Publié il y a 15 jours - Mise à jour le 12.12.2024 - Sabrina Ranvier - 7 min  - vu 638 fois

LE DOSSIER « On vit grâce au casino »

Le casino des Fumades ne ferme jamais même pas le jour de Noël. Il est notamment équipé ( photo du bas) d'une table de roulette électronique.

- Sabrina Ranvier

Allègre-les-fumades perçoit 1 million d’euros par an de son casino, cela correspond à la moitié de son budget. Le Grau-du-roi touche 2,5 millions d’euros de royalties du Flamingo.

Pas de robes longues ni de smokings. Mais un tapis rouge fixé sous une longue arche éclairée par une nuée de petites ampoules rondes. Allègre-les-Fumades, qui abrite 1000 habitants dans un vallon cévenol, possède un des 202 casinos français. Le bâtiment voisine une station thermale aux eaux sulfureuses. Fermée durant trois ans, elle a rouvert avant l’été. L’établissement de jeu n’a jamais bouclé ses portes. Il ne le fait jamais, même pas le jour de Noël. Il ouvre tous les jours à 10h. A l’intérieur, on ne distingue plus la lumière du jour, mais les couleurs vives des 75 machines à sous et des 27 jeux électroniques.

En ce jeudi de fin novembre, vers 11h, il y a déjà une quinzaine de personnes, plutôt âgées. Un léger fond musical couvre le bruit des jeux. Aucun « faites vos jeux » ne résonne. Le croupier n’est présent que le soir. Les fans de roulette s’assoient à plusieurs autour d’une table électronique. Chacun glisse un billet dans une fente et peut sélectionner ses numéros sur une tablette. La bille, programmée électroniquement, virevolte plusieurs fois.

L'Etat fixe des taux de retour joueurs. Ils varient en fonction des jeux. Pour les machines à sous, il est minimum de 85%. C'est à dire que quand la machine encaisse 100 euros, elle doit en rendre 85. Mais tout cela est aléatoire, c'est une moyenne sur des millions de coups. • Sabrina Ranvier

La moitié du budget communal

Même s’il est implanté dans une zone très rurale, le casino des Fumades a été classé 86ème l’an dernier en termes de produit brut des jeux, ce produit, c’est la somme qui reste une fois que le casino a payé les gagnants. « On vit grâce au casino. La commune touche environ 1 millions euros de royalties, reconnaît Geneviève Coste, maire. C’est 50% du budget communal. » Les mairies prélèvent un pourcentage du produit brut des jeux du casino de leur commune. « Le maximum est de 15 %. Ici, on est à 15% », indique Olivier Beuzelin, directeur. Cette année la commune va toucher une somme plus élevée. Le casino vient tout juste de clôturer son exercice comptable : « Entre le 1er novembre 2023 et le 31 octobre 2024, on a fait 114 700 entrées. Notre produit brut des jeux a été de 10,7 millions. C’est en hausse par rapport à l’an dernier. » Comment expliquer cette augmentation ? Olivier Beuzelin qui travaille dans l’univers des casinos depuis 28 ans, reconnaît que « dans toutes les périodes de crises, les gens continuent à jouer, ils croient aux jeux ». Puis il ajoute que leur métier est aussi « de créer, de fidéliser et de renouveler la clientèle » : « On va de plus en plus rechercher des clients vers le Gard rhodanien. Il n’y a pas de casinos dans la Drôme ni dans le Vaucluse. » Le casino qui a aussi un restaurant emploie 26 à 27 personnes à temps plein.

Recettes fiscales pour l’État

Les communes ne sont pas les seules à prélever les casinos. « C’est une manne financière pour l’État. La totalité du prélèvement État + commune se situe entre 50 et 65 % du produit brut des jeux », indique le directeur. L’État prélève même certains gains. Dès que l’on atteint 1500 euros de gains, l’État applique une CSG de 13,70 %. En 2023, un joueur a décroché le jackpot record du casino des Fumades : 200 000 euros. Mais il a concrètement empoché 172 600 euros.

