FAIT DU JOUR En retard, la préfecture du Gard éteint le rêve de JO d'un nageur camerounais
Salarié à la poterie de la Madeleine en CDI, en situation totalement régulière et avec une petite fille de 17 mois, Charly Epoh attend un nouveau document officiel de la préfecture depuis 2022. En l'absence de celui-ci, il peut quitter la France mais n'est pas sûr d'y revenir. Or, ce vendredi commence l'avant-dernière chance, pour lui, de se qualifier pour les Jeux Olympiques de Paris, à Doha au Qatar. Sept fois champion du Cameroun de natation, il pourrait donc être privé de JO français pour un retard d'un service de l'État.
Il n'est qu'un parmi d'autres dans les files d'attente d'étrangers en attente de documents préfectoraux officiels. Sauf que Charly Epoh est en situation totalement régulière en France et dans le Gard, mais la préfecture tarde à lui donner les documents qui le confirment. Ce qui risque de lui faire perdre l'opportunité de disputer les Jeux Olympiques dans le pays qu'il habite, après avoir déjà concouru - notamment - lors de JO (décalés) du Japon, en 2021. Charly Epoh s'apprêtait à prendre l'avion pour l'avant-dernière séance de qualifications, du 9 au 17 février, à Doha, au Qatar. "J'étais censé partir ce jeudi à 11h pour une arrivée à 22h", témoigne Charly Epoh. Mais sans papiers en règle du ministère de l'Intérieur, pas de départ possible.
L'Europe, son mur de Berlin en train de chuter et - surtout - la natation sont encore loin de lui quand il naît, le 11 novembre 1989, à Mbouroukou, au Cameroun. Le sport, dont la natation, il le découvre lors de ses études à Douala. "J'ai commencé à m'entraîner en Afrique, explique Charly, dont le nom complet est Yves Charly Ndjoume Ehowe Epoh. Je me débrouillais..." Sportivement, Charly Epoh grandit d'abord dans l'ombre du monument Daniel Edingue, qui coiffe la natation camerounaise depuis de nombreuses années.
De Douala, au Cameroun, aux JO de Tokyo au Japon
En 2012, avec l'arrêt du vétéran, Charly se retrouve sans véritable concurrent. La compétition devient trop facile à l'échelle nationale. Il part donc pour d'autres pays d'Afrique, se confronter aux champions de son continent. Puis, ce sera la Chine, la Corée du Sud, la Thaïlande, le Japon, etc. Principalement pour des épreuves de natation, mais aussi pour du triathlon, comme lors du championnat d'Afrique, en Tunise. Après les JO de 2021, à Tokyo, il concourt aussi lors des jeux du Commonwealth, à Londres, en 2022, ou encore aux championnats du monde d'Abu Dhabi, la même année.
Entretemps, Charly a rejoint la France, puis le bassin d'Alès, et le mérite en revient à un autre Africain. "En 2018-2019, j'étais en Suisse, pour du sport et des petits boulots. Et lors des championnats du monde, j'ai rencontré un Ivoirien qui nageait déjà au Cercle nautique Cévennes d'Alès." Charly passe d'abord par le triathlon au club d'Aubervilliers, alors qu'il est sur Paris, chez des cousins. "Puis en Corée, en 2019, cet Ivoirien me reparle du club d'Alès. Je suis finalement arrivé ici pour la natation et pour des bons contacts que j'avais noués dans le vélo."
Charly pose aussi ses valises. Il s'inscrit aux clubs de triathlon et de natation d'Alès, se recentre sur les 50 et 100 mètres nages libres et papillon. Il commence à travailler à la Poterie de la Madeleine, à Lézan, en intérim pour trois semaines. Il y est toujours, après deux CDD et un CDI, signé il y a un an, en février 2023. À la poterie bien connue, spécialisée dans les vases d'Anduze, on se souvient que quand il habitait Rousson, il venait à Lézan à vélo, ne s'arrêtant que pour... l'entraînement à Alès.
Avec la vie professionnelle, la vie intime s'affirme. Charly rencontre une Française, vit avec elle dès 2019. Une petite Jade est née de cette union, il y a 17 mois. Dans sa tête, il se projette avec gourmandise vers les Jeux Olympiques de Paris, poussant les entraînements jusqu'à trois séances d'une heure et demie par semaine, le matin, ainsi que tous les soirs de la semaine, entre 18h et 20h. Sans oublier le samedi, de 8h à 10h.
J'ai fait cinq courriers depuis octobre, j'ai appelé... Mais je n'ai aucun résultat."
Charly Epoh
Sauf que, depuis le mois d'octobre dernier, cette vie bien huilée est sous la menace d'une épée de Damoclès administrative. "J'ai eu un titre de séjour en 2020, qui a périmé en avril 2022", rembobine Charly Epoh, qui a évidemment déposé un dossier de renouvellement. "Mais je n'ai pas eu de renouvellement depuis. La préfecture m'a donné des récépissés, qui m'ont permis de travailler. Et puis, j'ai eu un problème au moment du changement d'adresse."
Charly vit désormais à Moussac. Et, depuis, il fait le siège de la préfecture à Nîmes. Car, depuis octobre, il n'a plus aucun document officiel alors qu'il est en situation totalement régulière. "J'ai fait cinq courriers depuis octobre, j'ai appelé... Mais je n'ai aucun résultat. La préfecture m'a conseillé de me retourner vers le Défenseur des droits pour aller plus vite, mais lui aussi m'a mis en attente, il a trop de dossiers à traiter. En l'état, je peux sortir mais je ne peux rentrer en France. Et si je perds mon boulot, on se retrouve tous les trois à la rue."
Charly Epoh a, donc, déjà renoncé à partir au Qatar, ce jeudi, alors que sa fédération lui paie voyage et chambres d'hôtel, pour dix jours, à raison de 280 € par jour. Il espère une intervention politique qui permette de débloquer le dossier très rapidement. "La première course devait être ce samedi, se désole Charly, la seconde le 16 février." S'il garde un infime espoir pour la session quatarienne, il se projette aussi sur la dernière chance qu'il aura de figurer aux JO, lors des compétitions qualificatives du Ghana, au mois de mars. Ici aussi, avec la peur au ventre. "J'ai essayé de prendre rendez-vous en ligne avec la préfecture, mais il n'y a rien avant le mois de juin. Et comme mon titre de séjour est périmé depuis plus de neuf mois, je dois absolument me rendre physiquement en préfecture." Et ce, même si cette date de péremption a été dépassée du fait même des retards préfectoraux dans le traitement des situations humaines que sont ces dossiers.
"Mon dernier contact avec la préfecture, c'était vendredi dernier, tranche Charly Epoh. Lundi, j'ai passé toute la journée devant la préfecture." Sans succès. Au téléphone, sa fédération peine à comprendre le problème et souhaiterait voir son champion national courir pour les qualifications. À la poterie, son chef de service confie, en aparté, que son salarié va grandement lui manquer pendant ses deux mois de préparation et de compétition, s'il est qualifié pour les JO. Mais ça n'empêche pas Fabrice Dalverny de secouer son répertoire pour tenter de faire jouer ses relations. Pour figurer en individuel, Charly Epoh peut compter sur un travail d'équipe.