FAIT DU JOUR SOS, le Gard cherche des médecins
Cela se fissure un peu partout. À Saint-Ambroix, on bataille pour trouver des médecins. Dans le pays Viganais, on s’angoisse pour les trois ans à venir. À Nîmes, la moyenne d’âge des généralistes enfle...
Une angine, un rhume, une ordonnance à renouveler... Pendant dix ans, Juliette a dû faire une heure de route pour se faire soigner par un médecin généraliste. À 64 ans, sa retraite en poche, cette ancienne vendeuse avait fait le choix de quitter Alès pour Ponteils. Une envie de profiter de la nature, avec son mari, dans une maison perchée au-dessus d’un pré. Il n’y a pas de médecin dans ce village cévenol de 369 habitants. « Il y en avait une à Villefort, à un quart d’heure de voiture, mais elle ne prenait pas de nouveaux patients. Dans les autres villages, les médecins étaient saturés. »
Entre 2008 et 2018, Juliette fait le trajet à Alès pour consulter son généraliste. Il y a trois ans, pur bonheur, une généraliste s’installe à Villefort et accepte de nouveaux patients. Le répit sera court : « Mon dentiste qui est installé à Villefort va prendre sa retraite en janvier et n’a pas de remplaçant. » Sa gynécologue qui avait, coup de chance, quitté Alès pour la commune voisine de Génolhac, prend aussi sa retraite en janvier. Elle aussi cherche en vain un successeur.
60 communes en zone rouge
Ponteils-et-Brésis est classée zone rouge dans l’enquête sur les déserts médicaux que l’UFC-Que Choisir vient de publier. Corne située à l’ouest du Vigan, axe Alès-Villefort ou encore vallée de l’Auzonnet... Environ 60 communes gardoises sont parées d’écarlate. Pour dresser une cartographie précise, l’association a fait appel à des statisticiens. Ils ont mouliné les données démographiques de l’Insee et celle des dépenses de l’Assurance maladie. « Pour chaque commune, on a croisé la demande potentielle en soins des personnes qui y résident et l’offre », résume Bernard Désandré, président de l’UFC-Que Choisir du Gard. Dans chaque commune, l’enquête mesure, par patient potentiel, le nombre de médecins généralistes accessibles à 30 minutes maximum en voiture.
Les annonces colorées s’empilent les unes au-dessus des autres sur le numéro de novembre du Bulletin des jeunes médecins. Celle de Saint-Ambroix émarge au milieu : « La mairie recherche un médecin ou un couple de médecins généralistes. » La municipalité de ce bourg situé à 30 minutes d’Alès y vante une situation géographique idéale, une crèche, un collège, une poste... Puis, cadeau final, elle annonce la mise à disposition d’un local professionnel et d’un logement de type 4, en attendant la construction imminente d’une maison de santé pluridisciplinaire. Dans l’annonce placée au-dessus, Saint-Marcel-d’Ardèche, village ancré à une soixantaine de kilomètres de Saint-Ambroix, s’enorgueillit d’une gare TGV à 35 minutes et propose aux médecins « salaire et emploi du temps négociable ».
Il y a une surenchère importante. Je crains une concurrence entre les différents territoires
Jean-Pierre de Faria, maire de Saint-Ambroix
Les communes rurales rivalisent d'efforts pour draguer les jeunes médecins. « Il y a une surenchère importante. Je crains une concurrence entre les différents territoires, souffle Jean-Pierre de Faria, maire de Saint-Ambroix. Mais nous n’avons pas le choix dans les territoires ruraux où il y a des personnes âgées. » Malgré ses deux collèges, ses trois supermarchés, ses ruelles pittoresques, sa commune se situe en "rouge clair" dans l’enquête de l’UFC que choisir. « Tous les jours, via les services sociaux, j’ai des appels : "Monsieur le maire, je n’ai plus de médecin, comment je fais ?" », ajoute l’édile.
La commune comptait neuf médecins il y a dix ans. Aujourd’hui, il ne reste que trois médecins généralistes salariés par Filiéris, l’ancien régime de santé des mines. Le dernier médecin de Saint-Ambroix qui exerçait en libéral vient d’être contraint d’arrêter suite à un souci de santé. « Nous sommes un désert médical, car les médecins de Filiéris ont dû prendre une patientèle démesurée de plus de 3 000 patients », pointe le maire.
Il y a six mois, l’arrivée de la fibre a permis l’installation d’une cabine de télémédecine dans la pharmacie. Mais pour vraiment faciliter l’accès aux soins, l’élu veut transformer en 2023 l’ancienne maison de retraite en maison de santé pluridisciplinaire. « Depuis quatre ans, nous travaillons sur ce dossier. Elle va regrouper les médecins salariés Filieris et une quarantaine de professions libérales : médecin, orthophoniste, sage-femme, laboratoire, centre de radiologie, cabinet dentaire », énumère l’élu.
