de 20 ans, Noémie et Manon, sont partis du jour au lendemain de Loches (Indre-et-Loire) pour atterrir dans les Cévennes sans jamais y avoir mis les pieds auparavant. « C’est ce qu’on recherchait, se réjouit le père de 46 ans. On voulait de la tranquillité et surtout, arrêter de faire des allers-retours en voiture chaque jour pour aller au travail. » Ici, ils vivent dans des mobil-home® installés en contrebas de l’exploitation. La vue est imprenable et le calme règne en maître. Les rapaces dansent dans le ciel au son des cigales.

Ils ne connaissaient pas le Gard mais Franck Broussal a, lui, toujours été attiré par le sud de la France : « Plusieurs fois, on a failli y venir mais ça ne s’est pas fait. » Loin du littoral méditerranéen bondé, la famille Broussal a trouvé un coin paisible qui lui convient parfaitement pour exercer et vendre ses fromages. Mais cet isolement a ses limites : « Être dans un si petit village ne nous permet pas de faire de la vente directe à la ferme, alors nous vendons plutôt à l’extérieur. Pour le moment, nous avons une dizaine de Biocoop qui achètent nos produits. » À l’avenir, la famille espère développer l’activité. Dès l’an prochain, elle devrait pouvoir compter sur 80 chèvres opérationnelles à la traite.

Une exploitation à taille humaine

Quatre kilomètres plus loin, retour dans le désert gardois. Sur une plaine cévenole inhabitée, Valentin et Stéphanie Catteau investissent une exploitation de volailles – le Poulailler des Regetres - depuis septembre 2022. Le premier, originaire du Nord, a débarqué dans les Cévennes il y a dix ans. Il a repris l’exploitation seul et sa femme, Stéphanie, est conjointe-collaboratrice. La Gardoise de naissance, revenue au pays après des années à Marseille, a fait découvrir cette région atypique à Valentin. « On a fait le choix d’être Cévenols et d’élever nos enfants ici », précise-t-elle. Si l’activité ne fait que démarrer, le couple s’attache déjà à nourrir les habitants des environs avec de bons produits. « On veut avoir un élevage et une production qui correspondent à nos valeurs. Nous voulons montrer que même sans un label bio, nous pouvons proposer des produits de qualité. » Ils profitent d’un terrain exempt de toutes les pollutions sonores, chimiques, lumineuses, pour élever leurs volailles en plein air. « Les poules peuvent sortir quand elles le veulent, nous ne fermons jamais la porte », explique Valentin Catteau. Stéphanie espère s’associer à son mari dans l’exploitation, en y ajoutant un élevage de chèvres. Pour l’heure, le couple se limite aux poulets, poules pondeuses, et pintades. À ceux-ci s’ajoutent quelques lapins. « L’objectif est de proposer une diversité de produits pour satisfaire les habitants du coin, pas pour être surproductif. » Une mentalité qui colle avec la simplicité du cadre dans lequel ils se sont installés.

Du studio à la vigne, Mathéo Jesus a pris un virage à 180 degrés. • © Pierluca Leandri

Viticulture : “M’installer ici, c’est un beau challenge”

Néo-Gardois et néo-vigneron, Mathéo Jesus joue avec les particularités climatiques et agricoles de son nouveau terroir pour produire un vin frais et bio. Maître d’un domaine de six hectares depuis 2021, il compte bien vieillir ici.

Sous le soleil de plomb, l’herbe crame et la symphonie des cigales joue inlassablement la même mélodie. Du haut de son exploitation, Mathéo Jesus regarde avec fierté ses six hectares de vignes, fruit de trois ans de travail. Le jeune vigneron de 30 ans n’est pas un enfant du pays. Originaire de l'Ain, ce fils de producteur laitier est un vrai campagnard : « J’ai une âme de paysan, j’ai grandi au milieu des vaches. » Technicien pendant deux ans dans un studio d'enregistrement, il garde dans un coin de sa tête son envie de retour à la terre : « J’ai fait plusieurs fois les vendanges étant enfant, et d’ailleurs c’est ce que je me disais toujours : un jour je serai vigneron. »

Parachuté en 2019 dans le sud de la France pour vivre une histoire d’amour, c’est dans le Gard, terre de vin, qu’il saute le pas. « Un jour, on nous a offert un cours de dégustation à l’école des vins du Languedoc, ça m’a relancé un peu sur le vin, dans cette optique de créer un domaine ». Convaincu de sa nouvelle vocation, c’est ainsi qu’il se lance dans sa reconversion et intègre un BTS viticulture œnologie, en apprentissage dans le domaine Mas Peyrolle à Vacquière : « Ça a été une super rencontre, on s’est super bien trouvés, il m’a toujours beaucoup soutenu dans mon projet d’installation et moi, a contrario, j’ai toujours été très présent et disponible dans son entreprise. »

