LE DOSSIER Le café de l’Union, neuf générations au comptoir
Créé en 1863, ce bar-brasserie appartient toujours à la même famille. Portage de repas, café Alzheimer, bodega pendant la fête votive… Julie et Paul Serment soignent les liens sociaux pour que Bellegarde ne devienne pas un village dortoir.
Julie Serment n’a pas besoin de lire le journal. Une cliente lui offre tous les jours une lecture commentée de la presse locale. « Attention cela va bientôt commencer », annonce cette brune énergique en jetant un œil à sa montre. Haut rose, visage avenant, Sylvette, 77 ans, est installée sur une table, tout près du comptoir du café de l’Union à Bellegarde. Devant elle, La Provence, Midi Libre et un stylo pour les mots croisés. « Le café de l’Union, c’était le café de ma jeunesse », avoue-t-elle. Puis interpelle une dame aux cheveux gris : « Ton père, il aimait rire, tu te souviens. »
Cette dame qui a 93 ans et qui en fait une bonne douzaine de moins, c’est Annie Serment. Elle a grandi dans ce café créé en 1863 par son trisaïeul. Elle a arrêté d’y travailler à plus de 70 ans. Mais elle passe, tous les jours, aux heures creuses voir Paul, son petit-fils. Elle peut y croiser son arrière-petit-fils Victor, 7 ans. Paul est la neuvième génération de la famille à gérer le café de l’Union. Il l’a repris avec son épouse Julie il y a 17 ans. Lui avait suivi un BTS commerce, elle des études de diététique et un bac+5 commerce et marketing. Paul l’assure : reprendre ce café n’était pas « une évidence » et on ne l’a « jamais forcé ».
Le couple ne veut pas que Bellegarde, qui compte 7 740 habitants, devienne un village dortoir. Ils bichonnent les liens sociaux. Ici les gens se réunissent pour des mariages, après des deuils... « Ce n’est pas un lieu où on ne fait que boire. C’est un lieu de rencontre », lance Annie Serment. Ce café, elle s’y est « régalée ». Elle se remémore cette époque où ils étaient un des rares à avoir le téléphone et où on les appelait pour transmettre des messages. Elle se souvient de ces ouvriers, venus en masse construire le canal du bas-Rhône, et qu’il fallait nourrir.
Livraisons
Aujourd’hui, 80 % de l’activité du café de l’Union est consacrée à la brasserie-restauration avec produits locaux. Mais ils servent des sandwichs à toute heure.
Dans la salle de restaurant, des cabas en jute sont posés par terre. Tous les jours, ils livrent les repas à une vingtaine de personnes. Il peut s’agir de gens trop âgés qui ne peuvent plus cuisiner ou des personnes ayant un problème de santé temporaire. Le couple accueille des cafés mémoire pour les personnes qui souffrent de la maladie d’Alzheimer. Les personnes en situation de handicap de la maison d’accueil spécialisée voisine viennent régulièrement.
Portage de repas au 3e âge, proposition de plats à emporter midi et soir… Pendant le Covid, Paul et Julie n’ont jamais arrêté : « Cela nous a maintenu en activité, pour dire que l’on existait encore. » Aujourd’hui, ils paient encore la dette Covid plus le report de charges. Ils font face aux hausses de l’énergie, des matières premières, à la concurrence des boulangeries, des foodtrucks qui proposent du fooding en ayant moins de contraintes. « La moindre dépense chez nous est réfléchie, c’est fatigant », reconnaît Paul. Dès 6h, Julie est sur les réseaux sociaux pour mettre le menu, annoncer les évènements. Ils ont mis en place un système de réservation en ligne. Le café met à disposition le wifi et réfléchit à un système pour charger batteries et vélos. « On est un 4x4 », image Julie. Même si cela demande beaucoup d’énergie, le couple a du mal à se passer de la vie de bistrot. Ils l’avouent, même quand ils partent en vacances, ils aiment aller dans les cafés.
