Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 11.01.2021 - marie-meunier - 6 min  - vu 1684 fois

FAIT DU JOUR Instruction en famille : les parents veulent rester maîtres de leur choix

Le 20 novembre, Journée internationale des droits de l'enfant, une cinquantaine de parents d'élèves s'était mobilisée à Nîmes pour le droit à l'instruction en famille. (DR)

Le 2 octobre dernier, Emmanuel Macron prononçait son fameux discours sur les "séparatismes" aux Mureaux (Yvelines). Il avait prononcé alors ces mots : "Dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire pour tous dès 3 ans. L’instruction à domicile sera strictement limitée, notamment, aux impératifs de santé." Depuis l'inquiétude des parents qui ont choisi l'instruction en famille (IEF) est vive.

Ces derniers dénoncent un amalgame avec le phénomène de radicalisation. Mais quelles sont ces familles qui ont choisi cette alternative aux bancs de l'école ? Pour quelles raisons ? Nous avons échangé avec plusieurs parents gardois qui nous décrivent leur quotidien avec leurs enfants et nous expliquent leurs craintes pour cette rentrée 2021-2022.

David est papa de deux garçons et habite le Gard rhodanien. Pendant un an et demi, il a retiré son aîné de l'école pour lui dispenser l'instruction à domicile, comme 0,4% des enfants en France : "Il y avait des tensions à l'école. On en avait parlé à la maîtresse mais ce n'est pas facile de gérer vingt élèves malgré l'aide de l'Atsem." Le soir, son fils revenait avec une importante charge émotionnelle qu'il relâchait aussitôt les vacances venues. Sans parler pour autant de harcèlement, son garçon ne trouvait pas sa place à l'école au milieu de plusieurs éléments perturbateurs.

Lors d'une journée portes ouvertes, le papa avait pu assister à une journée de classe : "J'ai vu dès 8h40 des enfants à fond dès le départ, qui chantaient en demi-cercle autour de la maîtresse. Ils avaient l'air épanouis. Mais j'ai vu d'autres enfants qui n'étaient pas présents. Mon fils faisait partie de ceux-là."

David pose un congé sabbatique pour se lancer dans cette nouvelle aventure de l'instruction en famille. "Je réalise que je prends le temps de connaître mon enfant. Ma récompense est de le voir s'épanouir." Plus de réveil, son fils se lève naturellement vers 8h30 et profite d'un petit-déjeuner équilibré, dans le calme, sans le stress d'arriver en retard en classe. À 9h30, le programme commence avec de la lecture puis "on va dehors profiter de l'extérieur. Ensuite, on revient travailler les socles communs de connaissance." Le papa essaye d'être à l'écoute des envies de son fils, de l'instruire sans le forcer si un jour il n'a pas envie. Il essaye de faire disparaître la notion de travail mais de transformer toute curiosité en connaissance : la recette d'un gâteau se transforme en cours sur les multiplications grâce aux ingrédients, les travaux dans le jardin du voisin l'amène à parler du système de vérin...

Du temps pour de nombreuses activités enrichissantes pour l'enfant à côté de l'instruction

Et il y a une question qui taraude beaucoup dans l'entourage de David, c'est : "n'as-tu pas peur que ton enfant manque de sociabilisation ?" Il faut savoir qu'instruction en famille ne se résume pas à instruction à domicile. Forcément, en se concentrant sur l'apprentissage d'un seul enfant et pas sur 20 comme en classe, la compréhension s'effectue plus rapidement. Alors David et son fils consacrent l'après-midi aux sorties : ludothèque, activité musicale, gymnastique, basket, cinéma, musées... Mais aussi des retrouvailles deux fois par semaine avec les autres parents et enfants gardois et vauclusiens de l'association Les Enfants d'abord (LED'A).

En plus de l'apprentissage des socles communs de connaissance, les enfants instruits en famille s'adonnent à beaucoup d'activités. 94 % des enfants pratiquent souvent plusieurs activités par semaine avec des enfants de leur âge (musique, sports collectifs en clubs, etc.) (Photo : DR)

"Il voit d'autres enfants. Il a une vie sociale. Tous les jours, sauf le week-end, il y a quelque chose", atteste le papa, qui a poussé plus loin la réflexion : "On revendique une autre forme de sociabilisation. Être dans un périmètre fermé qu'est la salle de classe avec une personne adulte, qu'avec des enfants du même âge, sans pouvoir parler sauf pendant la récréation, pas sûr que ce soit de la sociabilité."

Depuis l'année dernière, son fils a intégré l'école démocratique de Nîmes mais David a entamé l'instruction en famille avec son deuxième garçon âgé de 3 ans puisque c'est désormais l'âge obligatoire pour commencer les apprentissages.

"Dès qu'il le demandera, dès qu'on arrivera à la limite de ce que je peux lui transmettre, il ira à l'école"

Aussi membre de LED'A, Josué Rauscher, originaire du Gard, a un fils de 5 ans qui n'est jamais allé à l'école. Quand bien même, ce papa de 57 ans a débuté sa carrière professionnel comme instituteur ! Dès que son fils a eu 11 mois, il a manifesté un désir d'apprendre à lire. Très précoce, il a vite compris que les signes sur les livres correspondaient à une parole et avaient un sens. "À deux ans, il savait lire. À deux ans et demi, il savait le faire avec fluidité. À trois ans, il lisait Rabelais ou Le Chat du Rabbin".