Le gouvernement a tenté d’aller plus loin. Fin octobre, il ajoute un amendement à son projet de loi de finances pour légaliser les casinos en ligne. La riposte ne se fait pas attendre. Une centaine de maires signent une tribune dans Le Figaro. Ils y dénoncent une distorsion de concurrence qui « provoquerait, a minima, une perte de recettes fiscales pour l'État et les communes de plus de 440 millions d'euros ». Le ministère des finances rétropédale et lance une consultation avec les professionnels du secteur.

Robert Crauste, maire du Grau-du-roi, a signé cette tribune. Le casino Flamingo installé sur sa commune lui apporte 2,5 millions d’euros annuels de royalties. Son poids est moins prégnant qu’aux Fumades car le budget de fonctionnement de cette cité balnéaire est de 40 millions d’euros. « C’est une recette qui est loin d’être négligeable et non fiscale. Elle permet de ne pas exercer de pression sur le contribuable », analyse l’élu. Au-delà de l’aspect financier, il explique que la convention signée avec le casino l’oblige aussi à participer au développement des activités culturelles et événementielles. Selon lui, ce casino « pourvoit de la richesse économique pour le territoire » avec des emplois directs et indirects.

 

Geneviève Coste, maire d'Allègre-les-Fumades. reconnaît que grâce aux rentrées d’argent du casino, elle peut avoir des « services beaucoup plus développés » que dans des villages de même taille. En contrepartie, l’État lui verse une dotation globale de fonctionnement plus faible. • DR

Une addiction plus difficile à prévenir en ligne

Geneviève Coste soutient aussi les casinotiers dans leur lutte contre les casinos en ligne pour des raisons éthiques. « Dans les casinos, les employés sont formés à repérer addiction, pointe cette ancienne infirmière libérale. Sur internet, le gamin de 15 ans peut prendre la carte bleue de maman et la carte d’identité de papa. » Au casino des Fumades, on peut difficilement éviter les messages anti-addiction. Il y en a trois au-dessus de la table de blackjack. Deux d’entre elles ont été faites par l’ANJ et une autre par le groupe Arevian, propriétaire du casino. Un peu plus loin, un escargot invite à y aller « mollo » et affiche un QR code pour évaluer son jeu. Sur les fentes où on insère les billets, des stickers préviennent : « Le jeu est un plaisir, il doit le rester ! »

La carte d’identité de chaque visiteur est contrôlée. « L’ANJ nous envoie deux fois par semaine la liste mise à jour des personnes interdites de jeu », précise le directeur. Les casinos ont l’obligation d’afficher des messages de prévention et de former tout le personnel pour détecter les joueurs addict. « On observe leur fréquentation, leur comportement, l’augmentation des mises, la durée des sessions… décrit-il. Une fois que l’on a détecté un joueur, on l’aborde sans le vexer. Certains reconnaissent qu’ils n’arrivent pas à s’en sortir professionnellement, financièrement… » Il peut leur donner des adresses pour se faire aider ou leur proposer de ralentir en signant un contrat. Le joueur peut s’engager à ne venir qu’avec des espèces, à ne se rendre au casino qu’une fois par mois, il peut demander à être interdit pendant 6 mois dans l’établissement. Ils peuvent aussi se faire interdire dans tous les casinos français sur le site de l’ANJ. « On ne peut pas retrouver cela dans les casinos en ligne autorisés à l’étranger, met en avant le directeur. Ils envoient des mails, des SMS de relance, des bonus… »

Pourrait-il y avoir d’autres casinos dans le Gard ?

La loi du 14 décembre 2023 a assoupli les conditions d’ouvertures de casino. Ils ne sont plus uniquement réservés aux stations thermales, balnéaires ou climatiques, ni aux agglomérations de plus de 500 000 habitants. Le texte stipule que des casinos pourront être ouverts dans « des communes sur le territoire desquelles sont implantés, au 1er janvier 2023, le siège d'une société de courses hippiques ainsi que le site historique du Cadre noir ou un haras national où ont été organisés au moins dix événements équestres au rayonnement national ou international par an entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2023 ». Le Gard compte un haras national à Uzès.

