ÉDITORIAL Être né quelque part...
Bien sûr on ne peut qu'applaudir des deux mains la mobilisation colossale qui s'est rapidement faite jour à l'endroit des réfugiés ukrainiens et qui s'est répandue comme une traînée de poudre dans les coins les plus reculés de l'Hexagone ! Bien sûr qu'on ne peut que se féliciter de tous ces Français qui se jettent actuellement sur les routes au volant de camions ou de camionnettes remplies jusqu'à la gueule de produits de premières nécessité et d'hygiène, de médicaments et de vêtements ! Et comment ne pas saluer la formidable empathie et les valeurs humanistes de tous ceux qui ont ouvert leurs portes pour accueillir chez eux ces réfugiés démunis, choqués et hébétés par cette guerre qui n'est pas la leur mais qu'ils ont bien été obligés de subir ? Pourtant, on en connaît qui aimeraient bien être Ukrainiens aujourd'hui. Rien que pour pouvoir goûter un peu à cette compassion formidable et à ces élans de générosité collégiale. Eux aussi ont fui des pays en guerre, eux aussi ont tout perdu. Ils ont parfois parcouru des milliers de kilomètres dans des conditions inhumaines et ont risqué leur vie sur des embarcations de fortune surchargées, affrétées par des naufrageurs-passeurs sans scrupules, pour échouer sur des plages italiennes ou grecques. Manque de chance pour eux la loterie de la vie les a fait naître en Irak, en Érythrée, en Afghanistan ou au Soudan. "Être né quelque part pour celui qui est né, c'est toujours un hasard", chantait Maxime Le Forestier avant de questionner : "Est-ce que les gens naissent égaux en droits, à l'endroit ou ils naissent ?" Poser la question c'est déjà y répondre. Et on pourra regretter que là où les États européens soient capables de débloquer en un temps record des budgets vertigineux pour venir au secours des Ukrainiens où s'organiser pour les accueillir, ils ne soient pas en mesure d'en faire de même pour les précités, quand ils ne cherchent tout bonnement pas des subterfuges pour s'en débarrasser où à refiler la patate chaude à leurs voisins, laissant derrière eux le sentiment amer d'une compassion à deux vitesses. Comme l'amour, la charité gagnerait à être aveugle quand la misère, qui ne choisit pas de camp, elle, a indifféremment la peau noire ou blanche.
Philippe GAVILLET de PENEY