ALÈS Passionnée, levez-vous !
Depuis huit ans, Jeannette, une retraitée alésienne de 68 ans, se rend tous les vendredis au palais de justice de sa ville. Toute la journée, elle écoute en silence les plaidoiries des avocats, les défenses des accusés, les réquisitoires du procureur et les sanctions des juges. Pour son plus grand plaisir...
Elle a tout de suite attrapé le virus. Il y a huit ans, quand une amie lui propose de l'accompagner au tribunal d'Alès pour suivre les audiences du tribunal correctionnel, Jeannette n'hésite pas longtemps : "J'en avais envie depuis un moment, mais je n'osais pas". Une gêne qui s'est rapidement dissipée : cette femme discrète, qui n'a pas pour autant sa langue dans sa poche, fait aujourd'hui partie des meubles.
À peine franchit-elle le portique d'entrée du tribunal qu'on la salue. Dans la salle d'audience, toujours assise à la même place, elle discute de bon cœur avec les avocats du barreau qui la côtoient depuis des années. "On a de bons avocats à Alès, commente-t-elle. Je pense à maîtres Vergani et Massal chez les hommes, ou maîtres Thomasian et Gay chez les femmes. Ils sont souvent très justes dans leurs plaidoiries."
Jeannette mène l'enquête !
Que ce soit dans la salle d'audience ou dans celle des pas perdus, Jeannette est tellement incontournable que même les prévenus lui demandent conseil ! "Pas plus tard que vendredi dernier, un accusé est venu me voir pour savoir comment faire appel. Je lui ai dit que je n'étais pas avocate, ça se voit quand même !"
Effectivement, Jeannette ne porte pas la robe, mais ça ne l'empêche pas d'avoir un avis sur la justice : "je trouve que les accusés ne sont pas assez punis. L'autre jour, le jeune qui a renversé une dame rue Stalingrad (relire ici), il n'a rien pris. De toute façon, l'alcool et les accidents de voiture, c'est pas puni !", regrette-t-elle avant d'enchaîner : "et puis, je trouve qu'il y a trop d'affaires renvoyées. Avant, ce n'était pas comme ça. Ils viennent également de mettre en place un nouveau système d'horaire pour quantifier chaque affaire, mais ils vont surtout les bâcler les affaires !"
Cependant quand certaines d'entre elles piquent sa curiosité, Jeannette mène sa propre enquête : "Début septembre, il y a un mécanicien pas très en règle qui a été condamné au tribunal (lire ici). Beh j'ai dit à mon mari de m'emmener sur les lieux pour que je visualise son garage".
Jeannette : "Mon mari est allergique aux avocats !"
La retraitée, qui a travaillé une grande partie de sa vie à Éminence, puis auprès des personnes âgées, n'a toutefois pas réussi à faire partager sa passion à ses proches :"c'est simple, mon mari est allergique aux avocats !" Et son fils ? "Il est venu au tribunal une fois et en me voyant au milieu des prévenus, il m'a dit qu'il était malheureux pour moi. Je lui ai répondu qu'il n'avait pas à être malheureux : je n'ai pas été condamnée !", rigole-t-elle avant de reprendre plus sérieusement sur sa passion : "quand je suis au tribunal, j'oublie mes soucis du quotidien. Il y a des choses qui me font rire, d'autres pleurer. Bref, je m'évade". Certainement la seule évasion tolérée dans une enceinte judiciaire.
Tony Duret