En 2019, l’observatoire des jeux estimait à 1,4 millions le nombre joueurs à risques. Près de 400 000 était de niveau pathologique. • Sabrina Ranvier

Témoignage

« Les joueurs se souviennent de ce qu’ils gagnent, pas de ce qu’ils perdent »

15 000 ou encore 41 700 euros… Pascal* a remporté plusieurs fois le jackpot. Mais ce cadre a demandé à être interdit de jeux.

Pascal est interdit de jeux depuis deux ans. A sa propre demande. Ce cadre gardois a rempli un formulaire en ligne sur le site de l’Autorité nationale des jeux. S’il se présente dans un casino en France, il sera refoulé. Systématiquement. Paris sportifs, PMU… Il ne peut pas non plus accéder aux jeux d’argent en ligne agréés par l’Autorité nationale des jeux. Au bout de trois ans, il pourra demander à ce que son interdiction disparaisse, sinon elle sera automatiquement reconduite.

Pascal, âgé aujourd’hui d’une cinquantaine d’années, commence à jouer vers 45 ans. Son beau-père, « grand joueur », l’emmène avec son ex-épouse à Monaco, et leur donne 500 ou 1000 euros pour jouer. Ils y prennent goût. « Un 14 juillet, on a gagné 15 000 euros en espèces aux machines à sous à la Grande-Motte. On nous a fait sortir par une porte dérobée. Je suis tombé dans l’engrenage », se souvient-il. Il le reconnaît, dans les casinos, « tout est fait pour que tu joues ». Les étoiles ou chiffres 7 qui défilent de manière hypnotique sur les machines à sous provoquent une « fatigue visuelle ». « Il y a de la musique, de l’animation… Avec le bruit, les gens font n’importe quoi », constate-t-il. Avec son ex-épouse, ils choisissent de se faire interdire une première fois. « A l’époque, tu allais aux renseignements généraux pour cette démarche », précise-t-il. Les casinos ne contrôlent pas encore les cartes d’identité. Malgré l’interdiction, il va jouer à Aix-en-Provence et remporte 3000 euros : « Ils ne me les ont pas donnés quand ils ont vu que j’étais interdit de jeux. »

Au bout de cette première interdiction, Pascal reprend le chemin des casinos. Un jour, il paie un bon repas à des collègues de travail au casino du Grau-du-roi. Son amie insiste pour jouer. Ils y laissent 500 euros. Le soir, il se rend seul au casino de la Grande-Motte. « J’y suis allé à 19h08 sachant qu’il y avait un gros jackpot. » Un monsieur occupe la machine qu’il aime bien. Il lui demande s’il peut l’avoir. Le monsieur qui joue sur deux machines différentes, accepte de lui en laisser une, mais pas sa préférée. Pascal décroche 41 700 euros. « Le monsieur était furieux », euphémise-t-il.

Un moyen d’évacuer le stress du travail

Pascal a un métier très prenant. « Le casino, c’est un plaisir. J’en ai besoin. J’y vais car je travaille tellement dur. Je ne fume pas, je ne bois pas… » Dans ces établissements de jeux, il croise, en toute discrétion, des gens qui occupent de hauts postes.

Lui joue seul, et uniquement sur les bandits-manchot. « Ils redonnent au moins 85 %. Les gens se ruinent moins. Mais, globalement au casino, on perd, analyse-t-il. Le casino c’est un plaisir, cela a un coût, il faut l’accepter. Quand les gens perdent, ils sont dans un état second. Certains crient, tapent sur les machines ». Il l’admet, le jeu peut être une addiction, une « maladie terrible qui ne se soigne pas tellement ». Il y a deux ans, il a pris la décision de se faire interdire une nouvelle fois. Mais il peut toujours jouer à Monaco ou à l’étranger. « Je peux rester trois mois sans y aller », explique-t-il. Lui a su mettre en place des barrières et il a la chance de toucher de hauts revenus : « Si je perds, cela ne change pas ma vie. » Il est plus inquiet pour son jardinier qui va au casino « dès qu’il a quatre sous » et qui récupère sa mise « une fois sur dix ». « Avec l’inflation et les soucis économiques, les gens jouent plus, assure ce Gardois. Ils ont de moins en moins d’argent et cherchent le jackpot en se disant que cela va résoudre leurs problèmes. »

*le prénom a été modifié.

Sabrina Ranvier

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