Le Prolé, la nouvelle jeunesse d’un jeune homme de 116 ans
Il y a un an, le bar nîmois perce le mur voisin et double sa surface intérieure. Concerts, expos… Les demandes affluent pour cette nouvelle salle Prolé Ter.
Imbattable. Même s’il se trouve à 200 mètres des arènes, dans une zone où le café peut grimper jusqu’à 2 €, le bar le Prolé facture le sien 1,30 €. Dans la cour, sous les mûriers, des lycéens éclatent de rire. Ici, ils peuvent s’installer avec leur propre sandwich. On ne leur reprochera rien. Le Prolé, très couru pendant la feria, est une coopérative. La « maison du prolétariat » née en 1908 a quatre gérants. « Il n’y a pas d’enrichissement personnel », résume Florence Thiébaut, présidente des amis du Prolé. L’adhésion à cette association culturelle est facturée 10 € par an.
Professeur de sciences physiques au lycée Daudet, cette jeune femme qui circule en vélo, est passée à 80 % pour gérer l’afflux de demandes d’activités culturelles au Prolé Ter. Cette nouvelle salle a été lancée fin novembre 2023 : « La boîte mail est assaillie de propositions. Tous les mois je fais l’affiche et je me demande si je vais avoir assez de place. »
Apéros bavards, cafés philo
Le bâtiment voisin abritait une recyclerie. Un jour en allant y acheter des assiettes, Florence Thiébaut apprend que les propriétaires du bail vont vendre. L’occasion est trop belle. Ils se lancent dans de lourds travaux, percent un mur maître et emménagent le Prolé Ter. On y trouve des jeux de société, la presse, des livres en libre accès. On peut y organiser des concerts, des cafés philo, des apéros bavards… Le Prolé Ter qui défend la solidarité, est mis gratuitement à disposition des associations. En un an, une quarantaine d’entre elles sont venues. « On a fait une journée de solidarité avec le Spot, relate Florence Thiébaut. Une association de comoriennes de Valdegour est venue vendre des samoussas. Cela leur permet de prendre la parole ».
Le 7 décembre, pour l’anniversaire du Prolé Ter, les associations seront conviées à un état des lieux. À partir de 16h, il y aura une fête ouverte à tous avec des spectacles de rue, de la musique...
CGT, « Assaf casse toi »… Dans la cour du Prolé, des autocollants sont collés sur les néons. Tous sont des souvenirs de retour de manifestations. Florence Thiébaut a commencé à fréquenter ce bar lorsqu’elle était lycéenne : « C’était plus le lieu des habitués. » Elle le reconnaît, le Prolé Ter a « clairement apporté une nouvelle clientèle » : « On a envie que cela ne fasse pas clanique. Tout le monde est bienvenu sauf ceux qui ont des idées nauséabondes. »
Le café des beaux-arts à Nîmes
Un papa boit un coup pendant que son fils grignote un bout de pain. Des mamies bavardent devant un thé. Une étudiante avec un carton à dessin se faufile à l’intérieur du bar des beaux-arts. Dans la salle, pas de télévision, juste le bruit du percolateur. Selon la CCI, ce serait un des plus vieux bars gardois. Un cliché montre le bar en 1924. « Quelqu’un qui venait du Canada, nous a dit qu’il y avait son arrière-grand-père sur la photo. Il avait la même chez lui », sourit Roland Martinez. Ses parents, Josette et Robert ont acheté le bar en 1966. Lui avait 8 ans. En juillet 1979, il a été embauché. Il a 67 ans. "Ma compagne voudrait que j’arrête mais j’ai peur. J’ai peur que cela me manque, lâche-t-il avec émotion. Pour mon frère Daniel qui a 76 ans, c’est la même chose". Leurs parents n’ont pas pris de retraite. Madame était à l’intérieur, monsieur, toujours vêtu de bretelles, servait en terrasse. C’est la maladie qui, à 87 ans, oblige sa mère à lâcher le café. Son père a servi jusqu’à ce qu’il ait un AVC à 90 ans. Aujourd’hui, sa belle-sœur Ghislaine donne un coup de main et Sophie, sa nièce, qui a fait « de grosses études en biochimie », a repris le café.