Publié il y a 3 ans - Mise à jour le 15.06.2021 - corentin-corger - 6 min  - vu 5882 fois

FAIT DU JOUR Manuel Amoros, à l’Euro 84 "Patrick Battiston a simulé une blessure pour que je profite de ce moment"

Aujourd'hui âgé de 59 ans, le Nîmois Manuel Amoros a remporté l'Euro 1984 avec la France (Photo Manuel Amoros)

Manuel Amoros a porté le maillot de l'équipe de France pendant dix ans, de 1982 à 1992 (Photo Maxppp)

Ce soir l’équipe de France de football fait son entrée en lice dans l’Euro 2020 face à l’Allemagne (21h). À cette occasion, Objectif Gard a réalisé un entretien avec Manuel Amoros, l'ancien international passé par Monaco, Marseille et Lyon. Né à Nîmes, le défenseur latéral aux 82 sélections a remporté cette compétition avec les Bleus en 1984, en France. Il revient sur cette victoire historique, son carton rouge lors du match d’ouverture et son entrée en jeu en finale. Manuel Amoros évoque aussi les chances des Bleus pour cet Euro 2020 et s’inquiète pour Nîmes Olympique, un club qu’il soutient. Interview.

Objectif Gard : Pouvez-vous d’abord nous rappeler votre lien avec le Gard ?

Je suis né à Nîmes et j’ai vécu ensuite du côté de Sommières. Après ma famille est partie assez rapidement dans l’Hérault à Saint-Just et Lunel. Mon attachement au Gard est surtout lié au football. J’allais régulièrement voir les matches à Jean-Bouin, c’est ça qui reste un peu ancré en moi et aussi la corrida.

Vous êtes sélectionné pour disputer l’Euro 84 en France. La pression était-elle forte sur les Bleus ?

Cela rajoutait une pression supplémentaire. Tous les supporters et même nous joueurs attendions un bon résultat et de gagner ce championnat d’Europe. Même si ce n’était pas évident. Après une très belle Coupe du Monde, un cycle était terminé et il fallait repartir avec des nouveaux joueurs, l’adaptation n’était pas facile à faire. On a su au fur et à mesure de la préparation, mentalement et psychologiquement, se mettre dans la peau d’un possible vainqueur.

Ce match d’ouverture face à Danemark, c’était forcément un moment marquant.

Il y a surtout une préparation d’avant-match compliquée car on avait tous la pression de ce premier match. On était arrivé 1h30 avant le match, il y avait déjà pas mal de monde au Parc des Princes. Cet avant-match a été très long, ça s’éternisait : la Marseillaise, les échanges de fanions. On avait hâte d’y être et de se libérer. Quand le match débute après ce n’est plus la même chose. La pression s’est évacuée au coup d’envoi.

"J’y suis allé et j’ai donné un coup de tête"

Ce 12 juin 1984, vous êtes exclu à la 86e minute de jeu. Que s’est-il passé ?

J’ai le ballon, Jesper Olsen me taquine un petit peu les chevilles, me pousse et me tire le maillot. Sur un coup de pulsion, j’y suis allé et j’ai donné un coup de tête. Je ne l’ai pas touché, j’ai juste fait le mouvement de tête. On a l’impression que je le touche mais je ne le touche pas. Il fait beaucoup de cinéma pour que je sois exclu. Quand on donne un vrai coup de tête et qu’on touche un adversaire, on lui explose l’arcade ou le nez. Quand vous êtes jeune et que vous avez la pression de garder le résultat jusqu’à la fin, on ne se contrôle pas. J’ai manqué de nerf. C’est tout à fait logique que je sois expulsé, on ne doit pas faire ce geste-là.

Ce carton rouge vous a empêché de participer au reste de la compétition...

C’était un mal pour un bien ! "Doudou" Domergue qui m’a remplacé a été excellent. On était un groupe qui vivait bien à l’intérieur. Chacun savait quoi faire pour tirer l’un et l’autre vers le haut et avoir la meilleure performance sur le terrain. Voilà, j’ai fait une connerie, je la paye. Derrière, il y a "Doudou" qui éclate tout et reste très bon. Il marque un doublé contre le Portugal en demi-finale (3-2). Il savait ce qu’il avait à faire et c’est là où je dis que le groupe que l’on avait en 1984 était vraiment exceptionnel. Il s’est avéré important et tant mieux. Si je n’avais pas été expulsé, peut-être que l’on n’aurait pas gagné ou peut-être que l’on aurait gagné. On ne sait pas !

En vivant la compétition depuis le banc, avez-vous regretté votre geste ?

On regrette toujours mais on ne peut pas revenir sur le passé donc malheureusement il faut avancer et vivre avec. Le problème c’est que le premier match était vachement médiatisé et chaque fois que je rencontrais des journalistes, on me reparlait de ça. Même maintenant on me reproche d’avoir donné un coup de tête. C’est comme ça. Il ne faut pas se retourner en arrière. On a gagné le championnat d’Europe. Il ne faut pas s’arrêter qu’à mon expulsion.

Néanmoins vous disputez les 19 dernières minutes de la finale. Expliquez-nous votre entrée en jeu... 

Patrick Battiston a simulé une blessure pour que je profite de ce moment. On avait une équipe très solidaire. On menait seulement 1-0. Il connaissait mes qualités et savait que j’allais me battre jusqu’au bout et faire le maximum. Il avait totalement confiance en moi. Il voulait me faire profiter de cette finale contre mon pays quelque part puisque mes parents sont Espagnols et que c’était l’Espagne en face (2-0).

