FAIT DU JOUR Le directeur du CHU de Nîmes visé par une procédure pénale : voici le rapport à l'origine de l'enquête...
Objectif Gard a eu accès au rapport d’observations définitives de la chambre régionale des comptes (CRC) concernant la gestion du centre hospitalier d’Annecy-Genevois. Mais pourquoi donc devrait-on s'intéresser à ce document ? Parce qu'il est à l'origine des déboires judiciaires de l'actuel patron du CHU de Nîmes, Nicolas Best. Ce dernier a été placé il y a quelques semaines en garde à vue et interrogé par les enquêteurs de la police judiciaire sur instruction du parquet national financier (PNF) en charge d'une enquête sur la gestion de cet hôpital alpin. Des enquêteurs qui épluchent notamment les conditions d'attributions de marchés publics lorsque Nicolas Best en était le directeur, entre 2014 et 2018. Pour la chambre régionale des comptes des irrégularités sont flagrantes et ont nécessité une dénonciation au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. La justice pénale a maintenant la charge du dossier, une enquête est en cours pour "favoritisme".
Le contexte : un hôpital sous tension
Le centre hospitalier d’Annecy-Genevois est d’une capacité de près de 1 500 lits et compile plus de 4 000 agents. Établissement public de santé intercommunal résultant de la fusion des hôpitaux d'Annecy et de Saint-Julien-en-Genevois, il est de par sa taille le 4e établissement de la région Rhône-Alpes. La chambre régionale des comptes Auvergne-Rhône-Alpes a procédé au contrôle de ses comptes et de sa gestion pour les exercices 2014 et suivants. Une période où le directeur général s’appelait Nicolas Best. Avant de rejoindre, dans les mêmes fonctions, le CHU de Nîmes. Mais en fin d’année dernière, il a été rattrapé par son passage dans l’établissement d’Annecy.
Les magistrats de la CRC stigmatisent en premier lieu la gouvernance de l’établissement. Et soulignent des dysfonctionnements au sein même du directoire, instance qui appuie et conseille le directeur dans la conduite et la gestion de l’établissement. « Entre 2014 et 2018, une baisse importante de la fréquence des réunions du directoire est observée. Durant les quatre années de direction de Monsieur Best, l’obligation de réunion le directoire au moins huit fois par an n’a jamais été respectée. » La CRC explique que « la période a été marquée par de fortes tensions entre le directeur général alors en fonction et le personnel, en particulier le corps médical. Un collectif de médecins s’était créé afin de dénoncer des conditions de travail dégradées et des rapports difficiles avec le directeur général. La dégradation du climat social avait également conduit à des dépôts de plaintes, à la fois des agents du centre hospitalier et par le directeur. »
Le projet immobilier sous-évalué et caché à la hiérarchie
Malgré une situation chaotique sur le plan des relations entre la direction et le personnel, un plan stratégique sur la période 2014-2018 est lancé dans l’objectif de renforcer le fonctionnement médical et les disciplines pratiquées au sein de l’établissement.
Pour autant, les magistrats de la CRC pointent rapidement du doigt le projet immobilier de l’établissement « qui a conduit à une augmentation de 40% de la surface du bâtiment sanitaire du site d’Annecy, adopté sans validation de l’ARS (Agence régionale de santé, NDLR), sur la base d’un plan de financement irréaliste, et sans prise en compte suffisante des besoins et de l’évolution des pratiques médicales. L’établissement se retrouve aujourd’hui en difficulté pour porter financièrement de tels investissements ». Alors même que l'ARS est l'entité de tutelle de l'hôpital et que les dessous immobiliers, stratégiques et financiers devaient être appuyés et validés par cet organisme.
Pour appuyer son argumentaire, la CRC souligne « une situation financière fragile dès 2014 et ne fait que se dégrader jusqu’en 2019, du fait de la progression rapide des charges de personnel et du poids croissant des dépenses d’amortissement. […] Le niveau de la marge est insuffisant pour couvrir les remboursements des annuités de la dette et surtout financer le niveau élevé des investissements, porté par le projet immobilier massif de l’établissement. […] L’établissement n’a pu que recourir massivement à l’emprunt ».
