CÉVENNES Un an après la gelée noire, la vigne manque de bois mais les parcelles s'enrichissent de biodiversité
Dans la nuit du 7 au 8 avril 2021, les températures ont brusquement chuté, brûlant littéralement la vigne qui avait commencé à débourrer. Le président de l'IGP (indication géographique protégée) Cévennes, Christian Vigne, revient sur cette épisode, sur la rémission des ceps et les attentes des vignerons.
Quand on demande à Christian Vigne comment se portent les ceps un an après un tel choc, la réponse est "très variée. Mais il y a des parcelles qui ont été très difficiles à tailler parce que la plante manquait de bois". Et la taille tardive n'arrange pas tout. "On essaie de la faire partout mais il faut bien commencer la taille un jour et ça risque d'être compliqué pour l'équilibre de la souche. Il faut essayer de remonter le bois progressivement. Pour les plantiers (*), il a fallu tout reprendre du début. Heureusement, ce n'est pas un grand pourcentage de vignes qui a tourné comme ça."
Les blancs ont plus souffert que les rouges
Les blancs ont plus souffert que les rouges. "Le Chardonnay notamment, un cépage précoce, qui a pris mal parce qu'il avait déjà démarré avec le coup de chaud avant le gel", note Christian Vigne. L'inégalité est aussi géographique, le secteur anduzien ayant été plus touché que les alentours de Saint-Ambroix, qui n'ont que modérément souffert. "J'ai fini de tailler le Chardonnay hier, confie Christian Vigne, environ une semaine plus tard que l'an dernier."
Cette année, le gel du premier week-end d'avril en a sans doute effrayé plus d'un. "Je me faisais moins de souci, se rassure Christian Vigne : il n'y avait pas encore eu de coup de chaud et, surtout, des nuits fraîches. J'étais plutôt serein. Même si, jusqu'à mai, on n'est jamais totalement tranquille. Mais s'il y avait eu les mêmes grosses gelées, ça n'aurait de toute façon pas eu les mêmes conséquences que l'an dernier." Au chapitre des conséquences, les viticulteurs attendaient aussi les aides promises par l'État. En décembre dernier, le ministre de l'agriculture, Julien Denormandie, s'engageait à verser les 380 millions d'euros promis avant la fin mars. Interrogée, la préfecture du Gard peine à retracer ces aides.
Les épisodes inquiétants ne remettent pas pour autant en cause le choix stratégique effectué, en fin d'année dernière, par l'appellation cévenole. Ils auraient même plutôt tendance à les renforcer. "D'ici 2027, tout ce qui est produit en IGP Cévennes sera en bio, ou a minima HVE 3 ou Terra vitis. C'est un premier palier. Je pense qu'après, il faudra tout passer en bio. Mais mieux vaut avancer à petits pas que pas du tout." Si la progressivité permet à ceux qui tiennent des marchés en agriculture conventionnelle de les conserver, deux caves coopératives principales sur 20, Tornac et Massillargues, ont d'ores et déjà franchi le pas. Reste à savoir si le marché est prêt à recevoir de telles quantités. "Il faut être prudent, préconise Christian Vigne, qui constate le tassement de certains marchés. Mais c'est quand même le mode de culture vers lequel il faut tendre, par rapport au changement climatique, au maintien de la biodiversité, à la maîtrise de la ressource en eau, etc."
Le retour aux cépages méditerranéens
Cette adaptation de la production remet aussi en cause la politique des cépages dits qualitatifs, et souvent bordelais, des années 70-80 : merlot, cabernet, etc. "On se rend compte que, logiquement, les cépages méditerranéens résistent mieux, il fallait juste les faire moins produire." Carignan et mourvèdre reprennent peu à peu leur place dans les vignes. Le syndicat IGP réfléchit d'ailleurs à mettre en place un lieu d'expérimentation des cépages patrimoniaux, comme l'aramon ou le grand noir de la Calmette, le muscat bleu ou le négret de La Canourgue. Ou même des cépages interdits comme le clinton, l'isabelle ou l'othello. Le conseil d'administration devra statuer prochainement sur le sujet.
Toujours dans la recherche, le syndicat IGP Cévennes expérimente aussi de l'agroforesterie dans certaines parcelles, avec le soutien du bureau d'études Agroof basé à Anduze et Pur'Projet. Au total, 3 500 mètres de haies ont été plantées et 310 arbres inter-parcellaires chez six porteurs de projets. 5 000 nouveaux mètres devraient émerger la saison prochaine. "On a créé un GIEE (groupement d'intérêt économique et environnemental) axé sur le maintien de la biodiversité, par la plantation de haies, ou le l'enherbement des vignes." Et les premiers résultats sont sans appel : "Entre une vigne enherbée et une qui ne l'est pas, avec une température prise à dix centimètres du sol, il y a un écart de 12° en été. Il faut donc s'imaginer la vie microbienne qui réside dessous. Il faut changer son fusil d'épaule et réfléchir au vivant", insiste Christian Vigne. Une adaptation du mode de culture qui peut donc laisser entrevoir une moindre utilisation d'eau. Un cercle vertueux en quelque sorte.
François Desmeures
francois.desmeures@objectifgard.com
(*) les jeunes plants de vigne