ALÈS Nuit du Droit : les mécanismes psychologiques du harcèlement décodés
Ce mercredi soir, dans la salle du Capitole d'Alès, la troisième édition de la Nuit du Droit a braqué la lumière sur le harcèlement scolaire et le cyber-harcèlement. La psychologue Gladys Jalaguier a notamment décodé les mécanismes psychologiques inhérents à ce fléau.
Au petit matin, les collégiens du bassin alésien avaient été sensibilisés (relire ici), l'après-midi, c'était au tour des lycéens, quand la soirée de ce mercredi 4 octobre allait être réservée aux "grands". Dans la salle du capitole d'Alès, avocats, magistrats, élus, gendarmes, policiers, enseignants, animateurs jeunesse et tant d'autres ont pris part à la troisième édition de la Nuit de Droit. "Un rendez-vous important de l’année judiciaire", a esquissé en préambule Céline Simitian, présidente du tribunal local.
Elle a, comme d'autres après elle, rendu hommage à Arnaud Delprat et Sandrine Mirabello, les deux chevilles ouvrières de l'évènement. En qualité de vice-procureure de la République, Nathalie Welte a aussi présenté les "thèmes hautement d’actualité" du harcèlement scolaire et du cyber-harcèlement en avançant un chiffre : "Plus d'un million d’enfants disent avoir été victimes de harcèlement lors des trois dernières années en France." En début de soirée, le président d'Alès Agglomération Christophe Rivenq avait aussi introduit ce "moment important" qui concerne "tous les acteurs de la société", lesquels "essaient de trouver des solutions au harcèlement avant que la justice ne passe à la fin des fins".
"Comment détecter les signaux faibles du harcèlement ? N’y a-t-il pas une faille, une blessure, qui explique les gestes du harceleur ?", a habilement interrogé le journaliste de France Bleu Gard-Lozère Ludovic Labastrou, dans le rôle du présentateur d'un soir. Des mots qui faisaient mouche et avaient le mérite d'ouvrir la voie à la psychologue clinicienne Gladys Jalaguier, laquelle s'est intéressée à la personnalité des harceleurs et des harcelés.
Celle qui accompagne au quotidien des auteurs de violences sexuelles notamment a tenté de décoder les mécanismes psychologiques du harcèlement. D'emblée, la dernière nommée a avancé le concept de "la triade" composée d'une victime, d'un auteur et d'une tierce personne. "Ça se passe toujours à trois cette histoire. Quasi systématiquement, il existe une victime, un agresseur et une personne tierce qui soutient l’agresseur", a enfoncé Gladys Jalaguier, qui voit dans le harcèlement "un effet symptomatique d’un mal sociétal".
Si elle reconnaît qu'il serait "aisé de penser" que le bouc émissaire est la personne la plus "faible" mentalement du trio et l’agresseur la personne la plus forte, "en réalité, c’est tout à fait l’inverse" jure-t-elle. "Dans le cas de faits de violences sexuelles, le point commun des auteurs c'est qu'ils ont tous un passé de victime. Ils ont interverti leur place par le mécanisme d'identification à l'agresseur qui est un mécanisme de défense. Une personne victime se défend de son vécu traumatique en le mettant à distance de cette manière là", a étayé la psychologue.
Au cours de son intervention qui a parfois pris des allures de masterclass, Gladys Jalaguier a insisté sur l'importance de l'environnement familial qui constitue "l’élément numéro un" dans lequel le harcèlement psychologique prend sa source. Au sujet du cyber-harcèlement, elle a, sans grande surprise, pointé l'usage du smartphone. "Cet outil, entre les mains de personnes immatures ou mal intentionnées, est une arme de destruction massive", clame-t-elle. Le téléphone portable, et en particulier les réseaux "qui n'ont de sociaux que le nom", seraient responsables de la dissolution de "la frontière" école/maison qui mettait jadis fin aux supplices des harcelés une fois l'établissement scolaire quitté.
"Les réseaux dématérialisent la valeur du lien social entre élèves", lequel se construit davantage dans "la culture du like", a conclu Gladys Jalaguier. Ses propos faisaient écho à ceux prononcés quelques minutes plus tôt par Joëlle Raibaud, principale du collège Jean-Moulin basé dans le quartier des Près-Saint-Jean. "Une énorme partie de notre travail du lundi est en lien avec ce que les élèves se sont échangés sur les réseaux le week-end", a reconnu la directrice d'établissement.
"Avant de devoir gérer le harcèlement, l’idée c’est de l’anticiper et de prévenir", a développé la dernière nommée, en citant les différentes composantes du fameux "parcours citoyen" dans lequel sont engagés ses élèves. Il s'articule autour d'actions "qui visent à responsabiliser l’enfant", "des actions de respect", "d’acceptation de la différence", "des actions d’entraide", des espaces de paroles et des projets liés à l’égalité homme-femme, entre autres.
"Pour que les élèves adhèrent à un projet, il faut d’abord les écouter"
Le collège Jean-Moulin bénéficie des services d'une assistante de prévention et de sécurité (APS), en l'occurrence une ancienne gendarme qui "fait un super boulot". Depuis la dernière rentrée, Joëlle Raibaud admet que "l’éloignement de l’élève" auteur de faits relevant du harcèlement, c'est à dire son exclusion du collège, est plus facilement opéré qu'auparavant, tout en "gardant un lien avec l’établissement d’accueil". "Mais l’idée c’est tout de même de ne pas arriver à l’exclusion", perçue comme un échec, et de "plutôt gérer en amont", avertit la principale du collège.
En matière de harcèlement scolaire, Gilles Roumieux en connaît un rayon. Notamment depuis qu'il a, à partir des mots de ses élèves de 3e du collège Racine, accouché d'une brochure baptisée "Touche pas à mon camarade", avant que celle-ci ne soit transposée en une exposition itinérante. "Pour que les élèves adhèrent à un projet, il faut d’abord les écouter et les interroger. L’objectif, c’était d’interpeller les élèves et de déclencher une prise de conscience autour du harcèlement scolaire. Ça a libéré leur parole !", a rembobiné l'enseignant alésien.
Et le professeur d'histoire-géographie de poursuivre en livrant sa recette : "Il fallait sortir ces mots de la classe. Par ce type de projet, les élèves ont le sentiment d’être écoutés. Diffuser la voix des élèves, c’est ce qui m’importe. Il faut que leur projet ait une réalisation !" C'est le cas dans des proportions qu'il n'imaginait peut-être pas, puisque la brochure a déjà été éditée à 10 000 exemplaires et l’exposition s'affiche en grand au Cinéplanet où aura lieu un ciné-débat sur le harcèlement scolaire ce samedi à 16h.