Le défi de l’acidité

Mathéo Jesus ouvre finalement le domaine de Bancel en 2021. Différents cépages, comme grenache noir, syrah, ou rolle y sont travaillés, pour proposer des vins d’appellations IGP Gard et IGP Cévennes pour le vin blanc et AOP Languedoc-Sommières pour le rouge. « Origines, c’est ma cuvée sur une base de chardonnay, en petit clin d’œil à ma région natale », poursuit le néo-vigneron. « J’adore la Bourgogne, le Beaujolais, le Bugey, mais on est sur des vins complètement différents. Ici, nous avons d’autres défis, notamment avec l’acidité. Faire mûrir des raisins, c’est assez facile pour nous, mais il faut qu’on essaie de garder de l’acidité dans les vins. »

Dans son domaine « à taille humaine », Mathéo Jesus produit entre 20 000 et 25 000 bouteilles à l’année : « Ce que je préfère, c’est être dans les vignes. C’est une vie fatigante, je le savais, mais c’est un beau métier et je ne regrette rien », confie ce dernier. « M’installer sur une appellation comme Sommières, je pense qu’il y a plus de challenge qu’un Pic Saint-Loup, qui n’a plus grand-chose à prouver. Je me dis qu’ici il y a un truc à faire, une appellation à développer ».

Déménager dans le Gard, un pari réussi

La particularité du Gard, face à d’autres régions viticoles ? « Nous sommes dans une région d’assemblage. Il y a beaucoup de cépages différents, qui ont chacun leur précocité, entre le chardonnay qui va être vendangé le 20 août, et le carignan qui va être vendangé fin septembre. Entre les deux, il y a tout ce qui est grenache blanc, roussane, après les syrah, et puis les cinsault », répond alors le professionnel. « Il y a quelques monocépages, mais il y a quand même cette culture de toujours assembler plusieurs cépages les uns avec les autres. »

Sa région d’adoption lui a permis, selon lui, de passer ses cultures au label biologique « plus facilement. Ce qui est compliqué dans le bio c’est surtout le Mildiou, une maladie provoquant le dessèchement des vignes. Les premières contaminations se font par la pluie, et après par l’humidité. Donc ici, en règle générale, on est un peu plus protégé. Et puis je n’ai même pas envisagé de ne pas être en bio. »

Et si le mal du pays le rattrape par moment - « ce qui me manque le plus, ce sont les forêts, ici il n’y a que de la garrigue » - ce nouvel arrivant aime son nouveau département. Entre deux rangées de vignes, le père de deux enfants explique qu’il compte bien vieillir ici : « Quand tu plantes des vignes, c’est un projet de vie. Quand tu t’investis dans un lieu, tu as envie d’y rester. »

Les grappes de chardonnay du domaine de Bancel sont au stade de la fermeture de la grappe, dernière étape avant la déraison et finalement la récolte. • © Pierluca Leandri

Pourquoi le Gard comme région viticole ?

Qualité de vie, proximité ou encore soleil quotidien : le Gard a tout d’un département qui attire. Mais si les viticulteurs installent leur domaine ici plutôt qu’ailleurs, pour Delphine Fernandez et Bernard-Pierre Assegninou de la Chambre d’agriculture du Gard, ce sont pour plusieurs bonnes raisons.

Diversité des terroirs

« Ce qui est intéressant dans le Gard, c’est la diversité des terres. On a beaucoup d’appellations, et de nombreux types de vins », décrit Delphine Fernandez, vice-présidente en charge de l’installation, et elle-même nouvelle vigneronne. « D’ailleurs, beaucoup de domaines sont diversifiés et cumulent plusieurs cultures… C’est possible grâce aux terres du Gard, et leurs accès à l’eau. »

Être accompagné et formé

Bernard-Pierre Assegninou, responsable du pôle entreprise, accompagne les nouveaux agriculteurs et viticulteurs « à partir du premier contact mais aussi quelques années après l’installation », avec notamment la Dotation jeunes agriculteurs. Pour devenir viticulteur, de nombreuses formations sont possibles, que ce soit au lycée agricole de Rodilhan, auprès du centre de formation professionnelle et de promotion agricole (CFPPA) départemental ou bien sûr de la Chambre d’agriculture.

Une région œnotouristique

En 2023, 55 nouveaux agriculteurs se sont établis dans le Gard, dont 15 viticulteurs. « Le Gard est une région viticole confirmée. La viticulture concerne deux tiers de nos structures agricoles », poursuit Bernard-Pierre Assegninou. « Les touristes viennent pour découvrir le vin d’ici, pour cette viticulture. Peu importe le contexte économique, les consommateurs seront toujours là. »

Pierluca Leandri et Morgane Lespinasse - Lucas Manouvrier

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