C’est donc le schéma directeur immobilier qui est particulièrement pointé du doigt par la CRC. « Un schéma directeur initié par l’établissement début 2015, à l’arrivée du nouveau directeur et sous son impulsion. Un assistant à maîtrise d’ouvrage a été retenu début mars 2015 pour accompagner l’hôpital dans la définition du projet. »
« Compte-tenu de son montant, le projet d’extension-rénovation du site d’Annecy aurait dû être soumis au comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitalier (COPERMO) », indiquent les magistrats, une instance chargée d’examiner et de valider les grands projets d’investissements hospitaliers supérieurs à 50 millions d’euros.
« Or, la direction de l’époque a fait en sorte que le projet échappe à l’examen du COPERMO, via l’ARS qui était chargée de faire remonter les dossiers après avoir au préalable mené leur évaluation socio-économique », tacle la CRC qui ajoute: « Le montant du projet inscrit dans le plan global pluriannuel de financement (PGFP) 2015-2020 validé par le directoire et soumis à l’approbation de l’ARS était sous-évalué […]. Outre la sous-estimation de leur montant, la dissociation des opérations permettait d’afficher un montant unitaire largement inférieur au seuil de 50 millions d’euros qui déterminait la compétence de COPERMO. »
La chambre souligne par ailleurs que le « PGFP n’a été transmis à la tutelle qu’en octobre 2015 et a donc été approuvé tacitement par l’ARS. […] L’absence de ce PGFP était irrégulière et d’autant plus critiquable que l’ARS était en train d’instruire le projet sans, par conséquent, disposer des éléments financiers prospectifs, en contradiction avec la procédure d’instruction des projets d’investissements au niveau régional. »
Pire, elle dénonce que « alors que le projet était en cours d’examen par l’ARS, l’établissement a engagé une procédure de marché public sans attendre la position de la tutelle. »
Le centre hospitalier a ainsi publié un avis d’appel à la concurrence pour un marché de conception réalisation du projet immobilier le 31 décembre 2015. Un an plus tard, le 29 décembre 2016, le nouveau directeur de l’ARS émet, par courrier à l’attention du directeur, plusieurs réserves sur le dimensionnement et l’efficience du projet. « Aucune réponse formelle de l’établissement n’a fait suite à ce courrier », relève la CRC qui ajoute : « La direction a poursuivi son projet sans le remettre en question, y compris en dépit des perspectives financières difficiles. […] Le directeur a profité de la période transitoire entre deux directeurs d’ARS pour engager de façon irréversible le projet immobilier alors que l’ARS avait émis des réserves. […] Selon l’ARS, cette attitude a été préjudiciable à l’établissement car elle ne lui a pas permis d’obtenir de soutien financier. »
Les règles de la commande publique ne sont pas respectées
La chambre a examiné 41 marchés dont le montant total des dépenses estimées à la signature des marchés représentait environ 120 millions d’euros. Une attention particulière a été portée aux marchés relatifs au schéma directeur immobilier.
« Au-delà d’un certain seuil, les règles de la commande publique imposent une publicité et une mise en concurrence. 15 000 euros HT jusqu’en 2015, 25 000 euros HT à partir de 2016 et 40 000 euros HT à compter du 1er janvier 2020. Les acheteurs ne peuvent se soustraire à l’application des procédures en scindant leurs achats ou en utilisant des modalités de calcul de la valeur estimée du besoin autres que celles prévues par la règlementation. Cette dernière l’oblige a prendre en compte la valeur totale des travaux se rapportant à une opération », rappelle la CRC.
