FAIT DU SOIR Assemblée du Désert de Mialet : à travers la mémoire de la Saint-Barthélémy, une condamnation des fratricides
Installé en 1911, le rendez-vous protestant de septembre, au pied du musée du Désert, a accueilli une nouvelle fois une foule de plusieurs milliers de personnes. Un moment de recueil, de convivialité, de fraternisation, thème repris lors du culte par le pasteur Christian Baccuet de l'Église protestante unie.
"Qu'on est bien ici, ensemble, loin des tumultes du monde." Sous les chênes et hêtres des terrasses du mas Soubeyran, le pasteur Christian Baccuet - de l'Église protestante unie et originaire d'Alès - a ouvert son culte par ce message de douceur. Car c'est bien des tumultes qu'il était venu entretenir son auditoire, 450 ans après le massacre de la Saint-Barthélémy, et alors que le thème de la rencontre de la journée était, justement, un questionnement sur le besoin, la nécessité, de commémorer le tragique événement.
C'est bien du "cri qui monte des innombrables conflits qui déchirent le monde" qu'était venu parler le pasteur responsable du culte, ce dimanche, de ce cri "qui traverse nos histoires collectives et personnelles", incitant à se demander : "Qu'as-tu fait de ton frère ? Qu'as-tu fait de ta soeur ?" En évoquant les conflits du monde, Christian Baccuet en vient à la Saint-Barthélémy, un "massacre terrible commis par des hommes qui connaissaient leurs victimes, des voisins qui ont tué leurs voisins, comme ailleurs des protestants l'ont fait".
Un massacre entre frères humains, donc, qui se trouve conté dans la Bible pour un chrétien, à travers le meurtre de Caïn et Abel, premiers nés d'Adam et Ève, "première fratrie et premier fratricide", insiste Christian Baccuet. "Dans le récit, Abel ne parle pas, rappelle-t-il, comme s'il était invisible." Ce qui renvoie aujourd'hui, selon le pasteur, à l'invisibilisation de la victime. "Au moment où la défiance gangrène notre société, c'est un appel à retrouver le goût de la parole, à se parler en vérité."
"Quand on croisait les élèves de l'école libre, on leur tirait la langue"
"J'ai eu toute ma vie des amis catholiques", explique Josyane Gaubiac, après le culte, en écho aux paroles du pasteur. Native de Saint-Hippolyte-du-Fort mais résidant à Montpellier, l'octogénaire se souvient d'un temps révolu, pas si lointain : "Moi, j'allais à l'école laïque. Et quand on croisait les élèves de l'école libre dans le village, on se tirait la langue. Mon père, lui, ne supportait pas les catholiques. Il les appelait les Cagoulards. Et ma grand-mère, comme elle était cévenole, on l'a 'enfermée' dans une école catholique. La capacité du pardon, ç'a été de se regrouper." Avec ses grands-parents, puis ses parents, la venue à l'assemblée du Désert est "une histoire de 40 ans", elle qui fut émue aux larmes en reprenant le dernier chant du culte, À toi la gloire, Ô Ressucité, "que ma mère avait demandé pour son enterrement".
Protestante "engagée" et bordelaise, Christiane a une résidence secondaire dans les Cévennes. "Je viens chaque année", dit-elle à côté d'une amie, Danièle, bordelaise elle aussi, qui vient pour la deuxième fois et qu'elle a connue... chez les jésuites. Plus que "commémorer" le massacre de 1572, elle préfère "y repenser très fort" et "faire le lien avec ce qu'on vit en ce moment, les violences autour de nous. Les guerres, et les guerres de tous les jours, insiste-t-elle. Parce que le rejet de l'autre, on n'y fait même plus gaffe."
Esther, elle, vient "pour la première fois". Originaire d'une "vieille famille protestante de la Drôme", elle est surtout enchantée par l'ambiance de partage et la discussion sans filtre qui s'instaure entre les petits groupes, au moment du pique-nique. "Je trouve ça vraiment super sympa", renchérit-elle. Plus que le rappel du massacre. "Le thème est très délicat, un peu comme celui de l'esclavage. Et je n'aime pas rester sur ce qui s'est passé. C'est un souvenir bouleversant. Mais c'est cette partie là qui m'intéresse", reprend-elle, souriante, en montrant la foule installée sous les arbres. Avant de partir, elle ira quand même visiter le musée du Désert, dit-elle. Un musée qui met, notamment en perspective l'histoire sanglante de l'intolérance religieuse. Depuis, le lien a été reconstruit entre les églises chrétiennes. Et comme l'a souligné Christian Baccuet pour conclure son culte, "reconstruire n'est autre que l'anagramme de "résurrection"...
François Desmeures
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