NÎMES EN FERIA Roca Rey un cran au-dessus, Thomas Dufau un cœur jamais déçu
Corrida de Victoriano del Río pour Alejandro Talavante (silence et oreille), la despedida de Thomas Dufau (salut et oreille) et Andrés Roca Rey (silence et doreilles).
L’histoire est belle comme peu dans ce métier. De son premier paseo de novillero, aux Vendanges 2009 à aujourd’hui, Thomas Dufau n’aura jamais failli. Dans l’esprit comme dans le geste le Montois n’a jamais menti. On se rappelle avec douceur ce jour nuageux, cette sciure absorbant le surplus d’eau divine sur le sable des arènes, cette confirmation d’alternative et cette énorme sortie a hombros avec José Tomás... Aujourd’hui Dufau a coupé sa coleta (pas en piste mais il a bien fait sa despedida), c’est ce qu’il voulait, entouré par ses amis. Le public aussi car il demande au maestro de sortir en piste pour saluer après le paseo et le Montois invite ses compagnons à le suivre après une première salve d’applaudissements.
Le chef de lidia de la course, Alejandro Talavante, est un maestro devenu inclassable. Il a suivi le chemin emprunté par Thomas, à distance, mais a eu une autre carrière. Il écoutera le silence à l’issue de son premier duel face à un toro de Victoriano grassouillet et qui lui a posé de nombreux problèmes alors que l’Espagnol avait tenté d’emballer la course par une entame de faena dans le dos.
Sur son dernier, Talavante refait le coup qu’il vient de monter dans les arènes d’Arles. Il plante ses genoux en terre et cite le toro d’assez loin en le prenant au large dans le dos. Le bicho passe, repasse et fera même un dernier passage vibrant car plus proche du maestro. L’effet sur le public est détonnant et fonctionne parfaitement. Une fois cette série passée, Talavante poursuit comme on l’aime, dans les bons terrains et avec de savoureux détails.
Quatre ans après son dernier paseo à Nîmes (qui n’était donc pas celui dont nous parlions plus haut), Thomas Dufau y revient donc pour faire ses adieux. En 2022 il a toréé sept corridas et coupé quatre oreilles. Il est mentalisé pour tout donner, une dernière fois. Mais il faudra aussi que le public soit à ses côtés comme il l’a été au début. Hélas pour Thomas qui saluera en fin de faena les choses ne se sont pas entièrement passées comme auraient dû ou pu. On sent le Montois prêt à tout, notamment lors de son quite en belle et saine competencia avec Andrés Roca Rey pour un petit moment de bonheur non solitaire. Il donne de sa personne sans tricher et attaque sa faena dans le dos au centre du ruedo mais le toro est compliqué et Thomas ne parvient pas à s’en dépatouiller.
Derniers pas en piste en tant que matador de toros en activité pour Thomas Dufau sans doute empli d’émotions diverses et variées. En bon professionnel cela se sent mais ne se voit pas. Nîmes l’aime comme s’il était son fils et le gardera sans aucun doute en mémoire bien longtemps. Geneviève Darrieussecq est venue (maire de Mont-de-Marsan de 2008 à 2017 puis Ministre), ses copains et sa famille (de Thomas bien sûr) aussi. Une ultime fois il passe le burladero et coupera une oreille devant un toro des plus plaisants qui offrait pas mal de possibilités. Thomas assure, fait ce qu’il peut, l’émotion monte et se lit dans ses yeux. Une oreille, celle du cœur.
Déjà huit ans que Roca Rey a pris son alternative à Nîmes. Depuis ? Il balaie tout sur son passage et triomphe dans chaque plaza où il défile. Mieux, il est la locomotive du toreo et remplit à lui seul bon nombre d’arènes. Pour preuve, ses chiffres 2022. Avec 63 corridas toréées, 139 oreilles et six queues coupées, le Péruvien est dans un moment fort de sa vie et de sa carrière. Il voulait aussi être là pour Thomas. Nîmes aimerait le voir triompher plus souvent ici, chez lui. Bon, autant vous dire que ce n’est pas sur son premier que le public verra Roca Rey. Quelque chose a dû se passer, son toro ne lui sied guère, il abrège le duel et entend le silence.
Le dernier toro de la course est logiquement pour André Roca Rey qui fera du Roca Rey. Quand il veut il sait. À Nîmes on l’aura rarement vu aussi décidé. Le Péruvien se pose au comment à peindre un tableau taurin, une nature vivante, un portrait clair-obscur mais lumineux. Ses pinceaux sont ses jambes, sa peinture sa muleta et, passe après passe, série après série, il monte d’un cran ses exigences et par conséquent sa prestation devient simplement magique. Une œuvre dédiée à Thomas Dufau, entièrement. Mais les tendidos nîmois n’en perdent pas un centimètre carré ! Roca Rey est là, bien là. Même s’il coupera deux oreilles et qu’il refusera de sortir en triomphe car Thomas Dufau est sorti à pied, le maestro a étalé son savoir-faire et son savoir-être. Que torero ! Comment peut-il seulement passer en une minute d’une arrucina à de tels muletazos, précieux, soyeux, précis et forcément heureux ? Même le toro de chez Victoriano ne lâche rien et montrera sa race jusqu’à la toute fin. Un moment fort. Deux oreilles et une vuelta al ruedo.