« Des dépenses supérieures aux seuils ont été réalisées au centre hospitalier en dehors de toute procédure de marché public, pour différentes prestations relevant d’opérations de travaux ou de catégories homogènes de fournitures ou de services », soulèvent les magistrats qui précisent : « Prises sur une période de trois à quatre ans, durée d’exécution classique d’un marché de fournitures ou de services, certaines de ces dépenses ont, en outre, atteint le seuil de publicité de 90 000 euros HT qui impose une publicité au bulletin officiel d’annonces de marchés publics (BOAMP) ou dans un journal d’annonces légales. D’autres dépenses concernant notamment les achats de fournitures courantes et services ont même atteint le seuil de procédure formalisée qui exige de recourir à un appel d’offres européen avec publication au sein d’un journal officiel de l’Union Européenne (JOUE). Ces achats effectués sans procédure constituent une défaillance de l’établissement dans l’organisation de la commande publique et l’exposent à des risques juridiques. »
Des marchés publics irréguliers, une société rafle toujours la mise
La chambre a relevé plusieurs « cas de recours injustifiés ». « En septembre 2017, le centre hospitaliser a confié un marché public sans procédure de publicité ni mise en concurrence pour un prix fixé à 23 600 euros HT à une société de consultants. Ce marché a pour objectif d’optimiser la gouvernance en délivrant des prestations de coaching à certains directeurs généraux de l’hôpital. Le montant était inférieur aux seuils de procédures de mise en concurrence qui s’élevait alors à 25 000 euros HT. En avril 2018, le centre hospitalier a souhaité poursuivre les prestations avec le cabinet sans pour autant se soumettre à une procédure de mise en concurrence comme le prévoyait la règlementation. Un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence avec la même société a été conclu pour un montant initial de 88 000 euros HT. […] Il a été passé de gré à gré et de manière confidentielle par la cellule d’achat public de l’établissement en toute connaissance de cause. »
Au total, comme le rappellent les magistrats, la société titulaire de ce marché ainsi que son sous-traitant ont perçu entre 2017 et 2019, un montant global de 108 506 euros HT.
« Entre 2015 et 2020, dans le cadre du suivi des opérations du schéma directeur immobilier, le centre hospitalier s’est adjoint les services d’une société spécialisée en programmation et assistance maîtrise d’ouvrage (AMO), la société M. L’examen de l’ensemble des procédures de marchés passés auprès de cette société a permis de révéler l’existence d’irrégularités répétées concernant les règles des marchés publics ayant eu pour objet de confier à cet opérateur l’intégralité des prestations » pour un montant total de 733 020 euros HT, selon le grand livre du centre hospitalier.
« Le premier marché passé en mars 2015, relatif à la réalisation d’une mission d’étude pour la création du schéma directeur immobilier a fait l’objet d’une augmentation de montant très important. Le montant initial, qui était fixé à 70 850 euros HT, a été porté à 113 250 euros HT par avenant en date du 17 octobre 2016. Les sept autres marchés suivants ont tous été attribués au terme d’une procédure de passation irrégulière : quatre marchés ont été attribués directement à la société sans aucune mise en concurrence en contradiction avec la règlementation applicable. Trois marchés qui ont fait l’objet d’une mise en concurrence ont été attribués sur la base d’analyses des offres comportant des irrégularités qui ont conduit systématiquement à favoriser la société en cause. »
Les opérations confiées à la société BC par l’ancien directeur général
Entre 2016 et 2018, deux marchés publics, d’un montant de 32 millions d’euros HT et de 3,3 millions d’euros HT, ainsi que la cession d’un terrain pour 18 millions d’euros HT ont été conclus avec la société B, filiale de la société BC. Pour ces trois opérations, toutes liées à la construction d’un nouveau bâtiment de soin de suite et réadaptation et de soins de longue durée. Des opérations pour lesquelles des manquements aux règles de la commande publique ont été relevés par la CRC.
« Le marché de conception réalisation pour la construction d’un bâtiment a été confié à la société B, filiale de BC pour un montant de 32 millions d’euros HT. Pour la passation de ce marché, le centre hospitalier s’est fondé sur l’article 69 du code des marchés publics applicables au marché de conception-réalisation qui prévoyait la mise en œuvre d’un appel d’offres restreint avec intervention d’un jury. Des manquements ont été relevés au stade de l’analyse des offres des candidats. Ces manquements ont directement eu pour effet d’avantager la société B et ont permis que le marché lui soit attribué alors même que son offre n’apparaissait pas comme l’offre économiquement la plus avantageuse. »
Et les magistrats de justifier : « En effet, alors que l’avis d’appel à concurrence émise le 16 septembre 2015, tout comme l’article 6.1 du règlement de la consultation du marché, prévoyait que le marché serait attribué sur la base de cinq critères de sélection, le jury, dont la présidence était assurée par l’ancien directeur général, a retenu la société B sur des considérations architecturales et fonctionnelles, sans tenir compte des autres critères de sélection prédéfinis, notamment le prix et le délai qui devait constituer 40% de l’appréciation finale. L’absence de notation a conduit en méconnaissance des principes fondamentaux d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, à priver de leur portée les critères de sélection et à neutraliser leur pondération.