"Au moment de le mettre en moyenne section, on s'est dit qu'il se serait ennuyé et que ce n'était pas possible. On s'est alors penchés sur l'instruction en famille avec ma compagne en lisant des bouquins. En se serrant un peu la ceinture, c'était possible de tenter l'expérience", explique Josué désormais en congé sabbatique avec comme seule source de revenu, le salaire de sa femme. Pour l'instant, son fils apprend à ses côtés mais "dès qu'il le demandera, dès qu'on arrivera à la limite de ce que je peux lui transmettre, il ira à l'école", assure le papa. D'ailleurs, 85% des enfants instruits en famille le sont en cycle primaire (de 3 à 11 ans) contre 13% en niveau collège et 2% en niveau lycée.

Les motifs incitant au choix de l'instruction en famille peuvent donc être très divers : difficultés d'adaptation, harcèlement, maladie, éloignement géographique, pratique sportive intensive parallèle, gens du voyage, choix pédagogique alternatif... Déjà la loi Jules-Ferry de 1882, confortée par la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, rend obligatoire l'instruction et non la scolarisation des enfants. Cela peut donc être les parents qui assurent l'enseignement et l'éducation de leurs enfants. Plus précisément, l'article L.131-2 du Code de l'Éducation indique : "L‘instruction obligatoire peut être donnée soit dans les établissements ou écoles publics ou privés, soit dans les familles par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix."

Vers une autorisation et non plus un libre choix...

Jusqu'à présent, recourir à l'instruction à domicile est un choix pour les parents. Un choix simple à effet immédiat qui ne nécessitait qu'une déclaration en mairie et auprès de l'inspection académique. Un choix qui peut survenir pour n'importe quelle famille à tout moment de la scolarité : "S'il y a un souci, une phobie scolaire, du harcèlement, du décrochage, chaque enfant a la possibilité d'avoir cette alternative", explique David.

Mais le Gouvernement actuel voudrait transformer cette libre alternative en autorisation renouvelable tous les ans accordée selon des critères très restreints. Au motif d'une lutte contre les séparatismes. "Ça touche à une liberté fondamentale qui concerne tout le monde", tonne le papa du Gard rhodanien, qui milite sur le sujet et avait même participé à la manifestation à Nîmes en novembre dernier. Il poursuit : "C'est inquiétant, on renie de plus en plus nos libertés. J'ai l'impression d'être vu, par mon choix éducatif, comme un séparatiste ou comme un ennemi de la République".

Pour Josué, "l'IEF fait partie de la diversité éducative du pays. Ça garantit un État de droit. Là, seul l'État détiendrait le monopole de l'Éducation. Imaginez, il y a le moindre changement politique, ça pourrait devenir un outil d'endoctrinement." Il perçoit aussi cet éventail de choix éducatifs comme un moteur : "La flexiscolarité oblige l'école à être attractive."

Un article de loi reposant sur un "amalgame avec la radicalisation" ?

Quels sont donc les arguments du chef de l'État pour cet article 21 en projet de loi ? "Chaque semaine, des recteurs et des rectrices découvrent des cas d’enfants totalement hors système, chaque mois, des préfets ferment des "écoles", entre guillemets, car elles ne sont pas déclarées comme telles, illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux." Des justifications qui ne tiennent pas pour les parents et pour les associations et qui s'apparentent davantage à un "amalgame avec la radicalisation".

D'autant que ces "écoles illégales" n'ont rien à voir avec l'IEF qui est très étroitement encadrée : enquête de la mairie dès la première année et tous les deux ans, contrôles pédagogiques tous les ans par un inspecteur de l'Éducation nationale pour chaque enfant... Et si le résultat n'est pas jugé satisfaisant au bout du 2e contrôle, les parents sont mis en demeure d'inscrire leur enfant dans un établissement public ou privé dans les 15 jours qui suivent. Et en cas de refus, la peine peut aller jusqu'à six mois d'emprisonnement et 7 500 € d'amende. À savoir quand même que 93% des contrôles réalisés par les inspecteurs sont satisfaisants dès la première visite, selon l'étude d'impact du projet de loi.

Et quand Emmanuel Macron invoque que "plus de 50 000 enfants suivent l’instruction à domicile, un chiffre qui augmente chaque année", l'association LED'A répond qu'il faut aussi prendre en compte deux éléments exogènes qui ont pu contribuer à gonfler ce nombre : l'abaissement de l'âge obligatoire d'accès à l'instruction à 3 ans au lieu de 6 ans, et aussi le contexte sanitaire qui a motivé certaines familles à retirer leurs enfants des établissements. LED'A va plus loin en citant le rapport de la commission d'enquête du Sénat qui recense à l'école républicaine, sur l'année scolaire 2018-2019, "783 signalements pour atteinte à la laïcité et 349 signalements d'actes racistes ou antisémites." "L'IEF n'est en aucun cas à l'origine de cette dérégulation sociale", en conclut l'association, qui reconnaît que le risque zéro n'existe pas mais n'est pas le propre de l'instruction à domicile.

Début décembre, le Conseil d'État a examiné le projet de loi sur l'IEF et s'est prononcé contre. Face à ce revers, le Gouvernement a mis un peu d'eau dans son vin et pour élargir les conditions d'accès. Les débats doivent se poursuivre cette année avec les parlementaires...

Marie Meunier

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