L’INTERVIEW Estelle Henry : « Il est important de poser la question du traitement médiatique des affaires de violences sexistes et sexuelles »
Dans la foulée de la journée de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, le Club de la presse et de la communication du Gard organise en partenariat avec le Conseil départemental, une conférence/table ronde sur le thème de l’impact de ces affaires sur la société et les médias ce mercredi 27 novembre.
L’occasion d’aborder le traitement médiatique de ces affaires, dont la perception a considérablement évolué depuis le fait de société #MeToo, alors que le procès des viols de Mazan défraie la chronique depuis septembre. Interview avec Estelle Henry, présidente du Club de la presse et de la communication du Gard.
Objectif Gard : Pourquoi le Club de la presse et de la communication du Gard a-t-il décidé de s’emparer de cette thématique ?
Estelle Henry : Il y a plusieurs raisons. Au départ, c’est un sujet qui me tient à coeur, étant une femme et voyant ce qui se passe dans la société aujourd’hui, j’ai trouvé légitime et cohérent de proposer l’idée au Club, sachant que ça n’avait jamais été fait. On est dans une période post #MeToo, ces questions-là font la une de l’actualité, imprègnent toute notre société, et il était important qu’en tant que journalistes, on pose la question du traitement médiatique de ces affaires.
La médiatisation de ces faits est très importante.
Oui, et actuellement on a plusieurs affaires simultanées autour de ces affaires qui font la une. Ça pose question d’un point de vue journalistique, du point de vue de la société aussi, faire un état des lieux, la question de la libération de la parole… Et nous que fait-on de cette parole en tant que média, sachant qu’il y a des bonnes pratiques à avoir, et que ce n’est pas toujours facile d’avoir la bonne distance, ce sont des sujets délicats.
Pas toujours facile d’employer les bons mots, aussi. On pense notamment au mot féminicide, qui est apparu il y a quelque temps mais qui n’existait pas il y a de cela quelques années.
Absolument, d’ailleurs il est difficile de savoir par quel biais il est arrivé. En tout cas ce mot-là a fait sens tout de suite, il a une terminologie un peu plus juridique que ce qu’on disait avant en parlant de « drame passionnel ». D’ailleurs, une avocate a résumé ces deux termes en parlant de féminicide comme un terme plus juridique, qui fait sens, alors que « drame passionnel » est plus une excuse.
Et pourtant, « drame passionnel », on l’a lu dans la presse pendant de très nombreuses années.
Exactement, et je l’ai utilisé comme tout le monde. Maintenant, avec le recul, on se rend compte que ce n’était pas adapté. Un autre exemple : on parle de « se faire violer », on dit « elle s’est fait violer », mais il faudrait dire « elle a été violée ». Parce que « elle s’est fait violer », quelque part ça inclut la victime dans l’action, alors qu’elle n’a fait que subir les faits.
La manière dont les journalistes vont traiter les faits va-t-elle avoir un impact sur la manière dont la société perçoit ces faits ?
Oui, et ce n’est pas facile. On essaie d’être irréprochables, mais on fait tous des erreurs, c’est aussi l’intérêt de pouvoir en parler ouvertement, de poser des questions, d’exposer des doutes, parfois on marche sur des oeufs. Il y a tout un tas de petits détails très importants au final. Et c’est intéressant pour le grand public, il faut rappeler que l’événement est ouvert à tout le monde, de voir les mécanismes journalistiques.
En quoi c’est intéressant pour le grand public ?
Parce que c’est une façon de montrer comment on travaille de façon transparente. On est tous des humains, donc forcément il y a une part de doute, on peut faire des erreurs. Il y a forcément une part de subjectivité. Il est intéressant d’en parler, de ce qu’il faut faire, de ce qu’il faut éviter, et tout ça, on le met à disposition du grand public. Il y a un énorme besoin de communication autour de ce qu’on fait, de notre métier de journaliste, quand on voit la défiance aujourd’hui, les fake-news, je pense que c’est indispensable. Si on veut que la société change sur ces faits-là, il faut aussi qu’on soit capables de montrer comment on travaille, d’ouvrir les portes au grand public.
Le grand public, ce sont nos lecteurs, nos auditeurs, nos téléspectateurs, qui à l’arrivée reçoivent le message que la presse émet.
Exactement, d’autant plus actuellement, avec un procès emblématique à quarante minutes de chez nous, le procès des viols de Mazan, avec une victime, Gisèle Pélicot, qui prend un parti très courageux de communiquer, d’ouvrir le procès au public. La question se pose : quelle est la bonne attitude à avoir, la bonne distance ? On ne trouvera pas toutes les réponses en deux heures, mais en tout cas c’est une discussion que j’avais envie d’avoir.
Avec autour de la table, des journalistes, avocates, militantes associatives…
On a tout ce qui fait l’accompagnement de ces affaires-là : la sphère juridique, avec une avocate, le milieu associatif, des journalistes et le Conseil départemental, qui a une expertise sur la question, ils travaillent depuis dix ans sur cette question. Et l’équipe de bénévoles qui s’occupe de monter l’événement est totalement mixte, avec quatre animateurs hommes et femmes. Je ne veux pas en faire un événement qui ne parle qu’aux femmes.
« #MeToo, procès des viols de Mazan, et après ? Impacts sur la société et les médias », une conférence/table ronde organisée ce mercredi 27 novembre à 18h à l’Université de Nîmes, site Vauban. Entrée gratuite, sur inscription ici.