Une attribution irrégulière préjudiciable à la concurrence
« De surcroit, cette irrégularité a été préjudiciable aux concurrents de la société B qui avaient une chance sérieuse d’obtenir le contrat. Il apparaît en effet que, dans les documents d’analyse préparatoires réalisés par les services du centre hospitaliser, la société B était classée en cinquième et dernière position sur les seuls critères de prix et des délais de réalisation. » Le marché a ainsi été attribué le 10 juin 2016 à la société B avant d’être signé le 25 octobre de la même année par l’ancien directeur général.
Le marché de réalisation d’un ouvrage de rétention des eaux pluviales a été conclu par l’ancien directeur général, dans le prolongement du marché précédent, le 1er mai 2018 avec la société B pour un montant fixé à 3 317 000 millions d’euros HT. La construction du bassin de rétention sur un terrain appartenant au Change relevait de la compétence du Grand Annecy. La procédure a cependant été directement menée par le centre hospitalier suite à la conclusion d’une convention de co-maîtrise d’ouvrage en date du 24 avril 2018. Sur la base de cette convention, signée par l’ancien directeur général, le centre hospitalier assurait la maîtrise d’ouvrage de l’opération jusqu’à la remise de l’ouvrage au Grand Annecy et était, à cet égard, responsable de la procédure de passation.
Le marché a été conclu sans aucune publicité ni mise en concurrence avec la société B sur le fondement de l’article 30 (passation de marchés sans mise en concurrence dans des cas exceptionnels – en cas d’urgence impérieuse ou encore lorsque les travaux ne pouvaient être fournis que par un seul opérateur économique pour des raisons techniques, NDLR). « Ainsi, les travaux qui n’étaient pas urgents et qui étaient dissociables du marché principal, ne répondait à aucun cas de recours à l’article 30. »
La construction d’une unité de soins de longue durée dans un nouveau bâtiment à Seynod a permis au centre hospitaliser d’Annecy de libérer deux bâtiments et leur terrain d’assiette d’une superficie d’environ 18 000 m2. Après désaffectation et déclassement, le terrain a été cédé en juin 2020 à la société L, filiale à 100% de la société BC pour un montant de 16 millions d’euros.
« La procédure de mise en concurrence n’a pas été réalisée dans des conditions ayant permis de respecter le principe d’égalité de traitement des potentiels acquéreurs. Le processus de vente s’est déroulé au cours de l’année 2018 et a été géré directement par l’ancien directeur général. »
Par un avis d’appel à projet en date du 9 mars 2018. Le 30 mars 2018, l’établissement a réceptionné douze offres. Les critères d’analyse prévus au règlement de la consultation étaient les suivants : la qualité sociale du projet, la qualité technique du projet et la valorisation économique.
À l’issue de la première analyse menée en mai 2018, deux offres ont été retenues : celle du groupement X et celle de la société L, filiale à 100% de la société BC. « Ces deux offres ont, en effet, été seules invitées à négocier avec l’établissement alors que l’offre de base de la société L était la moins intéressante financièrement (offre de 12,4M alors que les offres des autres candidats s’établissaient entre 16,7 et 24 M, NDLR). »
Au terme d'une étape de négociation avec les deux finalistes, l’offre de la société L qui s’élevait à 18M a finalement été retenu le 18 octobre 2018 par l’ancien directeur général. L'enquête judiciaire du parquet national financier se poursuit...
Abdel Samari (avec Boris De la Cruz)
À SUIVRE à 8 heures 30 : ENQUÊTE Nicolas Best, directeur de l'hôpital de Nîmes, réplique aux griefs de la chambre régionale des comptes