FAIT DU JOUR Mario Roumieux : "j'ai écrit ma vie et je me suis appliqué"
Il est des hommes façonnés par leur passion. Mario est incontestablement de ceux-là. L'amour des taureaux, de la terre de Camargue, des bêtes et des gens qui la peuplent, ont guidé ses pas. Aujourd'hui à 68 ans, il est à l'âge où l'on pense à transmettre et où, de temps en temps, on jette un œil dans le rétro…
Il y a des rencontres que l'on a envie de partager. Juste parce qu'ensuite on ne voit plus tout à fait les choses de la même façon et que cette façon là fait du bien. Mario Roumieux fabrique des crochets de raseteurs depuis 40 ans. Le crochet c'est l'instrument que le raseteur tient dans son poing pendant la course et avec lequel il enlèvera - si tout va bien ! - le gland ou la cocarde et les ficelles attachés entre les cornes de la bête. Indispensable instrument de victoire, sa taille, l'écartement des griffes : tout est dûment réglementé et tous doivent avoir le même. Pour que l'animal ne risque pas une blessure due à la maladresse d'un débutant, on soude une barre de sécurité à 4mm de la dent. "Le modèle et ses cotes sont déposés en préfecture", précise Mario. "C'est sérieux", développe-t-il, "je travaille sur plan et je suis précis au millimètre".
Parce qu'une démonstration vaut mieux qu'un long discours
Direction le garage où se trouve un atelier d'apparence modeste mais équipé et organisé. "J'ai fait tous mes outils moi-même," fait remarquer Mario. "Avant je faisais tout à la main, à la scie et à la lime. Aujourd'hui, les dents sont fabriquées à l'avance." Reste tout de même l'assemblage qui demande rigueur et précision et une bonne connaissance de la course. "J'utilise de l'acier anglais via un aciériste à côté de Grenoble." Voilà pour la solidité.
Mais comme il y a de la casse quand même, (coups contre les murs, les barrières) Mario lorsqu'il assemble les pièces fait de la soudure autogène en utilisant une baguette de cuivre et de laiton, un alliage qui permet les réparations. Quand tout est assemblé, reste l'aiguisage des griffes. "On aiguise d'abord à la lime ronde, puis on termine avec une lime couteau," explique Mario.
Puis il ajoute sur le ton de la confidence. "Les raseteurs viennent me voir. Chacun a ses exigences. L’affûtage, c'est déterminant". À part quelques particuliers, c'est la Fédération française de course camarguaise qui commande les crochets. "Aujourd'hui, j'en fais une centaine par an, c'est moins qu'avant. Mais j'en ai un peu marre" . Des crochets qui une fois terminés sont vendus 60€.
Transmettre
Mario est fatigué mais il ne s'arrête par pour autant. Sans doute, parce qu'il y a Romain, 14 ans, qui marche dans ses traces et l'assiste avec le plus grand sérieux. "J'aimerais bien qu'il prenne la suite", soupire l'homme. Et Romain le regarde en souriant. Pour le jeune homme c'est une chose acquise, le parcours de Mario, c'est l'idée exacte qu'il se fait d'une vie idéale. Alors, il répète les gestes de son mentor, écoute l'histoire de sa vie, regarde de vieilles photos tout en rêvant de courses, d'arènes et de bêtes à cornes. Mais il sait qu'il devra être obstiné, patient et… courageux.
"Les raseteurs sont des femelleurs et des buveurs de Pastis"
Il faut dire que pour Mario Roumieux tout n'a pas été facile. Sa mère, en chef de famille autoritaire, avait décidé que ses enfants seraient "respectables", ce qui n'était pas tout à fait la réputation des raseteurs à l'époque. "Les raseteurs sont des femelleurs et des buveurs de pastis", tonnait-elle en opposant un veto absolu.
Alors le jeune Mario dissimule sa tenue blanche chez des copains complices et fait la tournée avec son Solex avant d'aller aux arènes. Une fois sur place, encore faut-il convaincre. "À l'époque, il n'y avait pas d'école, on apprenait comme ça", se souvient Mario. "On nous disait, tu peux rentrer mais si tu ne fais pas exactement ce qu'on te dis, c'est fini". Mario, trop heureux de tenter sa chance, obtempère. C'est le bonheur. Jusqu'au jour où sa mère découvre le pot aux roses.
Exil…
Là c'est le drame, Mario est envoyé avec un BTS d'agronomie en poche pour soigner des animaux de ferme en Auvergne et passer d'autres diplômes. "Mon grand copain m'envoyait des lettres dans lesquelles il m'écrivait, "dimanche j'ai bien raseté. Moi, je ne pensais qu'à ça, je ne parlais que de ça et je n'en pouvais plus". Un jour, il craque. "j'ai attrapé mon Solex et mon sac et je suis parti de Clermont Ferrand en faisant des étapes dans les fermes".
Quand il arrive chez lui son père est catastrophé, mais le jeune-homme affronte sa mère. "Tu peux me tuer si tu veux", lui dit-il, "je n'y retournerais pas !" Et d'enfoncer le clou : "Depuis Louis XV dans notre famille, je suis le seul "caraque" et le seul qui louche, c'est comme ça ! " La mère est aussi une maman et elle dépose les armes devant la détermination de son fils.
Des arènes au club taurin
"Les taureaux ont fabriqué ma vie…", raconte-t-il. D'abord raseteur, il travaille à Saint Mamet, puis entre à la source Perrier, où il devient un virtuose de la soudure et, à ses heures perdues, fabrique des croix de gardian, des mors, des étriers, des marques à feu… Son courage et sa détermination dans les arènes lui valent les bonnes grâces de son chef, qui le libère les jours de course. Puis un jour, après de multiples blessures et l'assurance qu'il n'aura jamais une palme d'or, il remise sa tenue blanche et son crochet et entre au club taurin d'Aubais où il restera pendant 40 ans, comme secrétaire et président de course, un emploi qu'il adore.
Si c'était à refaire…
Un jour, il gagne une génisse dans une tombola, en achète d'autres. Des chevaux aussi qu'il élève avec sa "sœurette", une enfant qui partage sa passion et que ses parents lui confie pendant 37 ans. Ses vachettes, ont des noms tirés de romans de Pagnol. " J'en avais une qui était un peu forte. Je l'avais appelée Honorine", rigole Mario.
Sa protégée lui apprend à débourrer les chevaux, lui s'occupe des taureaux. La vie est belle. Mais elle lui réserve de bien mauvais tours. "J'ai été obligé de faire tuer deux taureaux, j'ai pleuré et avec l'argent j'ai payé un voyage en Amérique à ma fille…" Mais de plus grands malheurs l'attendent... La perte d'un fils à la fleur de l'âge, la famille qui éclate, la disparition de sa sœur de cœur des suites d'une longue maladie… Mario tient bon et continue à vivre au contact des taureaux et du monde de la course camarguaise. Parce que c'est sa vie et qu'elle est comme ça. Il s'applique à s'occuper des autres et à faire le bien autour de lui. La prédiction de sa mère ne se réalisera pas.
"Si c'était à refaire, je referais tout pareil. J'ai écrit ma vie et je me suis appliqué. Je ne regrette rien…" Et le jeune Romain regarde cet homme dont ni les mains ni la voix ne tremblent et il veut être lui un jour…
Véronique Palomar-Camplan