Vieillissement des médecins
Le Vigan est équipé d’une maison de santé pluridisciplinaire, MSP, depuis une dizaine d’années. Deux de ses généralistes sont en train de partir à la retraite. « Cette MSP est en danger financièrement car les loyers versés par ces médecins contribuaient à rembourser l’emprunt, expose Régis Bayle, président de la Communauté de communes du Pays Viganais. Nous sommes une zone rouge en devenir. On a 12 médecins généralistes pour une communauté de communes de 11 000 habitants. Dans trois ans, on va perdre la moitié de nos médecins et dans 10 ans, 90 %. » Pour lui, c’est net, « on est face à une vraie catastrophe sanitaire » et « il y aura des morts ».
« Dans trois ans, on va perdre la moitié de nos médecins et dans 10 ans, 90 %. On est face à une vraie catastrophe sanitaire »
Régis Bayle, président de la communauté de communes du pays Viganais
Nîmes menacée
« La situation est de plus en plus préoccupante », confirme Frédéric Jean, président de l’ordre des médecins du Gard. Depuis le 1er janvier 2021, 66 médecins généralistes gardois sont partis à la retraite pour seulement 33 arrivées. « Certains quartiers nîmois sont déjà des déserts médicaux. Nous étions sept au Mas de Mingue il y a sept ans. Nous ne sommes plus que deux. » Nîmes compte 136 médecins généralistes dont 83 ont plus de 60 ans et 37 plus de 65 ans. Or, en moyenne, les généralistes prennent leur retraite à 66-67 ans. Et les nouveaux jeunes médecins qui arrivent ne veulent plus travailler au détriment de leur vie de famille. « On n'est plus sur un temps de travail de 70 ou 80 heures par semaine sans limite », souligne Frédéric Jean.
« Certains quartiers nîmois sont déjà des déserts médicaux. Nous étions sept au Mas de Mingue il y a sept ans. Nous ne sommes plus que deux »
Frédéric Jean, président de l’ordre des médecins du Gard
Obligation de stages dans les déserts médicaux ?
Que faire pour lutter contre les déserts médicaux ? Il existe déjà des aides à l’installation. Le Projet de loi de finance de la Sécurité sociale ajoute dans la formation des docteurs une 4e année d’internat de médecine générale dès la rentrée 2023. La réalisation de cette année supplémentaire sera encouragée dans les territoires les moins pourvus en médecins généralistes. Cette idée glace le syndicat des internes du Languedoc-Roussillon qui a fait grève le 17 novembre. « Nous sommes contre car nous n’avons pas d’encadrants, pas de maîtres de stage, dans ces déserts médicaux. C’est aussi dangereux pour les patients car on va être sur place seulement 6 mois », analyse Alexis Vandeventer, le président cette entité syndicale.
Certains parlementaires proposent également la mise en place de mesures limitant la liberté d’installation. L’UFC que choisir demande de s’inspirer du système d’installation des infirmières libérales, sage-femmes et kinésithérapeutes. Ils peuvent s’installer où ils veulent mais s'ils choisissent une zone sous-dotée, leurs actes ne sont pas pris en charge par l’Assurance maladie. Niet répond Alexis Vandeventer, un Nîmois qui effectue un internat en médecine générale : « Nos études sont plus longues. Nous avons d’énormes responsabilités. Les internes travaillent 58 heures en moyenne par semaine. Ce n’est pas concevable de dire que c’est nous qui allons subir les erreurs des politiques publiques depuis 30 ans. »
Risque d’effet boomerang
Prudence, conseille Frédéric Jean. Il estime qu’il ne faut surtout pas braquer les jeunes médecins généralistes. Il rappelle qu’ils peuvent renoncer à s’installer en libéral et bifurquer aisément vers des postes en médecine du travail, coordinateur d’EHPAD... Contraindre est pour lui un jeu dangereux dans un contexte de pénurie car c’est bien le fond du problème : on manque de médecins partout. « Cela fait 30 ans que l’on dit que l’on va dans le mur. On n’a pas assez formé de jeunes médecins. L’administration et les politiques pensaient que l’offre créait la demande », tranche-t-il.
Un numerus clausus, c’est-à-dire un nombre limité de places disponibles aux concours de médecine, avait été mis en place en 1971. Il a été supprimé en 2021. Les effets ne seront pas visibles tout de suite. Il faut plus de 10 ans pour former un médecin. Or, pendant ce temps, la population vieillit de plus en plus, de mieux en mieux, mais en développant des pathologies chroniques nécessitant des soins. « Les dix ans qui viennent vont être catastrophiques et ne vont pouvoir être franchis qu’avec un cumul emploi-retraite et avec des médecins étrangers ayant une maîtrise de la langue et une formation correctes », estime Frédéric Jean. Il recommande aussi de libérer du temps aux médecins pour qu’ils se consacrent à leurs patients : « Je suis installé depuis 40 ans et je n’ai vu que s’alourdir les charges administratives. »
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