"Aujourd’hui, je ne sais pas si un joueur pourrait faire ça"

Étiez-vous au courant de ses intentions ?

Non, tout le monde est resté très surpris. Quand Battiston est venu près du banc dire : "J’ai mal, je ne peux pas tenir", Michel Hidalgo n’y croyait pas du tout. À force que Patrick insiste, il a fallu faire le changement. Aujourd’hui, je ne sais pas si un joueur pourrait faire ça : simuler une blessure pour faire rentrer un coéquipier. Il faut une grande force morale dans l’effectif pour faire ça. C’était presque sûr que l’on allait faire un très bon résultat parce que le groupe était là.

Patrick Cubaynes, Manuel Amoros, Bernard Casoni et Mickaël Madar lors d'un match de charité organisé au stade des Costières après les inondations de 2002 (Photo via MaxPPP) • LA PROVENCE/PHOTOPQR

Qu’avez-vous ressenti au coup de sifflet final ?

On a vécu un moment extraordinaire. On était quand même la première équipe collective française , tous sports confondus, à remporter un titre . On a eu des matchs difficiles que l’on a rendu facile avec un Michel Platini extraordinaire qui a marqué neuf buts dans cette compétition (NDLR : un record sur une seule édition). Il nous a amené sur le toit du monde ! Après le match nous étions allés à la Fédération. Il y avait énormément de supporters qui nous attendait. On a montré la coupe au balcon, on a communié avec les supporters. À l’époque, ça ne se faisait pas de prendre un bus impérial et d’aller défiler sur les Champs-Élysées. Le lendemain, on est tous rentré dans nos clubs respectifs.

Comment expliquez-vous l’échec en qualifications, quatre ans plus tard, pour l’Euro 1988 ?

Honnêtement, j’ai très peu de souvenirs de cette période. On avait fait pas mal de contre-performances et notamment un match nul en Islande (0-0). Il y avait le problème entre Henri Michel et Éric Cantona qui avait mis un peu la merde en équipe de France.

La France se qualifie pour l’Euro 92 mais ne sort pas des poules. Considérez-vous que ce soit un gâchis avec un duo d’attaque Papin-Cantona et une sélection annoncée parmi les favorites pour le titre ?

C’est vrai ! On avait des joueurs de qualité mais malheureusement on n'a pas donné ce que le sélectionneur Michel Platini nous demandait aux entraînements et ce que le peuple français attendait. On ne peut pas tout gagner. Après, on n’a peut-être pas fait tous les efforts nécessaires pour pouvoir aller plus loin.

"Je serais déçu que cette équipe n’aille pas jusqu’au bout"

Voyez-vous les Tricolores gagner cet Euro 2020 ?

Le premier match de ce soir va conditionner tout ça. Sur le papier, on a la meilleure équipe du monde avec une superbe attaque, des milieux et des défenseurs très bons qui se projettent beaucoup vers l’avant. Une équipe très compétitive, relativement jeune quand on voit Mbappé, Coman, Dembélé, Pavard, Hernandez… Je serais déçu que cette équipe n’aille pas jusqu’au bout parce que l’on a tellement de joueurs de talent. Ce n’est pas l’Allemagne que l’on a rencontré à l’époque. Maintenant, c’est une équipe moyenne. Les Bleus les ont battus régulièrement. C’est un match compliqué mais Didier Deschamps sait comment jouer pour les battre.

Un mot sur Nîmes Olympique. Êtes-vous touché par la relégation du club ?

Bien sûr ! On est toujours déçu quand un club que l’on soutient descend. Surtout avec un président qui met l’Association en stand-by et enlève l’agrément du centre de formation. Nîmes a toujours eu un très bon centre de formation. À l’époque, Nîmes Olympique était le meilleur club de la région, au-dessus de Montpellier. C’est un peu dommage qu’il y ait tous ces problèmes-là. Quand on créé un club professionnel qui touche des droits télés et pas mal d’argent, on peut investir dans le centre de formation. Je ne sais pas pourquoi ça le gêne d’un coup, du jour au lendemain.

"Les recruteurs ne sont jamais venus me voir"

Pensez-vous que la FFF aurait dû monter au créneau ?  

Il aurait fallu s’en préoccuper avant. Cela fait maintenant une quinzaine de jours que le championnat est terminé. Noël Le Graët aurait pu réagir et essayer de régler ce problème-là. Pourquoi perdre du temps et ne pas battre le fer quand il est chaud ? Avec plus de certitudes, les joueurs auraient une préparation plus tranquille. Il faut espérer que tout ça s’arrange et que Nîmes reparte sur des bases saines.

Durant votre carrière, avez-vous eu l’occasion de signer chez les Crocos ?

Non aucunement ! Quand j’étais jeune et que je jouais au Gallia Club Lunellois, les recruteurs ne sont jamais venus me voir. Ils ont découvert (rires) quand je suis parti à Monaco en 1977 qu’il y avait un bon joueur à Lunel qui leur avait échappé.

Que faites-vous maintenant ?

J’ai travaillé pour la radio RMC cette saison sur le match de 13h en Ligue 1 où je commentais l’actualité footballistique. J’ai également un contrat pour le championnat d’Europe en tant que consultant. On est plusieurs à débattre sur les matches. Vous allez donc pouvoir m’écouter durant ce mois de juin.

Propos recueillis par Corentin Corger

Corentin Corger

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