FAIT DU SOIR À Lézan et ses environs, se soigner deviendra-t-il mission impossible ?
Inquiet de l'avenir de son territoire de soins, balloté entre accroissement du nombre de prises en charge et vieillissement des médecins rarement remplacés, le personnel médical de la maison de santé multisites Épione tente d'alerter la population et les pouvoirs publics avant qu'une situation tendue ne devienne critique.
Face au constat de l'avenir de leur territoire de soins qu'ils craignent de voir se transformer en désert médical, les 24 professionnels de santé de Lézan et ses environs se mobilisent depuis bientôt trois ans. Avec l'augmentation et le vieillissement de la population d'un bassin de vie de 5 000 habitants regroupant sept communes (Lézan, Tornac, Canaules, Saint-Nazaire-des-Gardies, Saint-Jean-de-Serres, Cardet, Massillargues-Attuech), le tout corrélé à "l'accroissement du nombre de prises en charge" et au "vieillissement des professionnels de santé" dont les départs à la retraite ne font pas toujours l'objet d'un remplacement, deux médecins généralistes, trois dentistes, trois kinésithérapeutes, deux pharmaciens, 12 infirmières, une diététicienne, une psychologue et une ergothérapeute se sont regroupés en exercice coordonné. Validé par les tutelles en 2020, leur projet de santé commun a donné naissance à la maison de santé pluridisciplinaire (MSP) multisites Epione, du nom d'une déesse grecque soignant les maux.
"Les gens râlent et on les comprend"
Mais tandis que le centre médical de Lézan fait office de bâtiment socle, leurs locaux disséminés aux quatre coins du territoire paraissent inadaptés à l'arrivée de nouveaux médecins. Pourtant, à en croire le collectif qui s'exprime d'une seule voix, ce ne serait pas un luxe : "L'un des deux docteurs a 73 ans et est donc largement en âge de partir à la retraite. Le second a 60 ans. Autour de nous, les médecins partent à la retraite et ne sont pas remplacés. Les gens s'inquiètent et nous demandent ce qu'on fait pour pallier." Avec une certaine anticipation, le collectif de professionnels de santé s'est retroussé les manches en envisageant la construction d'un nouveau bâtiment dans lequel toutes les spécialités auraient été regroupées. Faute de financements, le projet a capoté. "Après ce premier échec, on s'est dit qu'il fallait au moins regrouper les médecins avec un secrétariat commun et des locaux un peu plus attractifs pour des potentiels jeunes médecins qui refusent systématiquement les cabinets médicaux isolés sans secrétariat", resitue Gautier André, kiné et cogérant de la maison de santé.
"On ne veut pas quelque chose de grandiose", exprime la coordinatrice salariée de la MSP, Sabrina Wozniak, qui rêve d'un cabinet digne de ce nom alors qu'elle est actuellement logée dans un bureau exigu partagé avec les kinés. "Aujourd'hui, quand on a des réunions, on demande l'accès au foyer du village. Mais il n'est pas très adapté et souvent prisé par d'autres associations", complète-t-elle. Alors que l'activité des trois dentistes ne désemplit pas en raison des nombreuses demandes, le cabinet dentaire, doté de seulement deux fauteuils de soins, ne peut par conséquent jamais fonctionner à plein régime.
"Il faut entre deux et quatre mois pour obtenir un rendez-vous, ce qui est inconcevable. Les gens râlent et on les comprend", concèdent les professionnels de santé. Dans ce contexte, chaque mètre carré compte, ce qui oblige les professionnels de santé à se creuser la tête. Les chirurgiens-dentistes ont par exemple racheté le cabinet du docteur Bal dans la perspective de s'étendre, le dernier cité se retrouvant à louer un local qui lui appartenait. Les kinés en ont fait de même avec celui du Dr Moulayes - lequel n'a pas été chassé pour autant -, car un quatrième kiné souhaiterait s'installer. "Il y a la demande mais pas la place", déplore la coordinatrice.
"On se demande à quoi ça sert de continuer"
Ainsi, un agrandissement du centre médical de Lézan en rognant sur les parkings a un temps été envisagé. "Mais toutes ces notions techniques nous dépassent et nous n'avons de toute façon pas les fonds pour engager les études urbanistiques", admet Nathalie Prigent, pharmacienne et cogérante des lieux. Création d'une nouvelle structure ? Extension du centre médical actuel ? Déménagement ? Toutes les options sont étudiées. Mais s'il a assuré la phase de "diagnostic" en guise d'interpellation de la population qui "s'agace", le collectif de professionnels de santé s'essouffle : "Il faut que ce projet soit public si on veut espérer des subventions. S'il reste dans la sphère privée, on ne pourra pas l'assumer. Il y a trop de disparités financières dans l'équipe." Et Sabrina Wozniak d'insister, laquelle craint "l'éclatement" de son équipe : "On arrive au bout de ce qu'on peut faire. Je sens que l'équipe s'épuise. Tout le monde en a marre. On se demande à quoi ça sert de continuer."
"Il y a le risque d'un effet boule de neige"
D'autant que si le Dr Moulayes, 73 ans, venait à opter pour un repos bien mérité, le maintien de la maison de santé serait fragilisé. "Dans les statuts de la MSP, si on perd un médecin, les autorités nous donnent deux fois six mois pour le remplacer, sinon on nous coupe les subventions", prévient la dernière nommée. À terme, en l'absence de médecins, la pharmacie de Lézan logée dans ce même centre médical n'aurait plus de prescripteurs et risquerait la fermeture. "C'est pareil pour les infirmières ou les kinés. Il y a le risque d'un effet boule de neige", résume le cogérant.
Pour ne rien arranger, un nouvel arrivant sur l'une de ces sept communes concernées par la MSP n'aurait pas la possibilité de faire du Dr Bal ou du Dr Moulayes, les deux généralistes en exercice sur le territoire, son médecin traitant. "Hors liste d'attente, les deux médecins couvrent les besoins de plus de 3 000 patients, sachant que la patientèle moyenne d'un docteur se situe normalement autour de 1 000 patients. On pourrait largement avoir un troisième, voire un quatrième médecin tant il y a des demandes", confirme à l'unisson les membres du collectif.
Les professionnels de santé de ce territoire à cheval sur deux intercommunalités (la communauté de communes du Piémont cévenol et Alès Agglomération) remettent désormais leur sort et celui de 5 000 habitants entre les mains des pouvoirs publics. À leur initiative, une grande réunion à laquelle les élus des sept communes concernées, les présidents des deux intercommunalités, le conseil départemental, la Région et l'Agence régionale de santé, entre autres, sont invités, devrait avoir lieu prochainement.
Corentin Migoule