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Publié il y a 24 jours - Mise à jour le 29.10.2024 - Sabrina Ranvier - 5 min  - vu 777 fois

LE DOSSIER Nouveau venu : le bar du midi, drôle de PMU

Clément Bonet, cogérant du bar du Midi, aime voir les gens « ressortir avec le sourire » et assure que la mixité marche très bien. 

- Sabrina Ranvier

Ils sont enseignant, historien ou designer. Ces trentenaires auraient pu lancer un bar à cocktails branché. Eux ont choisi de faire revivre un bar populaire qui avait été fermé pendant un an.

Il semble tout droit sorti des années 1980. Un vélo d’appartement vintage est garé à côté du comptoir du bar du Midi. « Un jour, un client est venu avec et il nous a demandé si on n’avait pas un cadenas. Puis il l’a laissé », éclate de rire Clément Bonet. Sur une ardoise, trois barres sont tracées à la craie. « Ce sont les cafés suspendus, montre du doigt ce grand brun aux cheveux ramassés en chignon. Les gens peuvent payer des cafés à ceux qui n’ont pas les moyens. On a un joueur qui met 10 cafés quand il gagne ». Ce bar du boulevard Gambetta est un PMU. Fermé plus d’un an, il a été repris en décembre 2022 par trois trentenaires. Ellian Zaouche est professeur d’histoire à Drancy, Romain Duplan est historien et Clément Bonet designer social. Ce dernier n'invente pas des objets, mais des services pour rapprocher les gens. Il avait enregistré les souvenirs des habitants du quartier Gambetta, qui avaient été diffusés lors de journées du patrimoine. Il l’a refait de manière plus pérenne à Port-de-bouc.

« Avec Ellian et Romain, on refaisait le monde. Chaque fois, on se disait il nous faudrait un lieu pour faire ci ou ça. Puis on est tombé sur cette affaire », se souvient-il. Les banques sont frileuses face à ces trentenaires qui veulent reprendre un PMU boulevard Gambetta plutôt qu’ouvrir un bar à cocktails dans l’Écusson nîmois. « On voulait retrouver le bistrot où toutes les classes se retrouvent », résume-t-il. Une salle à l’arrière leur permet d’organiser des évènements au calme. Ils accueillent des fresques du climat, un festival d’écologie populaire... Les turfistes happés par les courses de chevaux sur l’écran TV croisent des parents de l’école bilingue occitan Calandreta, des étudiants, des personnes gravitant dans la culture. Clément reconnaît qu’ils travaillent « un peu comme des acharnés ». La fatigue est gommée par les sourires des clients et par les histoires : « Papi Marcel, 70 ans, vient maintenant boire un coup avec des trentenaires rencontrés au bar. »

Un bistrot de pays à Domazan

« La première année, on était au-dessus de notre prévisionnel et là, pour la deuxième année, on a plus 10 % ». Pascale Steemers, son fils Thomas Colin et son épouse Anastasiia, ont repris en novembre 2022 le café de Domazan, resté fermé pratiquement un an. Ce village du Gard rhodanien compte 1 000 habitants. Leur café a été labellisé "Bistrot de pays" en juillet 2023. Ce label, lancé en 1993 dans les Alpes-de-haute-Provence, a pour but de favoriser l’installation de cafés dans les villages de moins de 3 000 habitants. Propreté, équipement, wifi, fait maison, produits locaux… Un cabinet d’audit a tout évalué. Le bistrot de Domazan est le troisième établissement gardois labellisé. « Cela nous emmène du monde », reconnaît Pascale Steemers. L’association annonce menus, évènements et horaires des bistrots sur son site web. Elle donne des conseils. "Il y a eu un webinaire sur la rentabilité et les prix de revient, se souvient Pascale Steemers. Souvent les bars sont multi-activités. Toutes n’ont pas les mêmes marges. Ils nous donnent des conseils pour bien ventiler".

Alain Fontaine préside l'association qui a fait inscrire les bistrots au patrimoine immatériel de la France. • © le Mesturet

Entretien avec Alain Fontaine

« Les bistrots sont des concurrents farouches des psychiatres et psychologues »

Objectif Gard : Le 27 septembre, le ministère de la Culture a inscrit les « pratiques sociales et culturelles dans les bistrots et cafés » au patrimoine culturel immatériel français. Vous présidez l’association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France, est-ce que cette inscription a été un long combat ?

Alain Fontaine : On a commencé en 2018 et on a été blackboulé deux fois. La troisième a été la bonne. On est parti au départ d’un constat : alors qu’il y avait 500 000 bistrots en France en 1900, il y en a aujourd’hui moins de 40 000. Il y a eu beaucoup de disparitions en province, mais aussi dans les quartiers avec la désindustrialisation et la déruralisation. Les bistrots sont une race en voie d’extinction.

Vous tenez le bistrot Mesturet dans le IIe arrondissement de Paris. Selon vous, quelles sont les causes du déclin des cafés ?

Dans les villes, l’apparition d’un acquis social dans les années 70, les restaurants d’entreprise, a vidé les bistrots. Le ticket restaurant a un peu pallié ce phénomène. L’arrêt de la consommation de tabac à l’intérieur des cafés a été bénéfique pour la santé. Mais le « petit noir » que les gens venaient boire en fumant leur cigarette a disparu au profit des Nespresso. Le café au bistrot, ce sas entre la vie privée et la vie professionnelle, a disparu. Georges Clooney* et consorts en ont profité. Il y a aussi un problème de digitalisation. 25 % des gens qui ont essayé la livraison à domicile pendant la pandémie l’ont gardé comme mode de consommation. Cela nous a coûté très cher.

Que va permettre cette inscription au patrimoine immatériel français ? C’est purement symbolique ?

On a fait inscrire les bistrots pour les sauvegarder. Pour alerter pouvoirs publics et communes pour qu’ils ne laissent plus un bistrot fermer. Les communes peuvent préempter les locaux, faire des franchises de loyers. On peut aussi faire des prêts bonifiés. On peut aider à s’installer des couples qui cherchent à donner un sens à leur vie et à leur travail. Les cafés sont un pan naturel de notre démocratie, c’est un endroit où la devise de la République, liberté, égalité, fraternité, est respectée. La parole y est libre. Des amitiés, des amours se créent. On aide parfois un SDF à trouver du travail. Nous sommes des concurrents farouches des psychiatres et psychologues.

La baguette a été classée en novembre 2022 au patrimoine immatériel de l’Unesco. Est-ce que vous aimeriez que les bistrots le soient aussi ?

Notre autre projet est en effet de présenter notre fiche à l’Unesco d’ici deux ou trois ans. Cette première inscription au patrimoine français va nous permettre d’avoir de la visibilité, de communiquer autour des bistrots. L’objectif est aussi que les écoles hôtelières proposent une mention complémentaire « bistrot et café ». Car le service au comptoir n’est pas du tout la même chose que le service en salle. Un bistrot ne sert pas seulement à manger. Il ouvre tôt le matin, ferme tard le soir. C’est vraiment un lieu de vie de la société. Nous sommes des casseurs de solitude.

*L’acteur américain Georges Clooney est l’égérie des campagnes publicitaires des machines à café Nespresso. Brad Pitt est l’icône de Delonghi.

Sabrina Ranvier

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